« On négocie le temps avant de négocier une pipe. »
Marty, Greg et Roxanne vivent et travaillent dans le quartier de Regent Park à Toronto, où ils ont survécu à des dizaines d’années de vie dans la rue. Chacun d’entre eux est drôle, articulé, surprenant : mère, grand-père, poète – et consommateur régulier. Désireux de faire leur part, ils offrent une aide sociale à leur communauté, mais doivent également faire face à leurs propres modes de vie précaires et leurs décisions passées. Avec un accès remarquable, le film suit le développement de chacun de ces protagonistes depuis 2011, créant ainsi un portrait intime et à contre-courant des préjugés.
The Stairs, de Hugh Gibson, présenté en première mondiale au Toronto International Film Festival (2016), montre une réalité que bien des gens ignorent ou que bien des gens veulent ignorer. Mais en suivant ses trois protagonistes, le réalisateur nous offre une bonne dose de réalité. Mais le message passe-t-il?
La réduction des méfaits demeure inconnue de la plupart des Nord-Américains, bien qu’elle en concerne des millions. À l’image des sujets du film, son approche sans jugement a longtemps été ignorée ou cachée. On voit d’ailleurs les 3 protagonistes préparer et distribuer des « kits » d’injection.
Un élément crucial de la réduction des méfaits est la dignité. C’est ce que chaque personnage de The Stairs cherche à atteindre ou à restaurer, bien qu’on lui refuse de manière régulière. Et s’il y a une chose que le réalisateur fait bien dans son film, c’est de montrer beaucoup de respect envers ses personnages. Comprendre leur point de vue et leur donner une voix était clairement l’objectif de Gibson. Et il y parvient à merveille.
Par contre, j’ai de la difficulté avec le principe de valorisation de la consommation. Peut-être que ce n’est pas l’objectif du documentaire, mais le fait est qu’on valorise ce que font Marty, Greg et Roxanne.
Et ne vous méprenez pas. Je ne veux surtout pas diminuer la valeur de ce que ces gens font ou ont réussi à faire. Mais de filmer un homme accroc au crack tout en lui laissant dire qu’il ne considère pas avoir raté sa vie me semble un peu gros. On montre ces trois personnes comme des modèles alors que la seule personne parmi eux à avoir réussi à vaincre sa dépendance est Roxanne.
Ce que l’on montre, par contre, est la valeur de l’expérience. On comprend assez bien que pour une personne qui vit une dépendance, de pouvoir parler avec quelqu’un qui a déjà vécu la même chose, ça compte. Mais est-ce que la valeur est la même lorsque la personne n’a pas, elle-même, réussi à s’en sortir?
Consommateur de crack depuis 22 ans, Marty est travailleur social auprès de la population sans-abri et toxicomane de sa communauté. Après avoir vécu pendant des années dans des cages d’escalier (d’où le titre du film), sa vie est finalement stable – jusqu’à ce qu’un incident et de vieilles habitudes menacent à nouveau son existence.
Travailleuse du sexe pendant des dizaines d’années, Roxanne est à présent travailleuse sociale. Son sens de l’humour mordant et plein d’esprit cache un combat quotidien avec un passé sombre et douloureux. Comme Marty et Greg, elle œuvre dans la réduction des méfaits – une approche sans jugement aux soins de santé. Et son franc parlé ne vous laissera pas de glace. C’est d’elle que vient la phrase en début de texte… Et aussi : « Comme escorte, pour les convaincre de payer pour plus de temps, comme ça tu fais plus d’argent d’un coup et t’auras probablement moins besoin de baiser. »
Au début du tournage en 2011, Greg vient de retourner aux études et a un travail régulier. Suite à une altercation avec la police, combinée à ses problèmes de logement et de consommation de crack, sa situation change dramatiquement. Il essaie alors de conserver sa dignité dans des circonstances graves.
The Stairs se déroule à Toronto. Mais les mêmes problèmes de santé publique, de logement et de criminalité se rencontrent ailleurs : il y a un Regent Park dans la plupart des grandes villes.
Et ce film a le mérite de montrer un problème bien réel. Mais surtout, il sort des clichés habituels. Ces personnes sont drôles, chaleureuses, décomplexées, instruites.
Le film a été réalisé sur cinq ans avec une équipe de tournage limitée à deux personnes. Parfois même seulement le réalisateur et les protagonistes.
Le titre du film, The Stairs, provient d’un poème écrit par Marty, qu’il performe dans le film. Il y fait état de ses jours et nuits passés dans des cages d’escalier.
Le film de Hugh Gibson montre que lorsqu’on y met l’effort, on peut se sortir d’une mauvaise situation. Mais il ne faut surtout pas oublier ces efforts, car la tentation n’est jamais bien loin…
Note : 7/10
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