« En 1992, des gens de Monsanto se sont retrouvés à la direction de l’agence et ils ont ignoré les scientifiques et décrété que les tests et l’étiquetage ne seraient pas obligatoires. »
En compagnie de sa mère, une jardinière avec qui elle partage un amour profond de l’agriculture et des plaisirs culinaires, la cinéaste Aube Giroux examine les enjeux éthiques et environnementaux des organismes génétiquement modifiés (OGM), ainsi que l’influence qu’exerce l’industrie sur nos politiques agro-alimentaires. Le film demande pourquoi les OGM ne sont pas étiquetés sur les produits alimentaires au Canada et aux États-Unis alors qu’ils le sont dans 64 autres pays à travers le monde.
À la fois enquête sociopolitique et chronique familiale intime, Modifié, récompensé de six prix depuis sa sortie à l’automne 2017, informe autant qu’il émeut. D’ailleurs, chaque fois que je regarde ce genre de films, je finis avec un sentiment de frustration et de colère.
Depuis que j’ai eu mon premier bébé, je regarde beaucoup plus ce que je mange. Je veux, évidemment, ce qu’il y a de mieux pour mon (maintenant mes) garçon(s). On essaie donc d’éviter les produits qui sont cancérigènes et les produits chimiques. Mais ce n’est pas une mince affaire…
Maintenant, je regarde Modifié et je comprends pourquoi c’est si difficile de bien manger en Amérique du Nord. On ne sait pas ce qui se cache dans ce qu’on achète à l’épicerie. Non seulement on ne sait pas ce qui a été mis sur nos fruits et légumes, mais on doit aussi se demander ce qui a été « injecté » à l’intérieur de ceux-ci. Et c’est là que le documentaire de Aube Giroux est si précieux.
Pour son premier long métrage, la jeune réalisatrice ne se laisse pas impressionner par la force de son adversaire. Oui, il faut du courage pour s’attaquer à l’industrie chimique agro-alimentaire.
Et si vous vous dites, « on s’en fout. Ça change quoi de manger des OGM? » Je vous citerais ceci : « Les scientifiques de la FDA admettaient que c’étaient des nouveaux aliments qui portaient des risques de toxicité. Ils constataient que ces nouveaux matériaux génétiques pouvaient créer des protéines potentiellement allergènes et que le processus pouvait diminuer la qualité nutritive », expliquait Andrew Kimbrell, avocat et directeur exécutif au Center for food safety.
La grande question que se pose la réalisatrice – j’ai la même – est : « Pourquoi ne voulons-nous pas étiqueter une mention sur les produits qui contiennent des OGM alors que c’est le cas dans 64 pays à travers le monde? »
La nourriture saine provient d’une planète saine. Pourtant, notre climat change plus vite que prévu, les pollinisateurs sont en déclin, les océans sont malades et les scientifiques préviennent que la 6e extinction massive des espèces est en cours. En raison de sa dépendance excessive vis-à-vis des pesticides et des engrais chimiques, l’agriculture industrielle pollue notre sol, l’eau et l’air, ce qui a des répercussions profondes tout au long de la chaîne alimentaire. Il est tentant de croire que les plantes et les animaux génétiquement modifiés (OGM) pourraient être la solution technologique rapide dont nous avons besoin pour relever ces défis, mais c’est une simplification excessive des problèmes complexes qui sous-tendent la production alimentaire durable.
Mais comment se fait-il que l’Europe, entre autres, ait agit et réglementé cette industrie, alors que nous sommes… disons incapables… de le faire. La réalisatrice expliquait que « lorsque les agriculteurs dépendent des plus grandes sociétés chimiques du monde pour les semences brevetées qui ne peuvent être récupérées et replantées, et que ces semences sont le produit d’un système fortement subventionné utilisant des engrais chimiques et des pesticides, vous vous retrouvez avec le contraire d’un aliment durable. Lorsque l’Académie nationale des sciences a étudié les 20 dernières années de l’agriculture OGM, elle a constaté que, contrairement à ce que prétendait l’industrie biotechnologique, les OGM n’ont pas augmenté les rendements. »
Donc, comment se fait-il que les Européens aient un marché régulé? Parce que Monsieur et Madame Tout-le-monde se sont tenus debout. Les gens ont manifesté afin d’obliger les gouvernements à agir. Pendant ce temps, nous continuons à accepter que la seule valeur importante est de faire le plus de cash possible. Et qu’on ne doit pas empêcher les grosses compagnies de faire des milliards, même si cela signifie de détruire la planète ou de tuer des gens. Puis de toute façon, les pauvres, ils n’ont qu’à s’arranger. C’est ça, non?
Modifié est un documentaire-mémoire, raconté à la première personne, qui questionne à savoir pourquoi les OGM ne sont pas étiquetés sur les produits alimentaires au Canada et aux États-Unis, alors qu’ils le sont dans 64 pays à travers le monde.
Et comme on le constate en regardant la jeune réalisatrice tenter d’avoir une entrevue avec Santé Canada, ce n’est pas le gouvernement canadien qui va soutenir sa population. Pas même l’organisme qui a été créé dans le seul but de s’assurer que les aliments qu’ingurgite la population sont sains. Oui, les Monsanto de ce monde en mènent large ici.
C’est donc à travers un voyage intime, mère-fille, alimenté par un amour partagé de la nourriture, qu’on révèle finalement la mesure dans laquelle les intérêts industriels contrôlent nos politiques alimentaires, plaidant ainsi pour un système alimentaire plus transparent et durable.
Vous hésitez encore à croire que votre gouvernement accepte que les industriels vous empoisonnent en échange de cash? Lorsque la recherche scientifique est financée par l’industrie elle-même, les conclusions de cette recherche sont souvent faussées en faveur du bailleur de fonds – notre expérience avec l’industrie du tabac en est la preuve.
Pas encore convaincu? Je vous laisse avec frustration et tristesse sur une citation provenant du documentaire. « Les experts ont averti que les systèmes de réglementation des OGM au Canada et aux États-Unis étaient terriblement inadéquats. En 2001, le Groupe d’experts sur la biotechnologie de la Société royale du Canada a publié un rapport détaillé critiquant vigoureusement le système de réglementation canadien et formulant 53 recommandations pour l’harmoniser avec les principes scientifiques et le principe de précaution. À ce jour, seulement 2 de ces recommandations ont été entièrement mises en œuvre. Les citoyens et les groupes de la société civile ont fait écho aux préoccupations de la Royal Society concernant une industrie qui mène ses propres études sur la sécurité (confidentielles et ne permettant pas un examen scientifique par les pairs) et des agences gouvernementales qui évaluent ces études sans procéder à des tests indépendants. »
Si l’on continue à se laisser faire, peut-être qu’on mérite, au final, de se faire empoisonner…
Note : 8/10
Ah oui… Dans le film, Aube Giroux nous présente plusieurs recettes qui semblent délicieuses. Vous pouvez les trouver sur le site officiel de Modifié.
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