« Grief is rotting your teeth. »
[Le deuil te pourrit les dents.]
Karsh (Vincent Cassel), an innovative businessman and grieving widower, builds a device to connect with the dead inside a burial shroud.
Tout commença lors d’une belle matinée chaude et ensoleillée; le genre de matin qui semble être de bon augure, orné de nouvelles pousses et agrémenté du chant des oiseaux (Blanche-Neige aurait tripé). Prêt à sortir, je pris ma première bouffée d’air frais du printemps (ça sent pas du tout comme les rafraîchisseurs d’air en aérosol) et je m’aperçus du même coup que la ville désengourdie gagnait en force pour reprendre son rythme effréné puisque l’autobus, en avance, me passa sous le nez. J’attrapai tout de même ledit transport assez commode après deux minutes de course (c’est pas si mal après tout); bien évidemment, ma carte était hors service. Le chauffeur me laisse passer quand même; c’est l’express, alors pas le temps de niaiser (même s’il n’avait ni Tequilla ni Heineken).
Jusque-là, je me disais que ça ne pouvait pas être trop pire; ce n’étaient, après tout, que de menus inconvénients. J’allais tout de même voir The Shrouds (ou Les Linceuls en français), le dernier film de notre célèbre réalisateur canadien David Cronenberg que l’on connaît pour des classiques du genre The Fly ou, à titre plus personnel, Videodrome; à dix heures le matin, ça risquait de donner un sacré crochet à la mâchoire. Pendant que j’essayais de ne pas trop appréhender mon visionnement, je remarquais que mes comparses voyageurs urbains tentaient de rester calme devant l’impromptu détour. J’en vins au constat que le détour me rapprochait de ma destination, je pris donc mon courage à deux mains et m’approchai du grand manitou siégeant aux commandes de l’engin afin de lui demander s’il pouvait, dans la mesure du possible, me laisser sur le trottoir à un moment opportun tout en lui expliquant la situation. À mon grand désarroi, j’ai dû regarder ma destination s’éloigner au rythme lent du trafic sans possibilité de descendre. Néanmoins, une belle journée pour marcher, pas vraiment de quoi se plaindre plus de deux minutes.
Quoi qu’il en soit, j’arrivai à destination à temps pour le visionnement et d’avance pour prendre un café juste en haut du Cinéma du Parc où j’y rencontrai un gentilhomme qui ne me donna pas son nom et qui vantait la fougue et le verbe d’un de ses anciens élèves de l’Université désormais chez LPS également tout comme moi, apparemment. Sans avoir l’opportunité de lui dire que j’aurais aimé avoir des professeurs comme ça moi aussi, la conversation bifurque sur la neutralité de l’information face « par exemple » au conflit Israelo-Palestinien… J’essaie de placer un truc et une dame assez âgée se lève pour me faire la morale puis discute avec ledit monsieur en se défaussant de ma présence avec peu de tact et cette attitude de petite précieuse. Que je sois un pauvre enfant ou non, madame, ce n’est pas un argument, c’est de l’âgisme et des sophismes. À ce moment, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai hâte de pouvoir plonger dans l’univers de Cronenberg une fois de plus pour y perdre mes repères pendant environ une centaine de minutes.
The Shrouds débute sur un fond abstrait; une fine bruine verte sur fond noir évoquant les écrans de veille de Windows (leur raison d’être originale n’est plus et maintenant elles ne servent qu’à un but esthétique et nostalgique; poétique). Puis dans un caveau de terre, un homme, Vincent Cassel dans le rôle de Karsh, regarde sa femme, interprétée par Diane Kruger, apparemment morte, à travers un petit trou. Son corps est là, partiellement débité et se décomposant lentement. Jusqu’à présent, rien dans le film — mis à part le décor beaucoup trop riche (je veux dire, dans le sens du mot argent) — est un effet pratique. Loin de moi l’envie de me décourager si vite, le long métrage ne fait que commencer, mais je me permettrais de souligner que Scanners — entre-autre — commençait en étant un tantinet plus captivant.
Je ne suis pas étranger aux concepts hégéliens de la plasticité de l’image; points de vue philosophiques qui semblent avoir été sublimés dans ce film (dans tous les films peut-être même haha). Il y a aussi beaucoup de réflexivité avec les miroirs et les écrans (pas de veille cette fois-ci) qui ouvre sans cesse la porte à la créativité profonde sans jamais y pénétrer. Les effets sont tous (ou à peu près) CGI. On nous montre un modèle de Tesla qui se conduit tout seul (vous avez déjà joué à Mario Kart? Il serait peut-être temps avec le nouveau qui arrive sur la Switch 2 en plus) sans vergogne comme si c’était « sick » comme diraient « les jeunes ». Des avatars IA qui s’occupent de ton agenda (en passant les secrétaires électroniques pour tous, ÇA, c’est de la science-fiction), des pirates numériques chinois et russes, des complotistes contre les médecins et leurs expériences (un complot est apparemment aussi un aphrodisiaque). Je n’ai eu aucun malaise, pas une seule fois, mis à part celle de sentir que le film tout entier me faisait penser à la dernière scène de The Substance quand la créature croit encore pouvoir passer comme humaine en se décomposant sous nos yeux (ou est-ce que c’était The Fly? Je ne suis plus sûr, les deux se ressemblent tellement).
On aurait dit que Cronenberg a demandé à Google ou GPT (non pas Grand-papa Tortue) c’est quoi le style Cronenberg pour faire son scénario. Sur papier, The Shrouds est bel et bien un film de ce genre, mais à travers la transformation de la matière originelle perdue à la plasticité de l’image maintenant projetée, solidifiée à l’écran, ça ne se ressent pas ainsi, pas pour moi en tout cas. Est-ce qu’il nous dit que les aveugles et les éclopés sont horribles à regarder? Questionne-t-il maladroitement la part de soi qui fait de nous qui l’on est et son appartenance possible à un organe physique quelconque? Le personnage principal est un riche milliardaire ennuyeux à mourir, que l’on présente comme extrêmement profond et brillant, alors qu’il m’apparaissait superficiel tout au plus. L’art de raconter une histoire, c’est de faire que ton public puisse associer des parcelles de lui-même à d’autres du récit. Y’as-tu trop de designers d’intérieur au centimètre cube pour le nombre de logements habitables? La phrase qui fait le moins jeune au monde c’est de dire « je connais ça la technologie ». Moi aussi je connais ça, la technologie, j’ai un briquet dans mes poches.
Chaque chose en son temps, qu’elle soit passée ou future, elles ont toutes un instant présent. Quand on est jeune, on aimerait être plus vieux et être vieux c’est essayer d’être plus jeune. Ironique, non? Je suis persuadé que son dernier film est constitué de la même manière que ses autres classiques cinématographiques; avec une grande inspiration personnelle. Avant même la question d’être bon ou mauvais, il faut essayer (l’Art ce n’est pas la Force, désolé Yoda). C’est un peu la raison pour laquelle on va voir un Cronenberg ou un Shyamalan, on a envie de contempler LA vie à travers le regard unique d’un artiste, mais peut-être pas de voir SA vie unique à travers du nôtre. Dans The Shrouds, il est difficile de ne pas constater la part intime et viscérale propre au cinéaste servant de toile de fond (ou d’écran de veille) au film. Il va sans dire que tout bon critique pourrait aisément s’en servir comme base psychanalytique pour mieux comprendre David Cronenberg en tant qu’humain. Malgré tout, cela n’empêche pas que ce dernier projet de l’icône canadienne manque à nous amener plus loin que le connu et le familier.
C’est peut-être la preuve que certaines générations ont eu assez de temps d’antenne. Pas dans le sens de « il faut tasser les vieux », mais plutôt qu’il est toujours plus gracieux de tendre le flambeau à un successeur que de maladroitement se passer la patate chaude entre collègues et de l’échapper. Là où Cronenberg aurait mis de la fougue et du provocant, se retrouve maintenant du tranquille et du convenable. eXistenZ ou A History of Violence sont ce genre de films qu’osent faire les têtes de fil de la croissance cinématographique; des œuvres qui dérangent ou surprennent par leur nature parfois cavalière, mais toujours en donnant l’impression de défricher et d’explorer des terres inconnues ou peu fréquentées. De bonnes idées — au Canada comme ailleurs — il y en a plein, donnez donc la chance aux Y pour une fois (ah mais je sais, les Z sont tellement déjà plus hips et « au courant »). Je sais que je prêche pour ma paroisse et que j’ai l’air frustré quand je parle de ça, mais en même temps il y a de ces fois où on dirait que c’est aussi dur pour moi de maturer à être entendu dans ce milieu que de ne pas me faire demander mes cartes au Couche-Tard même pour un briquet, j’ai le droit de me demander quand ou si jamais un jour pas du tout, non? (Pour votre information, je suis majeur depuis presque aussi longtemps que ça prend de temps pour l’être),
En conclusion, je suis conscient que ma patience et mon impulsivité sont mes points à travailler. Néanmoins, j’en suis tout de même conscient et j’y travaille tous les jours. Laissez-moi vous dire qu’il n’y a pas que moi qui travaille ma patience par contre. Je pense que c’est sans doute pour ça que la colère est un fléau. C’est probablement l’émotion la plus exacerbée par les conditions actuelles dans lesquelles nous vivons tous et la plus mise de côté. Oh oui, les hommes pleurent maintenant, mais ils ne se fâchent plus. En fait plus personne ne se fâche… et c’est inquiétant. Où est-elle cette énergie de la transformation à notre époque charnière? La colère c’est une énergie forte qui déconstruit, mais qui construit aussi et, ÇA, c’est constructif et ça aide ma patience. À la place de délaisser à la pourriture des corps encore en parfait état, de laisser des esprits vifs et vivifiants s’incinérer de leur propre feu et de laisser l’unicité être noyée dans un océan d’unité toxique et hétérogène; ne serait-il pas mieux de se demander, cher lectorat, pourquoi tentons-nous de préserver la mort au lieu de la vie?
En passant, vous pouvez toujours aller voir le film si vous ne me croyez pas, mais voulez-vous savoir ce qui était vraiment effrayant dans la matinée, avant d’aller voir The Shrouds? J’ai payé sans regarder à cause de l’impromptu impolitesse de la dame, avant d’entrer, je regarde la maudite facture que je n’ai pas demandée pour mon café pour un beau total de 6,66$. Disons que la facture était plus laxative que le café. Je vous laisse sur cette mélodie qui sert de leitmotiv aux jours ratés que l’on laisse sombrer dans la nuit, dans le respect et la dignité (Nearer my God to thee).
Bande-annonce
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