If someone can hypnotice you with only a row, he’s a genius.
Because there’s the essence of everything in nothing. And that’s art.
Yossi Yungman à propos de Tabula Rasa (1986)
Mr Gaga de Tomer Heymann, c’est l’histoire fascinante d’Ohad Naharin, célèbre chorégraphe de la Batsheva Dance Company, dont les performances dégagent une puissance et une beauté inégalées. Le film nous dévoile le processus créatif d’un chef de file incontesté de la danse contemporaine, l’invention d’un langage chorégraphique unique et d’une technique de danse hors-norme appelée « Gaga ».
Qu’est-ce que ce film? C’est plus de 7 ans de tournage aux États-Unis, en Isarël, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suède et au Japon; c’est 650 heures d’images d’archives sur 30 ans. Cela signifie ainsi une quantité incroyable de matériel parmi lesquelles le réalisateur a dû faire des choix, on se doute parfois déchirants.
C’est aussi une intrusion dans l’intimité du danseur et chorégraphe israélien, de même que dans sa vie professionnelle. C’est l’envers du décor de la danse par des séquences montrant les répétitions : « Pour Ohad, le studio est un sanctuaire. Il m’a dit une fois qu’il préfèrerait me laisser entrer dans sa chambre que dans son studio! J’avais peur que notre présence ne vienne gâcher la magie qui s’opère entre lui et ses danseurs. Je pense qu’après plusieurs années passées dans ce studio, Ohad et ses danseurs ont fini par s’habituer à nous. L’un des moments forts du film est lorsque le spectateur sent que la caméra capte un instant qui aurait pu se produire en l’absence de la caméra. », spécifiait Tomer Heymann.
Le chorégraphe a longuement hésité avant de s’ouvrir, de mettre de l’avant les aspects plus personnels de sa vie. Ce n’est qu’après avoir ouvert ses archives personnelles au réalisateur – ce qui est venu quelques années après le début du projet documentaire – que le film a pu nous en révéler autant sur Naharin.
La danse a commencé à l’habiter dans son jeune âge. On le voit danser, faire des cabrioles, à 5 ans. On le voit au début de la vingtaine, ses auditions, ses premiers spectacles, etc. Il nous parle de sa première femme, la danseuse Mari Kajiwara, de leur complicité par la danse, de sa disparition. L’homme se dévoile petit à petit, toujours à partir de son expérience de la danse.
« Gaga est un langage, incarné dans une série de mouvements. Le principe, c’est d’écouter son corps avant de lui dire quoi faire. Procéder ainsi permet de prendre conscience de nos blocages physiques, de nos faiblesses/atrophies et aussi de dépasser chaque jour ces limites devenues routinières, familières. L’idée est de développer une habileté à se déplacer instinctivement, en apprenant à lier ensemble la délicatesse et la puissance impulsive que nous avons tous en nous. Apprendre à rire de nous-mêmes, à mettre ensemble notre passion avec la puissance de notre imagination, tout en développant nos habiletés, nos compétences physiques. », expliquait le chorégraphe.
On voit ainsi Naharin donner des cours collectifs où une foule danse de façon plutôt désordonnée. Il ne faut pas se préoccuper des apparences. C’est une libération par le mouvement. C’est un mode d’expression en soi.
Quant aux chorégraphies de Naharin, elles sont animales, un savoureux mélange de délicatesse et d’agressivité. Il faut dire que la mort et la douleur font partie intégrante de son imaginaire. Au début des années 1970, Naharin avait fait plusieurs prestations dans l’Army Entertainment Troup. Il avait ainsi dû performer devant des soldats traumatisés et cette expérience de la guerre a inévitablement influencé son art.
Les corps sont des machines qu’il contrôle parfaitement. Cela tient tant pour son corps que pour ceux de ses danseurs envers qui il est très exigeant. Ils le représentent sur scène, ils se doivent d’être à la hauteur de ses attentes et de ses exigences. Les corps des danseurs paraissent le plus souvent désarticulés, brisés.
La beauté de ce documentaire repose ainsi sur la multiplication des extraits de spectacles et sur la possibilité de voir l’évolution des mouvements à travers les répétitions. On réalise plus encore l’ampleur de l’exigence physique que cela implique, de même que de la force mentale.
Mr Gaga, c’est le mouvement, la découverte du mouvement. C’est l’expression parfaite du corps, des corps. C’est dire sans mots…
Note : 7,5/10
La plus récente œuvre de la Batsheva Dance Company, Last Work, d’Ohad Naharin est présentée le 17 janvier au Grand Théâtre de Québec, puis du 19 au 21 janvier au Théâtre Maisonneuve de la Place des arts de Montréal.
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