« I woke up in the morning and he was gone. »
[Je me suis reveillée le matin et il était parti.]
À la veille de son 16e anniversaire, une fille et son père se promènent autour d’une centrale nucléaire, lisent des livres et créent des jeux absurdes en apparence inoffensifs.
Qu’est-ce que le mot « dada » vous évoque? Le jeu de petits chevaux? Une manière enfantine d’appeler son père? Le mouvement d’avant-garde du début du XXe siècle qui se plaisait à faire voler en éclat les conventions aussi bien esthétiques que politiques? C’est un peu tout ça que nous propose Aaron Poole dans son premier film qui illustre de manière chaotique la difficulté de vivre nos relations interpersonnelles, surtout quand vient le temps de faire confronter les traumas du passé.
Dès le début du film, des gros plans : des visages, des regards, des mains, un tableau. Très rapidement, le spectateur se retrouve le troisième passager d’une voiture et les paysages environnants défilent rapidement. Sous ses yeux, un couple d’individus dont on peine à comprendre la nature de leur relation. On les suit lorsqu’ils quittent la ville pour se retrouver dans ce qui semble être un parc régional. Ils arrivent dans un chalet au bord d’un lac et se racontent, au bord de la plage, des histoires effrayantes. Le cadre, dans un premier temps idyllique, à son tour le devient. Il y a des sons ambiants, lourds, qui nous font trésailler, et lorsque la nuit tombe dans de parfaits clairs-obscurs, on ne voit plus que leurs visages éclairés par des lampes de poche, rien de ce qui les environne.
Cette instabilité provient aussi du cadrage que nous propose le cinéaste; les coupes sont nombreuses et les plans se succèdent à vitesse grand V, Poole nous livre un objet esthétique où la composition des images est franchement maîtrisée, mais cette alternance rapide, au lieu de nous fasciner, nous en fait décrocher quelque peu.
Au-delà de la confusion, il y a une inquiétude certaine qui s’installe. Elle est d’abord due au lieu, le chalet étant limitrophe d’anciennes installations nucléaires et les différents panneaux qui l’entourent nous font comprendre qu’un drame a eu lieu.
On suit également nos deux personnages dans une routine qui s’installe dans un environnement semi-glauque, notamment quand ils se brossent les dents dans la salle de bain délabrée. On sait alors peu de choses sur eux, mais on comprend que le jeu est au cœur de leur dynamique relationnelle. Plusieurs non-dits persistent toutefois : l’homme consulte régulièrement son téléphone, et la nuit, la fille en rencontre une autre qui lui ressemble sans que cela semble l’inquiéter, alors qu’on ne sait nullement de qui il s’agit ni encore moins d’où elle sort.
C’est la rencontre d’autres personnages, aux abords du chalet ou encore sur la route, qui nous permet d’en apprendre davantage sur nos deux protagonistes. On comprend alors qu’il s’agit d’un père et de sa fille qui voyagent ensemble pour le seizième anniversaire de celle-ci. On apprend également que la relation entre la mère et le père est difficile et que cela trouble la fille.
Depuis cette révélation, tout est encore plus bizarre et les scènes qui les montrent marcher en pleine nuit se multiplient. C’est aussi le point de départ pour plus d’étrangeté. En effet, la fille, dont on apprend que le nom est Kye, se réveille et dit à propos de son père : « I woke up in the morning and he was gone » [Je me suis reveille le matin et il était parti.]. Débute alors une séquence très étrange où elle agit comme si elle ne le voyait pas alors qu’il est juste en face d’elle. On se demande alors ce qui se passe et pourquoi la communication semble rompue? Est-ce l’un des nombreux jeux auxquels ils s’adonnent? L’ignore-t-elle à cause des propos qu’il a tenus sur sa mère la veille? Son père est-il un fantôme? Et quel est ce drame qui s’est produit dans le village de Port Campbell?
Nous vous laisserons le plaisir de découvrir les réponses à ces questions tout en insistant sur ceci : elles seront marquées par le sceau de l’incertitude. Une fois que l’on comprend que l’intrigue est aussi fuyante que les plans proposés par Aaron Poole, que reste-il à dire sur son film?
D’un point de vue esthétique d’abord, par les points de vue non conventionnels qu’il nous impose, le jeune réalisateur nous immerge dans des réalités qui ne nous laissent pas indifférents. Parfois, on a l’impression d’être assis sur le capot d’une voiture qui roule à vive allure, d’autre fois, dans de longs plans-séquences, on se retrouve immergé dans un lac tout en se demandant si on va s’y noyer, d’autres fois encore, on est face à de très gros plans qui nous permettent d’interroger, dans le regard des personnages, les tréfonds de leurs âmes. Il s’agit là d’un film qui se veut donc très technique, mais en élargissant ainsi sa palette, peut-être que Poole a trop voulu le montrer.
L’intrigue quant à elle est insaisissable, nous l’avons assez dit. Ce n’est pas un mal en soi, mais quand les longueurs auxquelles on assiste nous conduisent à regarder notre montre deux fois plutôt qu’une, ce n’est pas forcément réussi. Cela dit, il y avait quelque chose de touchant à voir comment les relations père-filles peuvent être difficiles, surtout quand elles sont empreintes des traumas irrésolus du passé, comment il peut être impossible de se comprendre lorsqu’on n’est pas connecté émotionnellement à l’autre, mais il y aura toujours quelque chose de beau à persister pour qu’elles fonctionnent malgré tout ce qui nous en coûte.
Bande-annonce
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