
Les Top 5 des films de 2025 de nos chroniqueurs, dont le mien, ont déjà presque tous été publiés sur le site. Même si je suis satisfait de mon Top, il n’inclut pas mon œuvre préférée de l’année. Pour cause, il ne s’agit pas d’un film, mais d’un jeu vidéo! L’honneur revient à Clair Obscur: Expedition 33, jeu vidéo RPG développé par Sandfall Interactive. Ce jeu a surpris tout le monde par ses immenses qualités, mais aussi par son succès inattendu, surtout pour un tout jeune studio. En effet, Sandfall Interactive a remporté neuf prix lors de la cérémonie des Game Awards de 2025, dont le prestigieux Jeu de l’année. Voici donc un petit aperçu du jeu, de l’histoire de son développement jusqu’aux cinq raisons qui font de Clair Obscur: Expedition 33 mon GOTY (Game Of The Year) de 2025.
L’histoire de Clair Obscur: Expedition 33 se situe à Lumière, un Paris de la Belle Époque alternatif. Les habitants sont confrontés à la Peintresse, une entité divine qui, chaque année, effectue le Gommage : la suppression de toutes les personnes d’un âge donné. Vivant au sommet d’un monolithe, elle y dessine un nombre qui représente l’âge de ceux qui se feront effacer de leur existence le jour du Gommage. Ce chiffre fait l’objet d’un compte à rebours qui a débuté à 100, mais les habitants ne l’ont compris qu’à partir de 85, lorsque les deux doyennes du village ont disparu le même jour. Chaque année depuis l’an 84 du monolithe, une expédition se rend sur le continent, un lieu hostile où se trouve la Peintresse, afin de l’arrêter.

L’action du jeu suit l’Expédition 33, soit la 51ᵉ, où nos protagonistes vont tenter de mettre fin au cycle.
Le développement du jeu a commencé en 2019, lorsque Guillaume Broche, un employé d’Ubisoft, eut l’idée de faire un jeu de type JRPG comme ceux de son enfance, notamment les Final Fantasy. Mais sentant que le projet ne verrait pas le jour chez Ubisoft, il quitta le studio pour fonder le sien en 2020 à Montpellier, avec François Meurisse et Tom Guillermin : Sandfall Interactive. Jennifer Svedberg-Yen, la scénariste principale du jeu, les rejoint plus tard, tout comme Nicholas Maxson-Francombe, directeur artistique, et Lorien Testard, compositeur. Le studio s’agrandit, comptant maintenant près de 30 personnes.
Le projet porte d’abord le nom de « Projet W » ou « We Lost » et propose une ambiance victorienne steampunk mélangée à des éléments de science-fiction, comme des extra-terrestres ou des zombies. Mais au bout de six mois, l’équipe n’arrivait toujours pas à charmer les investisseurs, qui conseillent de penser plus grand. Le développement prend alors une tournure différente pour arriver au résultat que l’on connaît.
Le studio a également pu compter sur le soutien d’un éditeur en particulier: Kepler Interactive, qui a entre autres édité le succès Sifu en 2022. Il a offert des moyens plus conséquents à Sandfall, notamment pour son casting vocal. Le développement fut finalement facilité par la sortie du moteur de jeu Unreal Engine 5, qui permet d’offrir des graphismes plus réalistes à un prix raisonnable.
Le jeu sort finalement en avril 2025, avec un succès inattendu pour un jeu de cette envergure. Les critiques dithyrambiques lui valent 13 nominations aux Game Awards, un record dans l’histoire de l’événement. Si le jeu excelle tant, d’après moi, c’est pour les cinq raisons suivantes.
Dès l’intro du jeu, nous sommes totalement pris dans le récit du jeu, surtout grâce à une scène absolument déchirante. Mais la suite ne nous déçoit pas, le scénario de Clair Obscur: Expedition 33 raconte une grande histoire qui n’a pas à rougir devant les meilleurs films hollywoodiens. C’est d’autant plus impressionnant que la scénariste Jennifer Svedberg-Yen était à la base une actrice recrutée sur Reddit pour faire la démo du jeu. Elle est devenue la scénariste principale sur le projet, dont le travail fut d’ailleurs récompensé au Game Awards.

La principale qualité de l’histoire est sa fluidité. On peut passer de moments doux, voire comiques (et très drôles) à des scènes beaucoup plus tristes et sombres, en passant également par de grands instants épiques… et tout ça en parfaite harmonie. Les scènes mélancoliques nous émeuvent, celles plus enjouées nous réconfortent, puis l’intensité des passages d’action nous rattrape. Le tout est relié par le thème principal du jeu: le deuil, qui est exploré dans toutes ses facettes.
La fin du jeu est tout aussi réussie et intelligente. Sans spoiler, on doit faire face à un choix qui amène deux fins différentes. Là où dans un autre jeu de ce type, le choix de la fin peut devenir inconséquent, celle de Clair Obscur: Expedition 33 laisse le joueur réfléchir sur ses actions. De plus, on n’a pas un simple good ending/bad ending. Les deux fins sont douces-amères, marquant le joueur durant toute son expérience de jeu.
L’histoire du jeu aurait eu du mal à fonctionner sans de bons personnages pour la supporter. On s’attache vite au groupe de héros: Gustave et son esprit de leader, Maëlle, la jeune fille du groupe courageuse et déterminée, Lune, l’érudite assidue, Sciel, pleine de bonne volonté et de courage, Verso, au passé mystérieux, Monoco, un être excentrique, mais fidèle, ou bien Esquie, la mascotte du jeu. De plus, une excellente alchimie se ressent entre eux, à travers des petites scènes peut-être optionnelles, mais qui apportent beaucoup de profondeur, sans oublier de jolies scènes de dialogues.

Ce sont de superbes performances d’acteurs qui ont donné vie à ces personnages. On a des grands noms du voice acting comme Ben Starr (Clive Rosfield de Final Fantsy XVI) en Verso, ou bien Jennifer English (Shadowheart de Baldur’s Gate 3) en Maëlle, un rôle qui lui a fait gagner le prix d’interprétation aux Game Awards. On a aussi des acteurs reconnus sur le grand écran comme Charlie Cox (Daredevil) en Gustave, ainsi qu’Andy Serkis (Gollum, César de La Planète des singes) dans le rôle de Renoir, l’antagoniste du jeu. Tous offrent une performance incroyable, et ce, sans oublier les acteurs en performance capture qui ont littéralement fait bouger ces personnages mémorables.
Bien évidemment, on ne serait pas aussi impliqué dans l’histoire si on n’était pas subjugué par le monde dans lequel elle prend place.
L’équipe a remplacé l’ambiance victorienne steampunk initialement envisagée par un Paris de la Belle Époque alternatif, avec beaucoup d’allusions à la peinture. Guillaume Broche a d’ailleurs été influencé par un tableau en particulier, mais aussi le roman La Horde du Contrevent d’Alain Damasio). Cette nouvelle ambiance enrichit le jeu et le distingue du reste de l’industrie, surtout quand les thèmes Steampunk et Angleterre victorienne sont sur-utilisés dans de nombreux jeux. Cela permet aussi au studio français de garder son identité nationale, en introduisant plein d’allusions franchouillardes amusant les joueurs français comme les joueurs internationaux.
En plus de ça, Clair Obscur: Expedition 33 nous offre un univers cohérent, avec son histoire, ses peuples, ses coutumes et ses légendes, ce qui nous investit directement dans le jeu. On nous montre ce que sont les Luminas, comment la vie fonctionne sur le Continent, ce qu’il s’est passé lors des précédentes expéditions avec des journaux laissés un peu partout (celui de l’Expédition 60 est le meilleur). Tout comme le personnage, on se sent réellement en expédition. Mon aspect préféré de l’univers est sans aucun doute le peuple des Gestrals, qui ressemblent à des poupées de bois et habitent le continent. Leur existence ne consiste qu’à se battre et à mourir avant d’être ressuscité. Leur apparence apporte aussi une géniale touche d’humour.
Le jeu a aussi l’intelligence de ne pas trop expliquer ni montrer, laissant aux joueurs la possibilité d’imaginer la suite, tout en offrant aux développeurs l’opportunité de créer d’autres jeux dans cet univers (ce que le studio a déjà annoncé). Le gros twist du jeu apporte d’ailleurs davantage de richesse à ce monde et rend une suite tout à fait envisageable.
Un autre aspect qui rend cet univers vivant est la production design, ayant aussi gagné un prix au Game Awards. Le jeu est magnifique, que ce soit Lumière et son paysage qui rappelle Paris tout en se permettant d’offrir une vision unique, ou bien les différentes parties du continent. Mes zones préférées sont sans aucun doute L’ancien sanctuaire et son ambiance automnale, Visages et son concept basé sur les émotions ainsi que Sirène avec sa douce mélodie. Chacune des zones est différente: certaines sont enjouées, d’autres plus mélancoliques et quelques-unes sont sinistres. Les graphismes, sans atteindre les prouesses technologiques des jeux AAA, arrivent à mettre en valeur ces environnements bien pensés.
La production design est également soignée pour les personnages, notamment les Névrons: très variés à travers le monde où ils se trouvent, mais toujours cohérents. Face à ces nombreux adversaires, un bon gameplay est nécessaire pour les affronter.
Si l’histoire de Clair Obscur: Expedition 33 est une réussite, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un jeu vidéo, donc le point le plus important reste le gameplay. Mais là aussi, le jeu brille.

Le jeu est un RPG tour par tour, ce qui signifie que les combats se font via un système dans lequel le joueur et les ennemis ont chacun un tour pour faire une action. C’est un système de jeu utilisé par des grands noms des RPG japonais, soit les Final Fantasy et les Dragon Quest. Cependant, le système est souvent remis en cause par les joueurs, le jugeant comme long et répétitif. Même le pionnier du genre, Final Fantasy, s’est tourné vers un gameplay plus dynamique dans ses derniers volets.
Néanmoins, Sandfall Interactive parvient à dynamiser ce type de gameplay, notamment en s’inspirant de jeux comme les Paper Mario et Super Mario RPG. En gros, le joueur a la chance d’appuyer sur un bouton lors des attaques pour maximiser les effets, il peut également éviter ou parer les attaques des ennemis afin de ne pas recevoir de dommages, et même contre-attaquer. Ce dernier aspect représente un gros avantage, poussant les joueurs à être attentifs et à apprendre le timing des attaques, ce qui offre un résultat vraiment engageant. Le tout demeure parfaitement animé, pour permettre de bien percevoir les attaques. L’animation a d’ailleurs été confiée à une équipe de huit animateurs sud-coréens travaillant en freelance.
Comme tout bon JRPG, les combats apportent leur lot de stratégies. Une des meilleures idées du jeu est de donner un élément de gameplay différent pour chacun des personnages. Le style de jeu de Maëlle se base sur des positions de combat, donnant des bonus d’attaque et de défense, que le joueur doit savoir changer au bon moment. Lune est une sorte de mage, dont les attaques permettent de modifier les effets de certaines capacités. Monoco peut se transformer en différents Névron, comme une sorte de Pokémon qui doit affronter ses ennemis pour obtenir leurs attaques. Non seulement ça enrichit la façon de jouer et diversifie le gameplay, mais ça renforce l’aspect stratégique, permettant de faire des combos pour amener le résultat le plus efficace.
Tout cela, c’est sans compter l’aspect gestion, à la fois des différentes armes et de leurs effets, des compétences de chaque personnage, et des nouvelles attaques débloquées. Mais surtout, il faut savoir gérer le système de Pictos et de Luminas, des compétences passives que l’on peut attribuer pour chaque personnage (après les avoir débloquées). Elles offrent un avantage aux joueurs, là aussi avec la possibilité de faire des combinaisons dévastatrices.
Certes, le gameplay de Clair Obscur: Expedition 33 n’est peut-être pas abordable pour tous les joueurs et demande un peu de temps d’acclimatation, mais le jeu en vaut la chandelle. Il reste d’une grande richesse, d’une belle diversité et, le plus important, ne donne pas lieu à des combats ennuyeux.
Si le jeu vidéo se joue et se regarde, il s’entend aussi. La musique est un aspect crucial de ce média, que ce soit à ses débuts quand les compositeurs usaient d’ingéniosité avec des puces 8-bit limitées, ou aujourd’hui avec de grands orchestres symphoniques. On se souvient tous des thèmes de Mario, Zelda ou Final Fantasy, on risque désormais de garder longtemps en tête ceux de Clair Obscur: Expedition 33.

La bande sonore fait partie intégrante de l’identité du titre. Sa grande force réside dans sa variété, qui colle parfaitement aux différentes zones : une ambiance aquatique pour l’Océan Suspendu, un chant doux et hypnotique pour le monde de la Sirène, ou des sonorités espiègles pour illustrer le comportement espiègle et inusité des Gestrals.
On peut passer d’un accordéon aux accents très “titi parisien” à Lumière, à des envolées orchestrales épiques lors des combats, avec même quelques incursions jazz ou techno. Le plus impressionnant, c’est que ce mélange ne brise jamais l’immersion. C’est d’autant plus fou quand on sait que le compositeur, Lorien Testard, a été recruté sur un forum d’après un simple lien SoundCloud ! Pour son premier jeu, il frappe un grand coup, bien aidé par la voix soprano d’Alice Duport-Percier (connue pour ses reprises d’animes) et par les compétences du chef d’orchestre Daniel Sicard. Ces trois talents ont collaboré étroitement pour créer la musique fantastique du jeu, convenablement récompensée aux Game Awards, notamment grâce à leur performance d’Une vie à t’aimer.
La bonne nouvelle, c’est que Sandfall Interactive a annoncé une tournée de concerts intitulée A Painted Symphony pour jouer la bande sonore du jeu, avec Testard, Duport-Percier et Sicard sur scène. Si les dates européennes pour 2026 sont déjà complètes, j’espère qu’ils passeront par le Canada. C’est clairement l’événement que j’attends le plus désormais.
Je vous partage ma sélection de musiques à découvrir parmi les huit heures de bande originale : Alicia, Lumière, Une vie à t’aimer, A Painted Family, Rain from the Ground, Monaco, Lost Voice, Gestral Market, Until Next Life, Goblu.
Contrairement à la croyance populaire, Clair Obscur: Expedition 33 n’est pas un jeu révolutionnaire. Il reprend certaines mécaniques d’autres jeux, notamment dans son gameplay, mais ce qu’il reprend, il le fait bien. Il offre la meilleure expérience de jeu possible à travers un récit palpitant et émouvant, mais aussi un système de jeu travaillé. Il propose également une histoire originale, dans une industrie où la plupart des jeux sont des suites ou des reboots.

Le succès de ce petit studio de moins de 100 employés est une véritable “success story” qui prouve que l’indépendant peut encore bousculer les géants. Par exemple, Lorien Testard était totalement inconnu et possède aujourd’hui une renommée mondiale. La surprise même du studio face à l’enthousiasme que le jeu suscite montre qu’il a su se créer une place particulière auprès des joueurs. De plus, le studio reste à l’écoute de ses fans et continue de leur proposer de nouvelles choses, notamment une nouvelle mise à jour du jeu qui présente une toute nouvelle zone et qui est disponible gratuitement dès maintenant. En gros, un DLC cadeau.
Lors des Game Awards 2024, Swen Vincke, PDG de Laria Studios, a fait une brève apparition pour présenter le Jeu de l’année. Leur dernier jeu, Baldur’s Gate 3, avait précédemment remporté le trophée en 2023. Lors de son discours de présentation, il a déclaré qu’un « oracle » lui a dit qui allait remporter le jeu de l’année 2025 et que « le changement arrive ». « L’oracle m’a dit que le jeu de l’année 2025 serait fait par un studio qui avait trouvé la formule pour y parvenir. C’est d’une simplicité ridicule, mais étrangement elle finit toujours par se perdre. Le studio a fait son jeu parce qu’il voulait créer un jeu auquel il voulait jouer lui-même », a-t-il poursuivi. « Ils n’ont pas traité leurs joueurs comme des utilisateurs à exploiter, et ils n’ont pas pris de décisions qu’ils savaient à courte vue pour obtenir un bonus ou par jeu politique. Ils savaient que si l’on fait passer le jeu et l’équipe en premier, les revenus suivront. Ils étaient guidés par l’idéalisme et voulaient que les joueurs s’amusent. Ils avaient compris que si les développeurs ne s’amusaient pas, personne n’allait s’amuser. Et ils comprenaient la valeur du respect. Que si l’on traite bien ses développeurs et ses joueurs, ces mêmes développeurs et joueurs vous pardonneront quand les choses ne se passent pas comme prévu. Mais par-dessus tout, ils se souciaient de leur jeu, parce qu’ils aiment les jeux.»
C’est exactement ce qu’est Clair Obscur: Expedition 33 : un projet de passionnés, un vent de fraîcheur dans une industrie parfois trop frileuse et axée sur les revenus. Les développeurs, souhaitant produire le meilleur jeu possible, proposent une expérience que les joueurs ne sont pas prêts d’oublier.
Révision linguistique par Maeva Kleit.
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