« Un réalisateur a déjà dit qu’un réalisateur est une personne qui a tant de problèmes à gérer qu’il n’a jamais le temps de réfléchir. Je pense que c’est ce qui se rapproche le plus d’une définition. »
Ingmar Bergman
Ingmar Bergman est considéré comme l’un des réalisateurs les plus importants de l’histoire du cinéma. À l’occasion du centenaire de sa naissance en 2018, la cinéaste allemande Margarethe Von Trotta s’interroge sur l’héritage du maître, son travail et sa vie personnelle, qui continue d’inspirer des générations de réalisateurs.
Ingmar Bergman a réalisé plus de 50 films, produit plus de 100 pièces, filmé un opéra et écrit des scénarios qui ont marqué l’histoire du cinéma. Peu de cinéastes ont entremêlé leur vie privée à leur travail et rayonné à travers lui comme il l’a fait.
Bergman a toujours parlé de problèmes existentiels d’une manière inattendue. Dans ses films, il aborde le sens de la vie, la foi et la religion, l’amour et le sexe, la maladie et la mort, mais aussi les crises d’inspiration, l’échec, la culpabilité et l’impossibilité de se rapprocher des autres. C’est ce qui a rendu ses films magiques, mais aussi ce qui a donné lieu à des scandales, des controverses et une forme d’incompréhension au sein de son public.
Bergman n’avait pas peur de regarder au fond de l’abîme, et il ne faisait jamais de compromis. Certains de ses films contiennent d’ailleurs des scènes de sexe explicites. Un été avec Monika a été considéré, lors de sa sortie en 1954, comme un film pornographique par le public allemand, alors qu’en France il a déclenché une révolution cinématographique.
À partir du milieu des années 1950, Bergman exerce une influence cruciale sur des cinéastes comme Godard, Truffaut et Rohmer, qui lanceront plus tard la Nouvelle Vague et lui rendront hommage dans leurs premiers films. Sa célébrité croissante à travers le monde doit beaucoup à ces jeunes réalisateurs qui le couvrent de louanges dans les Cahiers du Cinéma. En 1958, Jean-Luc Godard le décrit dans les Cahiers comme « l’auteur le plus original du cinéma moderne » et, en 1959, Truffaut fait déjà référence à Un été avec Monika dans Les quatre cents coups.
Dans Searching for Ingmar Bergman, on découvre à quel point le réalisateur était tourmenté. Et la réalisatrice le découvre aussi. Elle l’explique ainsi : « Mais tandis que j’avançais dans mon enquête, je me suis rendu compte qu’il était beaucoup plus complexe et tourmenté que je ne le pensais. C’est ce que raconte son fils Daniel. »
Il raconte que son père ne l’aimait pas réellement. C’est étrange. Autant que Bergman était proche de ses actrices, autant qu’il était loin de ses enfants. C’est peut-être sa dernière femme, Ingrid Bergman, qui résume le mieux l’incapacité de l’artiste à être père lorsqu’elle explique que d’être un artiste de grand talent et être parent n’est pas compatible.
Et la réalisatrice poursuit en montrant la fascination de Bergman pour Hitler et sa fuite vers l’Allemagne qui est beaucoup moins connue. Même des experts comme Olivier Assayas (qu’on voit dans le documentaire), qui maîtrisent leur sujet, ne savent rien ou presque de sa période à Munich. En tant qu’Allemande, ayant vécu dans cette ville au même moment que lui, la réalisatrice trouvait intéressant de raconter son expérience.
En Allemagne, il a tourné L’œuf du serpent et La vie des marionnettes : deux films très durs, car il traversait une période sombre de sa vie. Il avait dû quitter la Suède, car il se sentait terriblement humilié suite à des déboires avec le fisc. Quand on regarde ses films, le thème de l’humiliation est d’ailleurs central.
Il est donc vraiment intéressant de voir que Von Trotta, malgré qu’elle s’identifie comme une descendante du maître suédois, ne passe pas par outre le côté sombre de l’homme. Sans oublier, évidemment, de montrer son génie. Et son féminisme avant-gardiste.
Elles sont au centre de son œuvre. À une époque où les femmes n’avaient que très peu de bons rôles, Ingmar Bergman les mettait au centre de ses œuvres. Et il était fidèle à ses actrices, ses muses.
Et Von Trotta fait une large place à ces femmes. Elle rencontre Liv Ullmann, Rita Russek, Gunnel Lindblom et Julia Dufvenius, entre autres. Quand on regarde les films du maître, ou même des extraits, on comprend rapidement qu’il avait un flair incroyable lorsqu’il devait choisir une actrice.
Et c’est à partir de ces femmes que la réalisatrice part à la recherche de Bergman. Elle cherche les motivations et les sources d’inspiration de son mentor, qui projetait ses propres peurs dans ses films et créait des personnages qui l’incarnaient à l’écran.
« On m’a proposé de réaliser ce documentaire car je connaissais bien l’œuvre de Bergman. Un an après sa mort, en 2008, on m’a invitée sur son île à Fårö, où ils organisent chaque année un festival en son honneur. J’ai parlé de lui et vu tous les endroits où il avait filmé. J’avais déjà des attaches avec la Suède où mes films étaient sortis et j’ai toujours déclaré que Bergman était mon maître. C’est lui qui m’a donné envie de devenir réalisatrice, même s’il m’a fallu du temps pour embrasser cette carrière. »
Comme l’explique le titre, Von Trotta part « à la recherche de Bergman », ce qui implique un processus actif. Ici, ça se présente comme un mouvement intérieur, car cette quête relève d’une démarche intime. Mais ça se présente également comme un mouvement extérieur, qui passe par la Suède, l’Allemagne et la France. Un voyage qui nous amène sur la piste d’un des créateurs les plus admirés de l’histoire du cinéma, mais aussi d’un des plus incompris.
Pour quiconque s’intéresse au cinéma et à son histoire, Searching for Ingmar Bergman est à voir.
Note : 8/10
Visionnez la bande-annonce :
© 2023 Le petit septième