« L’enfance
Qui nous empêche de la vivre
De la revivre infiniment
De vivre à remonter le temps
De déchirer la fin du livre »
Jacques Brel
Le réalisateur Serge Giguère a mis la main sur une centaine de lettres écrites par sa mère au tournant des années 1950. Alors que ces lettres racontent le quotidien difficile, mais souvent cocasse, d’une famille ouvrière de seize enfants, Serge Giguère entreprend de bricoler ses propres souvenirs pour en faire surgir autant de « patentes » hétéroclites, comme un écho à sa mère qui coud, tapisse et invente sa vie au jour le jour.
Les lettres de ma mère, c’est un voyage dans le temps et dans la vie d’une mère ordinaire, c’est-à-dire d’une héroïne de l’ombre. Ce film est, pour moi, une ode à la force cachée de l’époque : la mère de famille.
Il y a quelques semaines, je vous parlais du film Manic et je me questionnais sur la valeur de ce « documentaire ». Je me disais que ça ressemblait à un simple film de famille. Et honnêtement, après 5 minutes de Les lettres de ma mère, je me suis dit : pas encore un maudit film de famille!
Mais ce qui s’enlignait pour être un portrait de famille sans intérêt s’est rapidement transformé en quelque chose qui avait une grande valeur historique et culturelle. En effet, Giguère va beaucoup plus loin dans son film. Il intègre non seulement des éléments de famille, mais aussi de la poésie ludique et une grande valeur patrimoniale.
À travers la petite histoire de madame Giguère, on découvre la vie de tous les jours d’une famille québécoise dans les années 50. Mais surtout, cette difficile vie de mère de famille. Ces femmes travaillaient dès la première lueur du jour et ne s’arrêtaient souvent que lorsque toute la maisonnée dormait.
Que faisait la mère du réalisateur de ses journées? Presque rien… Préparer les enfants pour l’école, s’occuper de ceux qui sont à la maison, s’occuper du poulailler alors que le mari travaille à l’usine, faire les repas, faire le ménage, s’occuper de nettoyer les poules que le mari égorgeait le soir, installer la tapisserie, coudre des vêtements pour la famille, réparer un peu de ci et un peu de ça, ramasser la maison avant d’aller au lit… Ah oui : afin de remplir les « vides », elle faisait partie du regroupement des fermières d’Athabaska.
Mais cette réalité n’était pas unique à cette femme qui semble surhumaine. Je sais pertinemment que je n’aurais pas été en mesure de faire tout ce qu’elle faisait dans une journée. Surtout que, comme le dit son fils, sa mère c’est 11 logements et 16 enfants en 22 ans…
Donc la majeure partie du temps, elle réalisait toutes ces tâches alors qu’elle était enceinte.
C’est ainsi, « avec le désir de magnifier le courage de [sa] mère, mais sans qu’elle cesse d’être la femme ordinaire qu’elle a été », que Serge Giguère a réalisé ce film.
Au fil des confidences à sa fille Katerine, ponctuées d’entretiens en tête-à-tête avec ses frères et sœurs encore vivants, le réalisateur s’interroge sur ce que leur mère leur a légué et ce qu’il reste aujourd’hui de sa mémoire dans un monde qui a profondément changé. Quelle femme cette mère était-elle pour chacun d’eux? Qu’ont-ils hérité d’elle?
C’est étonnant à quel point de simples souvenirs de famille peuvent amener autant de réflexions sur une époque. Et autant d’émotions. Certains commentaires du réalisateur et de ses frères, d’ailleurs, m’ont fait beaucoup d’effet. En tant que jeune papa de deux petits bonshommes, d’entendre un homme dire qu’il ne se souvient pas que sa mère l’ait déjà serré dans ses bras m’émeut. Ou encore ce moment où un des frères raconte qu’un 30 décembre, son petit frère de 3 ans et son petit frère de 10 mois sont tous les deux décédés et que, le lendemain, les funérailles ont eu lieu à la va-vite parce que c’était le réveillon… J’étais sans voix. Je n’ose même pas imaginer comment cette femme peut avoir survécu à ça.
Je me suis souvent demandé à quoi ça pouvait ressembler d’être dans une famille nombreuse. Hé bien, pour les deux plus jeunes, ce ne fut rien de particulièrement différent. Pour eux, ils ont fait partie d’une famille de 5 ou 6 enfants puisque les autres étaient déjà partis voler de leurs propres ailes. Encore là, c’était probablement le cas pour la majorité des grosses familles du siècle dernier.
Dans Les lettres de ma mère, Serge Giguère évoque son enfance au sein d’une famille ouvrière de 16 enfants et sonde la puissance du lien maternel.
Afin d’illustrer ses propos, ou plutôt ceux de sa mère, il utilise une multitude de méthodes, dont des reproductions de portraits à grande échelle, des animations de photos d’époque, des plans des paysages de son enfance…. Mais ma préférée est sans aucun doute l’utilisation de silhouettes. Et ma scène préférée est celle que vous voyez dans l’image en haut du texte. Giguère « vole » dans cet avion de carton alors que joue la superbe chanson de Brel, l’enfance (à entendre juste ici .
Mais pourquoi entreprendre un projet aussi vaste sur une mère ordinaire? « Dans ces archives, elle s’imposait comme un personnage authentique et porteur. Une héroïne ordinaire à l’instar de toutes ces femmes de la pré-révolution tranquille au Québec qui en ont vu des vertes et des pas mûres. Bref, un personnage inspirant. » En effet. Le mot d’ordre, ici, est « inspirant ».
Porté par la poésie ludique de Serge Giguère, Les lettres de ma mère sonde ce qu’il y a de plus intime au cœur de chacun de nous : l’amour maternel vécu, recherché, toujours questionné.
Note : 8/10
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