« Ça ce n’est pas mon Lamine »
Paul (Lucien Jean-Baptiste) est marié à Sali (Aïssa Maïga). Tout irait pour le mieux s’ils arrivaient à avoir un enfant. Jusqu’au jour où Sali reçoit l’appel qu’ils attendent depuis si longtemps : leur dossier d’adoption est approuvé. Il est adorable, il a 6 mois, il s’appelle Benjamin. Il est blond aux yeux bleus et il est blanc. Eux… sont noirs!
Il a déjà tes yeux tourne autour des problèmes de transmission et d’héritage. En tant que nouveau parent, on ne cesse de se poser des questions à ce sujet : que doit-on inculquer à nos enfants? En les éduquant, que va-t-il rester et se perdre de ce que nous sommes, de nos racines, de notre religion, de nos traditions? Lucien Jean-Baptiste, le réalisateur, expliquait en ce sens : « Je suis arrivé des Antilles à Paris, à l’âge de trois ans, avec ma mère et mes cinq frères et sœurs. Que me reste-t-il aujourd’hui de ma culture natale? J’ai 52 ans, et j’ai des enfants métis. Eux non plus ne me ressemblent pas. Et je ne parle évidemment pas seulement de la couleur de leur peau. Ils sont nés à Paris. Que dois-je, que puis-je leur enseigner de leur origine? »
Avec Il a déjà tes yeux, le réalisateur aborde aussi le problème de la diversité et du contraste noir/blanc, qui, au-delà de moments comiques, génère de l’émotion et de la poésie. Évidemment, c’est l’inversion des rôles qui rend ce film intéressant.
Voir un bébé noir avec des parents blancs, ça ne dérange plus personne. Mais qu’en serait-il de l’inverse? En mettant en scène des parents noirs qui adoptent un bébé « rose » est amusant. Mais c’est aussi une critique de la société.
En passant par la comédie, on peut faire passer des messages choquants sans que ça choque trop les gens. Ils vont s’amuser du « ridicule » de la situation et tout passera. On peut clairement penser à la série de films Elvis Gratton de Pierre Falardeau. Dans ces films, le réalisateur québécois ne se gênait pas pour traiter son public d’imbécile, allant jusqu’à dire explicitement aux spectateurs, dans le deuxième film, qu’ils ne comprenaient pas que Poulin (son acolyte de toujours) et lui les traitaient d’imbéciles dans le premier volet. Et même en le disant mot à mot dans le deuxième film, ils ont dû en faire un troisième, dans lequel ils sont encore plus explicites, afin que les gens comprennent.
Ici, on pourrait penser à la même chose. Par le rôle de Mme Mallet, Jean-Baptiste montre une faille du système. Les Blancs ont souvent de la difficulté à accepter qu’un Noir soit dans une position de force envers un Blanc. Ça peut paraître inconcevable en 2017, mais la poussée du Front national en France montre l’inverse.
Puis il y a la famille de Sali… Elle est une jeune femme née de parents sénégalais immigrés en France. Ils vivent en communauté, ils sont pratiquants musulmans et ils avaient certaines exigences vis-à-vis de leur fille. Notamment d’ordre religieux. Ces exigences vont être déçues puisque, dans cette histoire, leur fille épouse non pas un Sénégalais, mais un Antillais, catholique de surcroît, et que, comble de la provocation pour eux, cette fille va adopter un petit blanc! Pour eux, cela équivaut à un tsunami! Sans oublier que Sali ne veut pas appeler le bébé Lamine…
C’est tout de même étrange lorsque des gens quittent leur pays afin d’offrir un futur à leurs enfants (ce qui est le cas dans le film) refusent de changer leurs habitudes de vie. Et encore plus bizarre lorsque ces mêmes parents veulent obliger leurs enfants à suivre ces mêmes traditions et croyances. Évidemment, il faut comprendre que ces parents ne veulent pas que leurs enfants perdent leurs traditions culturelles d’origine. Mais ils ne doivent pas oublier les raisons de leur émigration.
Tourner avec un bébé n’est jamais vraiment facile. Mais, dans ce cas-ci, il semble que ça a été tout de même assez simple. D’ailleurs, saviez-vous qu’en France selon la loi du travail, les bébés ne doivent pas « travailler » plus d’une heure par jour, en deux demi-heures coupées par trente minutes de repos…
Dans le cas présent, le réalisateur expliquait qu’il avait été chanceux, le casting a été rapide. « Pour que le contraste soit saisissant avec la couleur des parents adoptants, je voulais un petit blond aux yeux bleus très câlin. » Un ami du réalisateur lui a présenté la famille du bébé engagé et ç’a immédiatement cliqué.
Il a déjà tes yeux est un film positif, qui reflète la France multiethnique d’aujourd’hui, qui parle du vivre ensemble avec humour et émotion. Et quoi de mieux que l’arrivée d’un poupon dans une famille pour faire une comédie sociale.
Manu (Vincent Elbaz) est l’un des personnages par qui passe non seulement la comédie, mais aussi l’émotion. L’acteur décrit ainsi son personnage : « Manu. Il a un cœur gros comme ça, c’est visiblement un artiste raté mais on se demande d’où il sort, si ce n’est pas un ancien toxico. » Pour avoir une bonne idée du personnage, je vous offre la description d’une scène dans laquelle il aide Paul à peindre une pièce : « Manu n’est pas le genre de type qui vient peindre en combinaison! C’est le genre qui enlève son pantalon pour ne pas se tacher, mais qui garde son pull, parce qu’il a froid! Manu est un perdant magnifique, un champion de la gentillesse, un hurluberlu de première. Il dit des vérités, mais toujours à côté de la plaque. »
J’avais malheureusement manqué le visionnement de ce film lors du Festival Vues d’Afrique. J’ai donc profité de mon voyage en Europe pour regarder Il a déjà tes yeux dans l’avion.
Et maintenant, je vous le suggère. Une très bonne comédie qui vous fera réfléchir!
Note : 7.5/10
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