« On est comme les premiers répondants de l’internet. »
Nous sommes à l’ère du numérique. D’un clic, on peut voir la vidéo d’un chaton adorable, un condensé des meilleurs moments du dernier Superbowl ou la critique d’un film. Cependant, au milieu de notre fil d’actualité, on peut également trouver la vidéo d’une décapitation, d’un commentateur raciste ou d’une scène pornographique. Sur toutes les plateformes comme Facebook, Instagram, X ou même Reddit, la présence des modérateurs est essentielle. Toutes les vidéos ou messages signalés par les usagers se retrouvent sur leurs écrans et c’est à eux de juger si le contenu enfreint les règles du site.
American Sweatshop raconte l’histoire de Daisy Moriarty (Lili Reinhart, Riverdale), une jeune modératrice en poste depuis moins de 6 mois. N’ayant pas d’autres options pour le moment, elle passe ses journées à voir des vidéos qui la dégoûtent. Un jour, elle tombe sur une vidéo pornographique d’une violence telle qu’elle est convaincue d’avoir vu un crime. Devant l’inaction de ses supérieurs et de la police, Daisy décide de lancer sa propre investigation, pour retrouver les auteurs de la vidéo.
American Sweatshop nous montre ce qui se passe derrière le rideau du net. Le travail de modérateur peut sembler simple, mais la réalité est tout autre. La réalisatrice Uta Briesewitz et le scénariste Matthew Nemeth parviennent à nous montrer les dessous de cet environnement rigide, où chaque employé a un quota de billets à remplir et doit naviguer dans des règles floues sur ce qu’est un billet à supprimer ou conserver. Par exemple, un homme qui tue un lapin en vidéo, on supprime, car c’est de la cruauté animale. Mais un homme qui tue un lapin puis le cuisine, on conserve, car c’est du contenu gastronomique.
Comme l’explique le personnage de Daisy dans le film, la compagnie de modération a besoin des émotions humaines pour bien faire son travail. Un robot ne sera jamais capable de ressentir le deuil, l’indignation ou la tristesse comme un humain. Les personnages doivent donc composer avec un emploi extrêmement exigeant émotivement, dans un lieu de travail stérile, minuté et froid.
C’est pourquoi suite au visionnement de la fameuse vidéo ”Nailed it”, Daisy ne peut plus rester une spectatrice passive. Ses émotions s’emparent d’elle et elle ne peut mettre de côté ces images qui la hantent jusque dans ses rêves. Elle a besoin d’agir, de trouver les responsables de cette vidéo et de sa publication, espérant ainsi retrouver une certaine tranquillité d’esprit. Malheureusement, personne ne semble la prendre au sérieux, ce qui frustre davantage la jeune femme voyant là un manque de volonté à agir et une impuissance face à ce qui se passe en ligne.
Le récit est loin de présenter Daisy comme un personnage noble. La plupart de ses actions sont immorales et illégales, mais le film a bien pris le temps de montrer l’état d’esprit qui habite son protagoniste. Ainsi, même si nous savons que ce qu’elle fait n’est pas la bonne chose, nous la comprenons et espérons la voir réussir.
La force du film réside dans l’interprétation de ses acteurs. Lili Reinhart tient très bien le film sur ses épaules. Elle réussit à nous faire comprendre ce qui se trame dans la tête de Daisy, sans rien avoir à dire. Il y a aussi cette force tranquille qu’elle insuffle à son personnage, qui permet de rendre Daisy menaçante à certains moments.
Lili Reinhart est épaulée par un groupe d’acteurs qui apporte également beaucoup de saveur au récit. Que ce soit Ava (Daniela Melchior, Suicide Squad 2), son amie et collègue qui ”en a vu d’autres”, Paul (Jeremy Ang Jones), le petit nouveau encore naïf ou Bob (Joel Fry, Our Flag Means Death), le collègue explosif, mais empathique malgré tout… chacun offre une performance sincère, qui nous donne envie de suivre leur histoire.
Ayant fait ses preuves derrière la caméra de plusieurs séries télé, Uta Briesewitz nous donne une réalisation fonctionnelle et efficace. Elle parvient très bien à nous engager dans son histoire, mais certains de ses effets de réalisation n’atteignent pas leur cible.
Par exemple, elle ne nous montre jamais les vidéos horribles auxquelles sont confrontés les personnages, utilisant seulement le son. Cette technique est utilisée avec brio dans un moment du film où un des modérateurs voit une vidéo de brutalité envers un chien. On ne voit rien, mais les cris de l’animal suffisent à nous émouvoir. Le même procédé aurait dû être utilisé pour la vidéo pornographique ”Nailed it”. Car même si on ne montre jamais l’acte odieux qui déclenche la fureur chez Daisy, nous en avons déjà trop vu et le cri de détresse n’a pas la même portée que la scène avec les cris des animaux. En nous montrant la vidéo, et ce plusieurs fois dans le récit, elle perd de son impact et nous désensibilise de l’horreur, la rendant presque banale.
Le plus décevant est durant la finale, où la réalisatrice cherche clairement à nous offrir une grande révélation. Malheureusement, sa caméra s’emballe et l’artificialité de la scène donne davantage l’effet d’un pétard mouillé. Il est dommage que les dernières minutes ne soient pas à la hauteur du reste du film. Cela ne gâche pas le visionnement en tant que tel, mais il fait la différence entre un film mémorable et un film moyen.
Bande-annonce
Révision linguistique par Maeva Kleit.
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