« Tout ce qui se passe, c’est ta faute! T’as tout défait! »
Élevés seuls par leur père (Jean-François Casabonne) dans l’obscurantisme religieux et le mensonge, deux adolescents sans nom vivent reclus dans un manoir décrépi à la campagne. Un matin, quand ils trouvent l’homme pendu dans sa chambre, ils sont brusquement livrés à eux-mêmes.
Projeté en première mondiale au TIFF, La petite fille qui aimait trop les allumettes, scénarisé et réalisé par Simon Lavoie d’après le roman culte de Gaétan Soucy, a reçu une mention comme meilleur film canadien.
Simon Lavoie avait, en 2013, commencé à travailler le scénario du film en collaboration avec Gaétan Soucy. Le romancier devait contribuer à la rédaction des dialogues, mais son décès inopiné, le 9 juillet 2013, a complètement changé la donne. Simon Lavoie s’est vu investi d’« une responsabilité morale », ainsi qu’il le confiait : « non pas de transposer son roman à la virgule près, telle une révérence où un hommage ému, mais plutôt de rendre justice à l’ambition et à la portée symbolique de ce grand roman. »
Tout d’abord, ce qui frappe dans le film, c’est son esthétique. L’image du premier plan, où l’on voit le père assis à table, vibre légèrement donnant une espèce de vertige au spectateur. On ressent ainsi le trouble du personnage. La scène d’introduction entière m’a d’emblée convaincue. Il faut dire que Simon Lavoie excelle dans le traitement de l’image – je pense aussi aux films Le torrent et à Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau.
Pour La petite fille qui aimait trop les allumettes, il a opté pour une image en noir et blanc afin « de créer un univers particulier » : « un univers poétique, singulier, qui pourrait décoller du réalisme et qui viendrait flirter avec le fantastique. Le noir et blanc était donc un outil qui nous permettait d’aller vers le conte ». Et c’est réussi. On est en décalage de la réalité. Ce qui devrait être verdoyant ou coloré est en nuance de gris, à l’image de la réalité des personnages. Les plans de ciel apparaissent presque texturés.
Il utilise les plongées et les contre-plongées présentant ses personnages dans des angles qui surprennent, qui ajoutent à l’émotion. Certaines images sont aussi très sensuelles, ce que à quoi contribuent les ralentis.
Et un mot sur l’affiche du film… Le visage de la jeune fille qui apparaît à travers la fumée de son allumette, c’est tout simplement magnifique.
« Il fallait privilégier l’action et l’évocation par les images, plutôt que par une narration parlée. Par conséquent, les données narratives qui étaient impossibles à incarner dans des scènes ou qui ne pouvaient pas être évoquées par des images (ou transmises par des dialogues dépouillés) devaient être écartées en totalité ou en partie du scénario dans une optique d’économie narrative », expliquait Simon Lavoie.
Il faut dire que le roman est écrit du point de vue de la jeune fille, bien qu’on ne sache pas d’emblée qu’il s’agisse d’une jeune fille. Dans le film, le mystère ne peut être caché bien longtemps. L’actrice choisie, Marine Johnson, a tout de même des traits androgynes intéressants pour ce rôle.
Il y a très peu de dialogues. Les images et les expressions contribuent tout autant que les dialogues à la compréhension du récit. En ce sens, plusieurs flashbacks – en est-ce vraiment? – ou apparitions viennent troubler la jeune fille qui reconstruit petit à petit le passé de sa famille, passé que le père a tenté de faire disparaître par un enseignement plus que rigide.
La jeune fille et son frère (Antoine L’Écuyer) vivent bien différemment la mort de leur peur : la première recherche la vérité tandis que le second ne souhaite que continuer à vivre selon les règles apprises jusqu’alors. Ce qui me gêne cependant c’est la vitesse à laquelle la jeune fille prend conscience du monde qui l’entoure. Elle qui ignore d’abord qu’elle est femme comprend rapidement et avec beaucoup de sensibilité et d’intelligence, en mots concrets, ce qui lui arrive.
Je dois avouer que la finale m’a aussi un peu dérangée, que je n’y croyais plus vraiment. Le réalisateur a d’ailleurs commenté ce passage et quelques autres semblables : « Mais plutôt que de m’arrêter à la notion de réalisme, il me fallait plutôt ici manier le concept de convention crédible, de ce que l’on peut faire admettre comme étant vrai au spectateur dans le contexte institué dans le film. Ce fut là l’un de mes principaux défis, comme réalisateur. Pour le surmonter, j’ai voulu miser sur la création d’un climat poétique se situant en décalage avec le réel. »
En le prenant dans cette perspective, c’est, disons, plus acceptable. Ainsi, si vous êtes prêts à faire abstraction d’une part de réalisme et, pour ceux qui ont lu le roman, de déroger ici et là de l’histoire de Soucy, le film vous plaira certainement.
Ne serait-ce que pour la qualité visuelle, La petite fille qui aimait trop les allumettes est un film à voir.
Note : 7,5/10
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