Combien de vaches rapporte la mutilation sexuelle de petites filles dans le nord de la Tanzanie, pays pauvre d’Afrique de l’Est? C’est l’une des questions que soulève la documentariste Giselle Portenier dans son troublant documentaire, In the Name of Your Daughter. Mais le film est aussi et surtout une leçon de courage tant de la part de Robhi Samwelly, qui consacre sa vie à sauver ces petites filles, que des fillettes elles-mêmes qui fuient leur famille pour échapper à ce cruel rituel.
La Tanzanie a interdit les mutilations sexuelles depuis de nombreuses années déjà. Mais le phénomène reste présent même s’il est en diminution. Robhi Samwelly, une femme très charismatique, n’a pu échapper à cette mutilation lorsqu’elle n’était encore qu’une jeune adolescente de 13 ans, mais elle a décidé de consacrer sa vie à préserver des fillettes de cette tradition barbare.
Elle a ouvert une maison où peuvent se réfugier ces enfants, parfois âgées de 8 ans à peine. Elle se promène dans les écoles primaires de la région pour éduquer les enfants, filles et garçons, et dans les villages pour expliquer aux parents les dangers de cette pratique ancestrale. Une question de droits humains comme le disent elles-mêmes les fillettes, au-delà des dangers évidents que cela représente pour leur santé. Il n’est pas rare que des jeunes filles meurent des suites d’hémorragie après avoir subi l’ablation du clitoris et des petites lèvres.
Pour échapper à ce rituel et se réfugier chez Robhi, les petites filles font preuve d’un immense courage : non seulement elles fuient à travers la savane peuplée d’animaux dangereux, mais surtout elles doivent se résigner à se séparer de leur famille. Des parents qu’elles aiment malgré tout.
C’est en décembre, au moment des vacances scolaires, que se déroule la « saison de coupe ». C’est alors que les fillettes s’échappent de la maison. Quand le film a été tourné, environ 240 d’entre elles se trouvaient au refuge prévu pour 40 filles. Elles partagent des lits, s’échangent des vêtements, jouent comme des enfants et développent de façon éclatante leur esprit critique face au danger qui les guette. Et surtout, elles refusent d’abandonner leur rêve d’avenir : s’instruire, devenir indépendante et utile à la société.
Pendant ce temps, Robhi fait le tour des villages et tente de convaincre les parents du danger qui guette leurs filles si elles sont soumises à cette pratique et de son inhumanité. Mais elle doit faire face au poids de la tradition et au poids économique qu’elle représente.
Dans cette région du nord de la Tanzanie, l’excision se pratique autant chez les chrétiens et les animistes que chez les musulmans. Ce n’est pas une question de religion, mais de préjugés. Les parents sont convaincus qu’une fille excisée aura de meilleures mœurs et sera plus fidèle à son mari.
Et c’est aussi une grosse question d’argent. La dot sera beaucoup plus élevée si la jeune fille à marier a été « coupée » : 12 vaches plutôt que 6. Et toutes les célébrations qui entourent la « saison de coupe » génèrent de bonnes affaires. Dans une scène assez surréaliste, un jeune tailleur explique qu’il fait beaucoup plus d’argent en décembre parce que les familles commandent de nouveaux vêtements, le commerce de vaches est en hausse, etc. Assis autour de lui, ses amis sont hilares.
Dans son combat contre les mutilations sexuelles, Robhi n’est pas seule. Les forces de l’ordre sont très actives. Les policiers font des descentes la nuit dans les maisons où l’on soupçonne qu’une cérémonie est en cours de préparation. Des exciseuses et des parents sont arrêtés, traduits en justice et condamnés à de lourdes peines de prison.
Quand la « saison de coupe » se termine vers la fin décembre, Robhi Samwelly ramène dans leur famille les fillettes dont les parents acceptent de signer une promesse de ne jamais faire subir l’excision à leurs filles. On assiste à des scènes déchirantes où certains parents refusent et la fillette doit repartir vers le refuge.
Ce film est bouleversant, mais porteur d’espoir : les fillettes sont d’une lucidité incroyable pour leur âge, très déterminées à échapper à cette pratique barbare et à réaliser leur rêve d’avenir. Robhi Samwelly est un monument de courage et de résilience.
In the Name of Your Daughter a gagné de nombreux prix, très mérités. À voir sans faute.
Note : 9/10
In the Name of Your Daughter est présenté au Festival du Film Black de Montréal le 27 septembre 2018.
Visionnez la bande-annonce :
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