Je ne m’assois jamais.
Koroviev (Michael Yaroshevsky), un policier qui enseigne la poésie au sein d’une brigade de policiers poètes, est à la recherche d’une précieuse Bible annotée par Pierre Maheu, le capitaine du Saint-Élias, un navire mythique. Sa quête l’amène à se lier d’amitié avec un jeune brigand qui lui présente une mystérieuse femme nommée Coriandre.
Les arts de la parole d’Olivier Godin est un film expérimental pour lequel le réalisateur emprunte à différents genres et utilise un format d’image 4:3 afin de créer une œuvre unique, différente et intéressante. Le réalisateur brise les règles du cinéma, se joue des conventions, rit de la cohérence et de la logique. Ça peut en surprendre certains, mais ça en charmera d’autres, assurément.
C’est l’écrivain québécois Pierre Maheu (1939-1979) qui est au centre du film. La question nationale était au cœur des réflexions de Maheu qui, quelques mois avant de mourir dans un accident d’auto, avait d’ailleurs été mandaté pour rédiger une partie du Livre blanc sur l’avenir constitutionnel du Québec du Parti québécois. Le choix d’un intellectuel avec de telles préoccupations n’est certes pas anodin. Dans le cas présent, Koroviev recherche une Bible annotée par Maheu. Ses recherches lui feront rencontrer Coriandre, une jeune femme énigmatique qui danse et fait du théâtre.
Un autre appel patriotique, si l’on peut dire, est fait par l’entremise de quelques comédiens, dont Coriandre (Jennyfer Desbiens) et Clément (Étienne Pilon) – Clément est un suspect sous haute surveillance –, qui jouent la pièce de théâtre Aux jours de Maisonneuve de Laure Conan. Cette pièce historique s’apparente à un exercice de mémoire sur qui nous sommes, sur nos origines.
Quant à Koroviev, il est, comment dire, déstabilisant. Cet homme ne s’assoit jamais, pas même au cinéma. Et d’ailleurs, saviez-vous qu’au StarCité de Montréal, les vendredis, c’est soirée cinéma japonais? Tout à fait le style de la maison. 😉
On assiste aussi à un drôle de changement d’identité. Si tu as des yeux, des cheveux et une bouche, tu peux aisément prendre la place d’un autre homme, et ce, même auprès de sa femme…
D’abord un mot sur les images qui sont belles, et sur les jeux de lumière qui sont bien présents. Souvent sombres, elles sont travaillées, étudiées, parfois même décalées laissant par exemple un grand pan de ciel sous un personnage qui se voit un peu écrasé par ce qui le surplombe.
Le réalisateur fait aussi plusieurs superpositions d’images. Des plans mis les uns sur les autres qui créent des dédoublements, des dérèglements, du parasitage. J’aime beaucoup.
Quant au genre, on est dans ce qui s’apparente d’abord à un film policier, mais on est loin du film policier classique. Certains éléments sont plus dramatiques et d’autres relèvent carrément du film de genre. Je pense entre autres à une scène du combat digne d’un mauvais film d’action, incluant le pourchassé (Clément) dans le cul-de-sac et la « super » cachette derrière un buisson. C’est Koroviev, seul et plus âgé que ses quatre assaillants, qui sort glorieux de la bataille. Une bataille bien mimée, vraiment géniale!
C’est l’absurdité ou un certain décalage dans les dialogues (ou la narration) qui surprend le plus. Au début du film, la narratrice rend compte des événements tragiques de la « nuit meurtrière ». Peu de détails sont alors fournis sur cette nuit. On en apprend un peu sur le partenaire de Koroviev, Margerie (Michel Faubert), qu’on connaitra rapidement sous le nom du policier chantant. C’est aussi à la suite de cette nuit que Koroviev remet en doute son métier de policier. Il se plaint davantage à enseigner la littérature et la poésie québécoise à d’autres policiers, qui ne semblent pas apprécier son enseignement à sa juste valeur.
Les changements de ton sont fréquents. On passe des chansons plus folkloriques, à la poésie, au théâtre, au cinéma japonais, sans oublier un détour dans un quartier ouvrier où Clément rejoint Yolande (Ève Duranceau).
Les arts de la parole est un voyage déroutant, une expérience visuelle, dans la lignée du précédent long métrage d’Olivier Godin Nouvelles, Nouvelles.
Note : 8/10
© 2023 Le petit septième