Un caméraman, Martin (Robin Aubert), est envoyé dans un petit village du Nunavik. Son travail consiste à tourner des images d’archives pour le compte du Gouvernement Libéral. Se liant d’amitié avec une famille inuit, il prend connaissance de leurs traditions en lien avec la richesse du territoire. Parallèlement, il apprend que l’on devra bientôt déporter le village et ses habitants en raison d’exploitations minières. Confronté aux conversations téléphoniques avec son employeur et son ex-copine, le caméraman remettra en question ses propres idéaux et le but véritable de sa venue en ces terres.
Après avoir remporté le Prix Communications et Société au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue 2016, Tuktuq, de Robin Aubert, arrive aux RVCQ. Et ensuite sur nos écrans.
Faisant partie de la pentalogie Fantômes et voyages – qui a pour but de dépeindre des personnages qui, confrontés à un territoire étranger, tentent de reprendre le contrôle de leur destinée – Tuktuq raconte la prise de conscience d’un homme qui se cherche. Comme les autres films de la série, celui-ci sonde la psychologie humaine, l’identité et le subconscient.
Tuktuq (prononcé touktouk et qui veut dire « caribou » en Inuktitut) est un film à teneur politique qui marque le deuxième volet d’une série de 5 films tournés dans les 5 continents du monde. À quelle heure le train pour nulle part (prix Gilles Carle RVCQ 2009) représentait le continent Asie. Le film d’Aubert évoque celui de l’Amérique.
L’acteur et réalisateur n’a pas hésité à utiliser de longs plans fixes, sans texte ni mouvement. Ça rappelle Gerry de Gus Van Sant. Le village étant comme un personnage en soi est « devenu le sujet d’ancrage du film », disait le réalisateur. Un village, ça ne bouge pas, à moins de le déplacer (ce que tente de faire le Gouvernement Libéral, ici). Les personnages – outre Martin – se retrouvent dans une sorte d’anonymat. Ce qui permet de donner « vie » aux bâtisses et au décor. « Ce n’est pas un film de personnages, c’est un film de maisons, de territoire », disait aussi Aubert.
Tuktuq est donc un film lent, dans lequel les images sont beaucoup plus importantes que les dialogues. En fait, les dialogues ne servent qu’à complémenter les images, qui parlent d’elles-mêmes.
La majorité des dialogues du film se font entre Martin et le sous-ministre. Ces échanges sont teintés d’humour, mais n’ont, en réalité, rien de drôle. Ils sont tristement réalistes. Aubert explique qu’« [i]l y a de l’ironie et de la dérision là-dedans : deux blancs nord-américains qui refont le sort d’un peuple qu’ils ne connaissent pas. Ça permet des absurdités kafkaïennes dans la pensée et la parlure. Je me suis amusé avec ça. J’avais besoin d’idéalisme d’un côté de cynisme de l’autre. J’avais besoin d’humour et de grands espaces. Quelque chose qui ressemble à la nature propre des Inuits. »
Mais c’est l’incompréhension totale entre les deux interlocuteurs qui amène des sourires. Le ministre ne voulant pas réellement dire le but des images filmées par Martin, amène des dialogues aussi magnifiques que : « Tes images… sont belles. » « Merci. Je donne tout ce que j’ai. » « Ouin ben peux-tu donner la moitié de c’que t’as?! » Évidemment, lorsqu’on veut délocaliser des gens sans que ça crie trop, mieux vaut que la place semble laide et délabrée.
La genèse du récit provient d’une histoire vraie, ou même d’histoires vraies. Une minière qui décide de déplacer un village afin d’augmenter ses profits, ça n’a rien d’extraterrestre. « C’est vrai, et lorsqu’on s’informe le moindrement, on découvre des aberrations tant ça n’a aucun sens ce que le gouvernement est en train de faire avec le Nord. Quand on met un médecin à la tête d’un “pays”, inévitablement il va couper de manière drastique, avec un bistouri, sans émotion. Le film a été tourné en 2012, en pleine révolution étudiante, sous la gouverne d’un autre Premier Ministre. Le film a été monté en 2016, et ironiquement, le propos demeure intact. Ça fait peur. Mais encore là, c’est très kafkaïen. », expliquait Robin Aubert. Hé oui, plus ça change et plus c’est pareil.
Avec Tuktuq, on découvre aussi des traditions, des façons de faire. Ces gens peuvent nous sembler étranges, car nous avons une réalité totalement différente. Mais sont-ils dans l’erreur plus que nous? Avec ce film, Robin Aubert offre une vision ironique de la triste réalité politique du Québec.
Note : 8.5/10
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TUKTUQ Au cinéma le 24 mars