P.S. Jérusalem – Retour aux sources

« Ce que les hommes croient être vrai,
est souvent plus important que la vérité elle-même… »
Amos Elon

P.S. Jerusalem - AfficheMalgré les avertissements de son père, Amos Elon, un grand journaliste israélien opposé aux politiques de son pays, Danae Elon décide de quitter Brooklyn avec son mari et leurs deux jeunes garçons pour retourner vivre dans sa ville natale de Jérusalem. Pendant trois ans, elle filme les défis quotidiens de sa famille. De l’apprentissage d’une nouvelle culture par ses enfants aux profondes difficultés d’intégration de son mari, en passant par la prise de conscience inévitable des tensions insurmontables au sein de la région, ce retour aux sources va devenir une véritable quête d’identité. Avec une grande sincérité, la cinéaste nous propose une chronique autobiographique, familiale et politique aussi juste qu’inoubliable.

La semaine dernière, j’ai eu l’occasion de regarder le documentaire Les colons, qui traite de l’installation de Juifs dans des colonies afin de chasser les Palestiniens d’Israël. Et cette semaine, pour continuer dans la même veine, j’ai vu P.S. Jérusalem de Danae Elon.

Sachez, avant de vous lancer dans cette aventure, qu’il faut un minimum de connaissance à propos de la situation en Israël pour pouvoir apprécier le film. Il ne s’agit pas d’un portrait de la situation là-bas, mais plutôt une chronique, une tranche de vie, sur fond politique.

PS-Jerusalem - Tristan Elon
Tristan Elon qui s’est fait offrir un masque à gaz et qui se demande ce que c’est

C’est un pari risqué dans lequel Elon s’est embarquée. En mettant les siens sous les feux de la rampe, elle risquait de briser sa famille. D’ailleurs, il semble que ce soit passé proche. Outre les différences culturelles, ils arrivaient dans un pays en guerre. En guerre constante.

La guerre de religion

En s’installant en Israël, la réalisatrice savait qu’elle prendrait automatiquement part à la guerre entre les Juifs et les Palestiniens. Dans ce genre de conflit, tu ne peux pas être neutre. Tu seras automatiquement classé dans un camp ou dans l’autre. Danae Elon est d’origine juive. Mais elle refuse de s’attaquer aux Palestiniens à cause d’un simple choix religieux. Elle et sa famille se retrouvent donc automatiquement classées dans la catégorie des traitres par le camp juif.

Cette guerre religieuse est la raison principale pourquoi le père de Danae a quitté le pays 30 ans auparavant. Malgré qu’il était un des journalistes les plus respectés du pays, il ne pouvait encourager la destruction de son pays par la classe politique qui utilisait les conflits religieux comme des instruments de pouvoir.

Vie de famille

P.S. Jérusalem - Philip
Philip

C’est après avoir décidé de quitter New York pour Jérusalem que Danae Elon a commencé à filmer ses trois jeunes fils et Philip, son mari. La décision a été motivée par la mort de son père, Amos Elon. Son dernier souhait avant de mourir, c’était de s’assurer que Danae n’y retourne jamais, mais son attachement au lieu qu’elle a toujours appelé « la maison » était plus fort qu’elle. C’est donc dans un voyage vers et à Jérusalem que la caméra de Danae capture ses trois jeunes garçons qui grandissent, posant des questions sans fin et confrontant la réalité qui les entoure. L’endroit qu’elle a jadis vu comme « la maison » met au défi sa relation avec son partenaire et l’avenir de ses enfants. C’est à travers le prisme de la parentalité, des enfants et d’une famille que l’histoire de ce film expose un portrait profond, complexe et douloureux du Jérusalem d’aujourd’hui.

Évidemment, ce n’est pas facile de vivre ce genre de déplacement. Pour Philip, c’est au niveau professionnel que c’est le plus difficile. Ne parlant pas hébreu, et n’étant pas juif, il se voit ostracisé par la communauté locale. Et comme sa femme est d’origine juive, il n’est pas très bien accepté non plus par les Palestiniens. Il est donc incapable de se trouver du travail, ni de s’intégrer à la communauté. Pour les enfants, c’est différent. Le plus vieux (Tristan), âgé de 4 ans au début du voyage doit s’adapter rapidement à un univers qu’il ne comprend pas. Pourquoi les gens font-ils la guerre? Pourquoi a-t-il toujours des alarmes qui retentissent? Pourquoi les voisins se font-ils chasser de leur maison? En réalité, ces voisins ne sont pas chassés de leur maison, mais uniquement de leur salon. Malheureusement pour eux, le salon de leur appartement est situé sur une partie de territoire ayant ancestralement appartenu aux Juifs. Ils doivent donc accepter de vivre en permanence avec des gens qui violent leur intimité en prenant place dans le salon. Évidemment, le tout sous surveillance militaire. Pour Andreï, le 2e, qui a 2 ans à son arrivée en Israël, c’est une grande désorientation, mais une adaptation plus facile. Puis, il y a le petit Amos qui naitra à Jérusalem.

P.S. Jérusalem - les enfants se promènent dans la rue
Andreï, Tristan et un ami

Tout au long du périple on verra les 3 enfants grandir et s’adapter à leur nouveau milieu de vie. Mais sans réellement s’y attacher. À quelques reprises, on peut voir Tristan et Andreï qui demandent à retourner à Manhattan. Pour eux, c’est l’école qui aidera à leur intégration. Mais la réalité israélienne n’est pas simple…

L’école

P.S. Jérusalem - l'école Hand in Hand
La classe de Tristan

L’école Hand in Hand de Jérusalem est la seule école de la ville où les enfants arabes et juifs étudient ensemble, apprennent le langage et les différentes coutumes, cultures et religions de chacun des deux groupes. En fait, ce sont les enfants chrétiens, juifs et musulmans qui étudient tous ensemble dans un environnement très stimulant de discours social et communautaire. Toutes les fêtes religieuses sont observées et apprises par les élèves d’une manière respectueuse et égale.

Mais, évidemment, tout n’est pas si simple. Chaque jour, des enfants se font battre parce qu’ils ne sont pas de la religion des bourreaux.

P.S Jérusalem - Tristan et Luai à une cérémonie
Tristan et Luai

Pour les Elon, ça signifie se faire tabasser par les Juifs lorsqu’ils ont le malheur de se retrouver seul avec un groupe d’enfants juifs, et de se faire tabasser pas un groupe d’Arabes lorsqu’ils sont seuls avec eux. En ayant des origines mixtes, plutôt que d’être accepté des deux côtés, ils se voient plutôt rejetés des deux côtés. Tout de même, ce récit mènera à une première vraie amitié pour Tristan. Et à une première séparation lors du retour en Amérique, alors qu’il doit dire adieu à Luai…

Une famille du monde

La famille de Danae est réellement ce que l’on pourrait appeler une « famille du monde ». D’origines éparses, ses 5 membres sont nés à différents endroits et ont vécu dans un grand nombre d’endroits, prenant un peu de chaque culture pour en faire la leur. Philip est né en Algérie et a immigré en France avec ses parents. Ne s’y sentant pas à l’aise, il tentera l’expérience israélienne une première fois, avant de s’installer à New York. Danae, elle, est née en Israël, avant de se retrouver en Italie où elle a étudié. Et finalement, se retrouver, elle aussi, à New York. C’est là que sont nés les deux premiers garçons du couple. Puis, Amos est né à Jérusalem 3 mois après l’arrivée de la famille en Israël.

Mais encore…

La réalisatrice Danae Elon
Danae Elon

Ce que raconte P.S. Jérusalem, c’est le voyage au centre d’elle-même d’une femme qui cherche qui elle est. La réalisatrice explique : « Quand j’ai choisi de rentrer à la maison, je savais à quoi nous faisions face, et Philip mon partenaire était beaucoup plus positif que moi sur les possibilités et l’importance de le faire. Ce qui s’est passé au cours des trois années suivantes est devenu un attachement total et inattendu à un endroit que j’ai aimé et haï. »

Je veux terminer en laissant la parole à la réalisatrice, qui résume bien le film, mais aussi les raisons qui l’ont menée à faire les choix qu’elle a faits : « Le film dans son intégralité n’est pas un voyage politique ou intellectuel, mais un sentiment profondément sincère, émotionnel. Les moments de “grâce”, que ce soit la chute de neige, la promenade en train, la promenade sur le bord de l’eau, la façon dont ma famille est photographiée – tous gardent en eux mon amour, mon attachement et notre profond désir de faire en sorte que notre vie fonctionne. »

Note : 8.5/10

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur le travail de Danae Elon, vous pouvez suivre son blogue.

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