« a prisoner like I, of Eternity »
[prisonnier comme moi, de l’éternité]
Qui ose déranger la grand-mère du diable et pénétrer dans sa paisible maison toute d’os construite? Qui donc est assez fou pour trahir cet esprit-nature immortel dont les dents de fer grincent avidement? Baba Yaga détient sûrement les réponses à vos besoins, mais est-ce que ce sont réellement celles que vous cherchez? La prudence s’impose, car si vous passez par là, vos ambitieux projets pourraient bien revenir vous hanter…
Présenté en première mondiale, le court métrage Bone Mother (La mère des os) de Dale Hayward et Sylvie Trouvé, adapté du conte éponyme de Maura McHugh, s’inspire du folklore séculaire slave. On pénètre dans un univers sombre, inquiétant, où les eaux de la vie et de la mort sont gardées par la grand-mère du diable.
L’immortalité a, pour certains, un attrait particulier. Le prince Vladislav, un être fort vaniteux, ne semble aucunement impressionné par la vieille Baba Yaga. Tout ce qui compte pour lui est de mettre la main sur la source de la vie afin de rester beau et fort pour l’éternité.
Surnaturel et horreur se côtoient ainsi dans ce conte. Un mélange que je n’avais pas vu souvent en stop motion, une stop motion jumelée à des techniques d’impression 3D. Et je dois dire que l’effet d’horreur fonctionne bien. On se laisse prendre au jeu, on est captivé par les personnages, qui sont très vivants pour des marionnettes.
J’aime l’aspect brut du stop motion, saccadé, sa lenteur, sa texture (qui varie beaucoup d’un film à l’autre). La technique de Bone Mother est particulière, mais, n’étant pas experte du stop motion et des impressions 3D, les subtilités de ce travail colossal m’échappaient. J’ai eu le plaisir de discuter avec Sylvie Trouvé qui a pu m’éclairer à ce sujet.
Voici ce qui est ressorti de notre conversation. Les deux cinéastes ont travaillé à partir d’un podcast de Maura McHugh. Le travail de scénarisation a duré plus d’un an. Ils ont dû changer pas mal de choses par rapport à l’histoire originale. La littérature et le cinéma ont chacun leur manière de raconter.
Ils ne souhaitaient pas que Baba Yaga soit une sorcière typique; ils la voyaient davantage comme une mère de la forêt, un shaman ou une sorte de sage-femme. Au début du film, elle médite dans sa maison d’os, son « adorée ». Elle fait corps avec son environnement, les lieux qu’elle habite, le monde qu’elle contrôle, d’une certaine manière. Elle fait preuve de sagesse.
La technique a d’ailleurs passablement changé au fil du temps. Le teaser publié sur leur compte Instagram à l’été 2015 montre un tout autre film. Le film avait alors une esthétique plus « plat », de type shadow puppet. En utilisant des imprimantes 3D, ils ont pu travailler davantage les expressions et les visages, plus d’options s’offraient à eux.
Les personnages sont composés de bois (70 %) et de plastique (30 %). Les personnages peints à la main – le bois absorbe bien d’ailleurs la peinture à l’eau qu’ils ont utilisée – ont été minutieusement travaillés.
Il y a beaucoup de subtilité dans leurs expressions. Ce qui frappe entre autres, c’est le visage de Baba Yaga, ses nombreuses rides. Pour créer cet effet, ils ont imprimé, avec des imprimantes 3D donc, le visage à l’horizontale, de telle manière à former des couches, des épaisseurs. Quant au visage de Vlad, l’impression s’est faite à la verticale (ce qui est davantage la norme en impression 3D), pour un fini plus lisse. Fait impressionnant : ils ont imprimé près de 700 têtes pour chaque personnage – ce qui était plus que nécessaire, mais les cinéastes ont essayé différentes choses –, ce qui leur a permis d’avoir un très vaste éventail d’émotions.
Je tiens à remercier Sylvie Trouvé d’avoir pris le temps de répondre à mes questions. J’ai ainsi pu aborder certains aspects de l’envers du décor de ce film, sur lequel ils ont travaillé pendant 5 années. Les cinéastes donnent par ailleurs une conférence (en anglais), le 15 septembre 2018, durant laquelle il sera possible d’en apprendre davantage sur les dessous de cette aventure cinématographique qu’est Bone Mother.
Un film à voir, un duo de créateurs à suivre!
Note : 9/10
Bone Mother est projeté au Festival Stop Motion Montréal les 15 et 16 septembre 2018.
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