Une part manquante - Une

[FCMS] Une part manquante – Les enfants n’ont-ils pas besoin des deux parents?

« Tu paies la pension alors que tu ne vois plus ta fille? »

UNE PART MANQUANTE - Affiche

Dans Une part manquante du réalisateur belge Guillaume Senez, Jerôme ou « Jay » (Romain Duris), un expatrié français, parcourt la ville de Tokyo derrière le volant de son taxi. Il roule dans l’espoir de revoir sa fille Lily (Mei Cirne-Masuki), avec qui il a perdu tout contact depuis neuf ans, suite à la séparation avec sa femme Keiko. Keiko a obtenu la garde exclusive et n’a pas voulu que Jay revoie sa fille. Malheureusement, la loi japonaise ne soutient pas l’autre parent. Neuf ans après, au moment où Jay, qui a perdu tout espoir, s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi…

Basé sur des histoires vraies

L’idée pour Une part manquante est née lors d’un séjour au Japon du réalisateur Guillaume Senez et de son acteur préféré Romain Duris, à l’occasion de la sortie japonaise de leur dernier film Nos batailles (cf. la critique de François), où le thème de la paternité se plaçait déjà au cœur de l’intrigue. Des expatriés français leur ont alors raconté l’enjeu de la quasi-non-existence de la garde partagée au Japon et, par conséquent, les luttes que des pères et des mères doivent mener pour revoir leurs enfants après une séparation. Jusqu’à tout récemment, la loi japonaise était régie, dans ce cas, par le principe de la « continuité », soit : la garde est attribuée au parent avec qui l’enfant vivait avant la séparation (le plus souvent la mère). La garde alternée ou le droit de visite ne sont pas tolérés, créant une séparation totale entre le deuxième parent et son enfant. En 2026 une modification de la loi entrera en vigueur, ce qui permettra une certaine autorité parentale conjointe.

Au centre de l’intrigue d’Une part manquante se trouve donc, encore une fois, une relation père-fille, une relation que la famille de la mère voulait effacer mais qui continue à se tisser malgré tout…

Le symbole du taxi

Maîtrisant parfaitement la langue nippone, après tant d’années, et connaissant par cœur le réseau routier de la capitale – voir mieux que certains locaux, Jay est devenu un chauffeur de taxi estimé et fiable. Mais si ses passagers poursuivent un but précis et que le trajet en taxi n’est qu’une escale temporaire dans leur quotidien qui les aide à avancer dans leur vie, Jay ne bouge pas. Sa vie tourne en rond, et ceci depuis neuf ans. Après la rupture, il a perdu son emploi comme chef de restaurant après l’avoir négligé pendant des mois, des mois où il ne pouvait pas arrêter de chercher sa fille. Jay est bloqué et hanté par son passé, ce qui est brillamment mis en relief par les regards dans le rétroviseur et par les images d’une métropole de nuit.

UNE PART MANQUANRE - Le symbole du taxi
Jerôme (Romain Duris)

Pour le réalisateur, « le taxi évoque une idée d’errance et de solitude, ramenée à un mode de vie presque monacal […] ».  Le personnage de Le Samouraï (1967) en tête, Guillaume Senez a attribué les mêmes isolement et résignation à son protagoniste qui, lui aussi, habite un appartement au caractère impersonnel. Seule la pièce préparée pour Lily est aménagée avec soin, les quelques dessins d’enfant de la période d’avant la séparation décorent les murs. Toute l’énergie du père semble consacrée à la recherche de sa fille, négligeant ainsi les autres aspects de sa vie – une carrière professionnelle, un nouveau départ au niveau personnel…

S’il te plaît, sois raisonnable, ne fais pas de scandale…

Quand Jay n’est pas derrière le volant, il rencontre un groupe d’entraide composé de parents, étrangers et japonais, dans la même situation que lui. L’avocate qui les conseille est elle-même issue d’un mariage mixte. Ayant revu son père, devenu un inconnu pour elle, beaucoup plus tard, elle sait à quel point il est important de faire preuve de prudence et de patience lorsqu’il s’agit de rétablir le contact avec un enfant perdu sans lui faire peur. Mais il est surtout fondamental d’afficher cette même prudence face aux anciens partenaires. Après des cris de fureur et des crises de larmes au tout début, Jay a fini par assimiler ce principe japonais de tact et de discrétion, interdisant aux gens de montrer leurs émotions trop intensément.

UNE PART MANQUANRE - STP sois raisonnable
Keiko

Dans l’une des premières scènes du film, on voit Jay aider une compatriote qui vient de perdre son enfant. Furieuse, elle fait une scène devant la maison de son ex-conjoint et lui reproche d’avoir volé son enfant. Jay et l’avocate aident Jessica (Judith Chemla) à se calmer et lui donnent le conseil suivant : « Tu vas essayer de pas faire de conflits, pas faire de menaces. Tu vas rester cool, zen, comme ça tu vas pouvoir voir ton enfant de temps en temps ». Pour Jessica, la situation est absurde : elle ne veut pas seulement voir son enfant de temps en temps, mais plus régulièrement car elle est sa mère quand même ! En plus, ce ne serait pas à son mari de porter plainte contre elle, mais l’inverse!

Et puis un jour : Lily!

Le jour où Jay est affecté à un autre quartier afin de remplacer un collègue en congé de maladie, le miracle se produit : Lily entre dans son taxi. Blessée à la cheville, elle se fait conduire au collège tous les matins. Trop petite au moment de la séparation, Lily ne reconnaît plus son père, mais un lien se tisse néanmoins entre eux. Lily récite son exposé sur les anguilles devant lui et essaie quelques mots en français, seule trace de son père disparu qu’elle aimerait bien revoir.

UNE PART MANQUANRE - Et puis un jour

Tout comme son père, elle semble entourée d’une certaine mélancolie, d’un sentiment de manque… Jay est comblé de bonheur et sent l’opportunité de lui révéler bientôt la vérité, mais le retour de son collègue Honda, qui devra reprendre son ancien parcours, risque de faire échouer son plan. Fou de joie à l’idée que son rêve devienne réalité, Jay ne peut plus rester « zen » et décide d’agir, même si c’est contre la loi… 

Un film sur le Japon qu’on connaît et qu’on ne connaît pas

Une part manquante montre Tokyo loin des clichés populaires et des touristes. Au lieu de cela, il présente ses petites ruelles, ses petits magasins et ses maisons de bain où se côtoie la population autochtone. Il montre également un enjeu social qu’on ne trouve nulle part dans les guides de voyage. C’est l’un des points forts du film, les autres étant la prestation convaincante et touchante des acteurs et les plans de caméra traduisant de manière intelligente le désespoir et l’impuissance des parents. D’autre part, j’ai trouvé trop exagérée cette insistance négative sur le principe du tact et de la retenue, normalement associés à la culture nippone avec une connotation romantique . Elle se montre de manière itérative verbalement (surtout dans les conseils qu’on donne à Jessica) et non-verbalement (pensons par exemple au parent japonais qui est prié de ne pas montrer son pansement au poignet, signe de sa tentative de suicide) et prend dans ces scènes une connotation clairement négative. Ainsi, une opposition entre la France (culture extravertie, liberté des sentiments, union des parents et de leurs enfants) et le Japon (culture introvertie, sentiments refoulés, séparation familiale) est créée, ce qui me semble trop manichéen. Toutefois, ce n’est qu’un détail dans un film incontestablement réussi.  

Une part manquante est présenté au FCMS, le 13 avril 2025 et sort en salles le 11 avril.

Bande-annonce  

Révision linguistique par Maeva Kleit.

Fiche technique

Titre original
Une part manquante
Durée
98 minutes
Année
2024
Pays
France / Belgique / Japon
Réalisateur
Guillaume Senez
Scénario
Guillaume Senez
Note
9 /10

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Fiche technique

Titre original
Une part manquante
Durée
98 minutes
Année
2024
Pays
France / Belgique / Japon
Réalisateur
Guillaume Senez
Scénario
Guillaume Senez
Note
9 /10

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