« Je m’ennuie de chez nous…
– Chez nous, c’est ici maintenant. »
L’enfance, la période de l’insouciance complète, du sentiment incontesté de protection inconditionnelle par les parents. La période où tout crayon banal peut faire naître une nouvelle amitié, où toute promenade plate dans le quartier a le potentiel de se transformer, par la puissance de l’imaginaire, en une mission rocambolesque. Les deux fillettes de 10 ans, Tia (Tia Bshara) et Piujuq (Nuvvija Tulugarjuk), qui constituent le centre du film éponyme de Lucy Tulugarjuk, y sont encore en plein dedans, sauf que l’insouciance n’est pas évidente.
Au Nunavut, Piujuq et sa grand-mère inuite doivent patienter sous une tente avant de pouvoir rentrer chez eux tandis que Tia et sa famille ont dû quitter leurs proches en Syrie pour recommencer à zéro à Montréal. Qu’est-ce qui nous permet d’ériger un havre de paix autour de nous à un moment de notre vie où tout est en bouleversement? Tia lit, dévore, ingurgite son livre d’images sur la mythologie inuite, en dessine les personnages et animaux aux noms qu’elle ignore, mais dont le mystère la fascine tant. Un jour, la réalité et la fiction se mélangent et Tia découvre un portail magique qui l’amène dans la toundra arctique… directement entre les mains de Piujuq.
Bizarrement, ce n’est pas dans la métropole libérale et multilingue de 1,7 million d’habitants que Tia arrivera à rencontrer de nouveaux amis, mais c’est plutôt à un endroit climatiquement hostile et guère peuplé, parmi les rares membres d’une communauté aux modes de vie tout à fait différents de ce que Tia connaît. Lorsque Tia fait connaissance avec Piujuq, il n’en faut pas longtemps pour que les deux filles deviennent copines : on les observe alors rigoler, caracoler au bord de la mer ou écouter la grand-mère raconter les vieilles histoires de la mythologie inuite. À défaut d’une langue commune, Tia et Piujuq se servent tout naturellement de leur peu d’anglais, ou alors de la vraie lingua franca : l’humour.
« Tia, va dessiner dans ta chambre… » Chassée à la maison par ses parents pour la protéger des mauvaises nouvelles de la guerre en Syrie, la fille de 10 ans n’a pas besoin de réfléchir longtemps pour savoir qu’elle fera régulièrement l’aller-retour entre ses deux mondes…
C’est chez Piujuq que Tia se sent détendue et libre. Ceci est rendu possible par un travail esthétique simple, mais efficace. L’harmonie suggérée par la réapparition des mêmes couleurs – le bleu et le rose – reflète, pour commencer, la bonne entente entre les filles. Le choix de plans contraires souligne ensuite l’opposition entre le Nunavut, monde insouciant des enfants, et Montréal, monde sérieux des parents : dans la métropole québécoise, Tia et ses parents sont presque toujours montrés à l’intérieur de l’appartement, le plus souvent même visuellement encadrés par la porte et la caméra y reste statique, rapprochée sur les personnages.
Au Nunavut, aucun enfermement, mais la pure liberté : la caméra bouge et montre les fillettes souvent en plan général. L’élément esthétique qui unit tout de même les deux pôles est le livre pour enfants sur les Inuits, dont les images et histoires sont montrées ici et là sous forme de petits clips animés.
C’est sûr que le message du film est sublime – celui de montrer que l’amitié ne connaît pas de frontières et que les cultures ne sont après tout pas si différentes les unes des autres. Toutefois, ce qui m’a irritée, c’est le jeu des acteurs – amateurs et professionnels –, qui, pour moi, s’apparentaient souvent à des marionnettes « lisant » le scénario au lieu de vraiment rendre vivants les personnages en « incarnant » leurs pensées et paroles.
Ceci peut être irritant, et ça l’était, mais ça a aussi fini par devenir un atout supplémentaire du film, dans le sens où il montre deux filles – les actrices et pas leur personnage – qui, elles, font connaissance l’une avec l’autre, et finissent par se lier d’amitié si bien que leur comportement ne semble plus maladroit, mais naturel : d’abord un peu timide et après plus assuré. Et assister à la naissance d’une amitié réelle c’est une chose encore plus belle…
Tia rend donc régulièrement visite à sa nouvelle copine, mais un jour le portail ne s’ouvre plus. Les créatures magiques des légendes inuites peuvent-elles aider Tia à rentrer chez elle?
Tia et Piujuq, c’est un film pour toute la famille qui va faire rêver les petits et faire sourire et réfléchir les grands. Réfléchir surtout à la force de l’amitié et de notre imaginaire, au rôle réconfortant des livres et des images à des moments sombres de notre vie. Un film idéal donc pour les Fêtes…
Note : 7/10
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