« …ceux qui sont possédés d’une ardente ambition et d’une notable avarice se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. »
Michelle (Jézabel Drolet) et Louis (Emmanuel Auger) forment un couple. Elle travaille pour une banque et est pressentie pour remplacer l’ancienne directrice qui a quitté pour épuisement professionnel. Lui suit une formation de technicien en téléphonie. Il est dépassé par les exigences techniques des nouveaux réseaux de communication. Épuisés, pris dans de multiples péripéties et sur le bord d’un burn-out, leur vie prend un tournant inattendu lorsque la sœur de Michelle arrive à l’improviste.
Un nouveau film de Michel Jetté, c’est comme une érection à 80 ans : tu ne veux pas manquer ça! Avec Burn Out ou La Servitude Volontaire, son cinquième long métrage, le réalisateur nous amène dans la vie – et surtout dans la tête – d’un couple pour qui rien ne va plus. Film à l’image et à l’atmosphère étranges, ce long métrage est étonnant, déstabilisant et dirigé de main de maitre.
Nous visons dans une société de surconsommation. Michelle et Louis en sont l’exemple parfait. Et cette surconsommation est à la base de leurs problèmes. À plusieurs reprises, Louis reprochera à sa conjointe qu’ils vivent pour payer leur « criss » de maison.
S’ajoutent à cela toutes les autres choses que Michelle veut et que Louis tente de lui donner, dont le foutu cabanon. Endroit où lui passe la majeure partie de son temps, lorsqu’il n’est pas au travail… Et malgré leur superbe et grosse maison, il semble qu’il manque toujours quelque chose. Et pourquoi ne pas acheter un Bed & Breakfast? L’argent manque, mais on peut surement trouver quelqu’un qui acceptera de le prêter. Non?
Mais ce qui détruit le plus ce couple (image de notre société), c’est leur travail. Parce que notre travail n’est-il pas l’image de nous-mêmes? Pour arriver, Michelle accepte une promotion alors qu’elle revient tout juste d’un repos forcé de 2 semaines dû au stress. Et Louis prend un nouveau travail qui le dépasse complètement. Mais, au moins, ils pourront payer leur maison et ils auront le prestige. Après tout, être directrice d’une banque, c’est pourquoi Michelle a fait toutes ses études. Sans oublier le salaire qui vient avec l’emploi. Oui, ça parait fucking bien.
Mais le stress, lui? Burn Out ou La Servitude Volontaire est une forte critique de notre mode de vie centré sur la réussite financière et sur le besoin de le montrer. Ce n’est pas pour rien que le burn-out est une des maladies mentales les plus répandues. Avec les attentes que notre société de surconsommation place en nous, il n’est pas étonnant que beaucoup de gens tombent au combat.
Mais outre le scénario extraordinaire de Jetté, c’est l’image qui frappe. En offrant une image « sale », vieillie, crue, le réalisateur affirme avec force le poids qui pèse sur ses personnages. Ce film qui commence avec cette image grinçante, sur une autoroute, sur du béton ne suffisait pas. Pour bien nous étouffer, Jetté réduit, par moments, son image à un petit ovale au centre d’un écran noir. Déstabilisant, étrange, inquiétant… Un reflet de notre société.
En regardant le film dans le noir, on a encore plus l’impression de se retrouver pris dans ce minuscule ovale de lumière. L’image agit comme un genre de tyran qui nous écrase, comme le texte présent ici et là dans le film.
Avec Burn Out ou La Servitude Volontaire, Michel Jetté montre tout le poids de la tyrannie qu’impose notre société : l’image, le travail, la surconsommation, la réussite, l’entourage…
En insérant des extraits, comme celui cité en exergue, le réalisateur crée une certaine confusion chez le spectateur. Confusion (probablement) désirée, et certainement efficace. Cette confusion nous garde pris au piège un peu comme le sont les personnages. Et il ne faut pas oublier le stress que causent Michelle et Louis sur les gens autour d’eux. Car un patron sur les nerfs ne fera que frapper sur ses subordonnés, alors qu’un employé sur le stress causera des difficultés à ses patrons.
Mais le pire dans tout ça, c’est que nous causons nous-mêmes cette tyrannie. Nous nous l’imposons par nos choix de société. Nous acceptons les tyrans en nous contentant d’avoir la moins pire des positions.
Burn Out ou La Servitude Volontaire nous oblige à réaliser que nous vivons effectivement sous une tyrannie que l’on pourrait aussi appeler une servitude volontaire…
Note : 9.5/10
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© 2023 Le petit septième
L’erection à 80 ans, belle image. Je ne suis heureusement pas rendu là mais elle est bonne! Beau texte!
Merci Denis. Je dois avouer que je suis assez fier de mon image. 😀