Le dernier souffle – Combat et résignation d’une icône montréalaise

Affiche Le dernier souffleFondé par Jeanne Mance en 1642 en même temps que la ville, l’Hôtel-Dieu de Montréal est sur le point de disparaître, pour être remplacé par le nouveau CHUM. Le dernier souffle nous plonge dans un espace clos où la vie, la mort, l’amour et l’amitié se côtoient. Ce film est surtout une histoire de courage et de résilience, celle de ses derniers occupants. Telle une mise en abyme empreinte d’humanité, petits et grands événements des deux dernières années se succèdent tout au long du film. Par la suite, rien ne sera plus jamais pareil.

Enfin, un film mettant en vedette les protagonistes du système de santé et les lieux qui les voient évoluer qui ne tombe pas dans le cynisme, qui ne soit ni exagéré ni trop mielleux. Nous sommes loin des apparitions souvent fugaces dans d’autres films où le manque de ressources est décrié maladroitement, où l’exaspération des acteurs est mise de l’avant.

Alexandra Beaudry et sa maman, dans Le dernier souffle
Alexandra Beaudry et sa maman

Nous pourrions nous retrouver dans n’importe quel hôpital, là où derrière les manchettes décriant des absurdités, se vit tantôt des drames, tantôt des victoires, de grandes histoires d’amitié et même parfois quelques-unes d’amour, des éclats de rire, des larmes d’espoir ou de désespoir. Des histoires de guérison s’alternent avec l’acceptation de la mort ou son viscéral refus. Et comme trame de fond, on sent l’authenticité, des trous sur les murs aux taches sur les jaquettes, en passant par le téléphone qui sonne sans répit, sans jamais tomber dans le caricatural ou le mauvais goût malaisant; un film rempli de nécessaires nuances et de profond respect pour ce qui a été et ce qui subsiste.

De la sincérité dans les réactions, dans ce réel sentiment d’appartenance à l’Hôtel-Dieu que tous ces gens réunis (du bénévole au chirurgien cardiaque, de l’infirmière à l’apiculteur – car oui on trouve des ruches à l‘Hôtel-Dieu, qui aurait pu s’en douter? – en passant par les patients habitués aux membres de la communauté religieuse encore présente, discrète mais profondément enracinée) témoignent chacun à leur façon. Les petites histoires humaines s’imbriquent ainsi dans l’histoire avec un grand H. Comme une famille qui s’invite un dimanche pour le souper et qui se rappelle, qui s’explique le passé pour mieux comprendre où le futur les mènera, qui refuse de croire que tout est fini. Les murs de l’Hôtel-Dieu nous parlent. La trame sonore y est forte et harmonieusement présente, elle en est même un personnage principal, tout comme l’hôpital lui-même, imposant, bruyant dans son cri silencieux.

L'Hôtel-Dieu en noir et blanc (image d'archives), dans Le dernier souffle.
L’Hôtel-Dieu

J’ai découvert des faits historiques que j’aurais pu certes trouver ailleurs, mais présentés dans Le dernier souffle d’une manière si agréable, si sincère, si humaine que certains des participants continuent de résonner en moi le lendemain de l’écoute. Un puissant désir de ne pas voir mourir ce qui a été, de s’en rappeler avec simplicité, de s’y accrocher un peu encore. Des photos d’archives qui mettent une image sur les explications, qui mettent en parallèle le passé et le présent pour mieux comprendre le drame qui se vit, la fin de la boucle imminente.

J’ai aimé qu’on nous présente en avant-plan l’humanisme de la communauté religieuse fondatrice et de ses dernières représentantes; ainsi, le volet purement religieux y a été transcendé. Le film ne se veut pas un faire-valoir de Dieu, mot qui n’est même jamais prononcé. Jérôme Royer, le fondateur de la communauté, était d’ailleurs laïque, comme l’indique une des leurs. On y entrevoit le phénomène grandissant du patrimoine religieux québécois vendu aux enchères à des sociétés privées ou aux instances gouvernementales, de plus en plus présent dans la belle province, qui traduit une perte de repères, un recul de notre mémoire collective en quelque sorte.

Photo d'une religieuse, dans Le dernier souffle
L’une des religieuses de la communauté

Il aura fallu à la réalisatrice Annabel Loyola, originaire de la même ville que Jeanne Mance, apprend-on avec un sourire dans le film, beaucoup de recherches pour développer Le dernier souffle. 2 ans de tournage où les 4 saisons se chevauchent, un cœur qui bat, le tic-tac du temps qui passe, inexorablement. On perçoit la richesse des propos, l’harmonie et la pertinence des interactions, on sent que la crème des images et des dires ont été retenus pour le résultat final. Certes, ce film n’a pas employé d’acteurs, mais le jeu de la mise en scène est efficace, les protagonistes sont attachants, et on se surprend à vouloir aller découvrir ce jardin perdu au milieu de la ville.

J’aurais aimé par ailleurs que la réalisatrice pousse un peu plus loin vers les solutions envisagées, de façon concrète, pour poursuivre et achever l’hommage de ceux qui ont tracé la route. On sent même de la résignation toute pudique devant cet état de fait, de la part de presque tous ceux que l‘on croise, lors de cette délicieuse visite – ce qui peut laisser amer suite au visionnement, mais désireux de participer au recyclage collectif de notre Histoire.

En hommage à une institution qui va bientôt mourir, un film rempli de vie, tout en lumière. Pour que le cœur se souvienne, pour que la mémoire ne flanche jamais. Merci Annabel d’avoir su redonner ses lettres de noblesse à un monument québécois fier de ses 375 ans, fraction de la longévité de ceux de ta terre d’origine.

Note : 9/10

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