« Pour l’argent et la liberté qui va avec. »
Deux jeunes militaires, Aurore (Ariane Labed) et Marine (Soko), reviennent d’Afghanistan. Avec leur section, elles vont passer trois jours à Chypre, dans un hôtel cinq étoiles, au milieu des touristes en vacances, pour ce que l’armée appelle un sas de décompression, où on va les aider à « oublier la guerre ». Mais on ne se libère pas de la violence si facilement…
Le deuxième long métrage des sœurs Delphine et Muriel Coulin, Voir du pays, jette un regard sur une des techniques utilisées par l’armée dans le but d’aider les soldats qui reviennent d’une zone de combat, d’oublier ce qu’ils ont vécu.
Sélectionné à Cinemania et dans la section Un certain regard à Cannes, le film a aussi remporté le prix du meilleur scénario au Festival des films de Cannes en 2016.
Le sas, c’est quoi? C’est ce qu’on pourrait appeler la technique du je-m’en-lave-les-mains. J’explique. Depuis 2008, tous les soldats français qui reviennent d’un théâtre d’opérations passent par un « sas de décompression ». Ils sont accueillis dans un hôtel cinq étoiles, pendant trois jours, et sont censés oublier la guerre au cours de ce séjour, parmi des touristes qui profitent de leurs vacances. Le programme, concocté par des psychologues de l’armée, comprend des cours d’aquagym et de relaxation, des sorties en bateau, et des réunions où chacun doit faire le récit des six mois de guerre qu’il vient de vivre. Et il semble que cette thérapie militaire ait plus ou moins de succès selon les individus.
Et c’est dû au fait que cette technique n’est pas particulièrement efficace que je dis qu’il s’agit surtout d’une façon qu’a trouvée l’armée pour bien paraitre. Ou comme le dit Marine, ce séjour sert-il seulement à faire en sorte qu’une seule réalité émerge : la version officielle?
Tout commence bien avant le départ pour la guerre. Le mensonge commence dès le moment où l’on fait croire aux jeunes qui s’engagent qu’ils vont avoir une vie pleine d’aventures, une situation enviable, et qu’ils vont voir du pays, sans que la guerre ne leur fasse aucun mal. Ces jeunes ne s’attendent pas vraiment à ce qu’ils vivront au front – les traumatismes sont d’autant plus violents.
De plus, est-il réaliste de croire que les militaires peuvent oublier la guerre – a fortiori en trois jours. Face à eux, les touristes qui dansent au bord de la piscine, eux, oublient qu’à 100 kilomètres de là une guerre a lieu. Et ces guerres ne peuvent pas être menées sans conséquence. Il est impossible – et peut-être pas souhaitable – d’oublier la guerre, les guerres, qu’on y ait participé, de près ou de loin. Chaque jour vient nous le rappeler.
Voir du pays traite de cela.
Si le film racontait les difficultés de deux femmes dans l’armée, je dirais qu’il s’agit encore une fois d’un film fait et refait. Mais, heureusement, bien que cela fasse partie des thèmes du film, le point central est ailleurs.
Aurore et Marine se connaissent depuis l’enfance et viennent d’un milieu modeste, et d’une ville moyenne, Lorient, où les possibilités d’avenir ne sont pas multiples. Elles ont choisi de faire ce que font généralement les garçons qui veulent s’en sortir : elles se sont engagées dans l’armée. Elles ont pris leur vie en main.
Pour les incarner, les réalisatrices ont choisi deux filles fortes dans la vie comme à l’écran : Ariane Labed et Soko. Ariane Labed est une perfectionniste : elle a effectué un séjour en caserne et elle a suivi un entraînement physique pendant six mois. Elle travaille son personnage en permanence. Elle a l’équilibre qui caractérise Aurore, sa capacité à réfléchir, son engagement envers et contre tout. Soko est plus instinctive, plus insaisissable, mais elle a une énergie comparable en puissance. Elle a l’humour de Marine, son grain de folie, aussi. Pour incarner Aurore et Marine, il fallait deux actrices qui n’aient pas peur de s’engager physiquement. Ariane et Soko n’ont peur de rien. Pour Soko, on peut penser aussi à sa performance dans La danseuse.
Mais pour réellement compléter l’effort de réalisme, les réalisatrices voulaient intégrer de vrais militaires à la distribution. Elles ont donc choisi cinq anciens soldats, dont un qui a un rôle important : Sylvain Loreau (Momo), qui a été démineur en Afghanistan.
Finalement, tous les acteurs ont suivi un entraînement militaire avec une coach qui a participé aux vrais « sas » avant de quitter l’armée.
Le sas de décompression a lieu à Chypre. Une île qui a appartenu à ce qui incarne le mieux la démocratie : la Grèce Antique. Elle représente aujourd’hui un des symboles de la crise politique et économique en Europe. Drôle d’idée d’envoyer des soldats qui ont perdu une guerre (en tout cas, qui ne l’ont pas gagnée) dans un territoire synonyme d’échec. L’Europe affaiblie a raté une étape à la fin de la guerre en Afghanistan, et elle le paie aujourd’hui.
Voir du pays est une œuvre sur la guerre qui n’inclut pas de scènes de combat; structuré comme une tragédie grecque, le film montre plutôt la guerre en post mortem à travers la réalité virtuelle. Il montre aussi comment l’armée n’aide pas réellement ses soldats à réintégrer la société.
Note : 8/10
© 2023 Le petit septième
Thanks, great article.