Vous vous demandez quoi faire? Vous cherchez un bon divertissement? Courrez vite voir le premier long métrage d’Éric Morin, Chasse au Godard d’Abbittibbi (2013), disponible dans quelques salles au Québec. La graphie même du mot Abbittibbi nous entraîne dans un univers ludique qui, bien que basé sur un « fait d’hiver » comme l’indique le réalisateur au générique du début, se permet plusieurs libertés avec le fait réel. En décembre 1968, dans le lointain Rouyn-Noranda en Abitibi, un cinéaste de renommée internationale débarque avec son équipe. Ils veulent faire parler le monde. Ils donnent ainsi la parole au peuple et la diffusent à la chaîne de télévision locale. Deux habitants de la ville, Marie (Sophie Desmarais) et son amoureux Michel (Alexandre Castonguay), coachés par le Montréalais Paul (Martin Dubreuil), prendront caméra et micro et iront interroger étudiants, bûcherons, femmes et mineurs.
Les événements de mai 1968 en France donnent le ton au film. On recherche le changement. On veut que les gens prennent conscience de leurs problèmes et les amener à faire la révolution. Il est impossible, du moins pour un Québécois qui aurait le moindrement suivi les événements du printemps érable 2012, de ne pas faire de rapprochements entre ces mouvements contestataires. Dans le film, certains habitants se sentent d’ailleurs vite menacés par ces cinéastes qui les font parler, qui leur demandent quels sont leurs rêves, quelle est leur réalité et qui les y confrontent. On insistera pour connaître leurs conditions de travail, leurs opinions sur le traitement des patrons… Dans une belle allégorie, on chassera avec violence Jean-Luc Godard et ses troupes, sans réellement questionner les raisons profondes qui l’ont mené en Abitibi. Qu’ils repartent de cette tranquille contrée où les habitants ne souhaitent pas se faire ouvrir les yeux, ne sont pas prêts à combattre. Une violence justifiée? Il faut dire qu’armés de leurs mots, les cinéastes sont très menaçants, probablement autant qu’un groupe d’étudiants qui déambulent dans les rues… La chanson La recette de la liberté du mineur Réal V. Benoit est un des moments forts du film. Tristement, la chanson dit que la mort est la seule façon d’atteindre la liberté.
Éric Morin s’amuse aussi à insérer des plans carrés, à l’image de ceux qu’une caméra de l’époque aurait produits. Ainsi, les entrevues sont présentées dans ce format, conférant un côté archivistique à ces images. On peut aussi penser au cinéma direct de chez nous des années 1950-1960. Godard venait changer la perception que les gens de cette région avaient des médias de communication. Il faut dire que dans le film, le cinéaste français n’est que le prétexte. Il sera plutôt effacé, renvoyé à une allégorie, à la quête d’images typiques des grands territoires québécois… Pour en apprendre davantage sur sa visite, je vous invite à visionner le court documentaire de Julie Perron, Mai en décembre (Godard en Abitibi).
Le jeu des acteurs est aussi très bon. Sophie Desmarais, étoile montante du moment (pensons aussi à sa performance dans Sarah préfère la course ou à ce elle dans la pièce Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël), est excellente. Son regard très souvent capté en gros plan par Paul témoigne bien d’un désir de liberté, de la difficulté à exprimer ses rêves et à les réaliser.
Chasse au Godard d’Abbittibbi est un film ludique qui porte à réfléchir sur les aspirations profondes d’un peuple à s’affranchir de l’autorité… Une difficile quête de liberté!
Note : 8,5/10
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