Bring them down - Une

Bring Them Down — Aveugle du cœur

« I want their heads! »
[Je veux leurs têtes!]

Bring them down - Affiche

Un berger irlandais (Christopher Abbott) est amené au bord du gouffre à tous les niveaux : conflits internes, hostilité au sein de la famille, rivalité avec un autre fermier; paternalisme, héritage et traumatisme générationnel se succèdent.

Une lumière grise

La dichotomie au centre de l’oeuvre, mais peut-être plus précisément la ligne qui sépare le noir du blanc; celle que l’on traverse et qui nous amène loin de qui nous sommes tout en nous y rapprochant. Une histoire racontant deux points de vue qui s’opposent et se confrontent (mais ce n’est pas Creation of the Gods II). Cette ligne que l’on trace arbitrairement entre l’homme et la nature, l’autre et soi-même, le Bien et le Mal. L’un essaie de vivre sa vie normalement après avoir quitté la région dans de mauvais termes, l’autre voit son univers s’écrouler et met la faute sur la tension que cause le retour de Michael au village. Pour les deux personnages principaux s’antagonisant mutuellement, la honte des actions qu’ils ont posées hier et encore aujourd’hui les guette et les poussent inévitablement dans une débandade autant impulsive qu’imprévisible. 

Bring them down - Une lumière grise - Christopher Abbott
Michael (Christopher Abbott)

Christopher Abbott incarne un protagoniste au passé douteux. La première scène s’expérimente à travers le regard de Michael qui, lors d’une balade en voiture accompagné de sa conjointe et la fille de cette dernière, se fait annoncer la nouvelle de la séparation; la suite est dramatique. On ne voit le visage de monsieur Abbott qu’après ce moment, ce qui laisse planer une incertitude quant à la nature de l’évènement précédant. Était-ce volontaire ou une perte de contact avec la réalité ou même un infarctus? Difficile à dire puisqu’on n’aborde jamais précisément la chose, et ce, même à la fin. Est-ce parce que l’on ne veut pas prendre la chance que le public ne puisse faire autrement que souhaiter une fin rétributrice pour Michael, et donc, se priver de ressentir de l’empathie à son égard?

C’est tout de même une surprise de reprendre l’histoire à la moitié, mais ce coup-ci du côté de Jack, interprété par Barry Keoghan, qui essaie d’aller chercher la sympathie du public, mais qui à mon avis n’y arrive pas très bien (le rôle, pas l’acteur). Il faut dire que malgré les images quelque peu perturbantes de la scène d’introduction, ce n’est rien en comparaison aux atrocités qui vont se succéder. Cependant, détrompez-vous. Bring Them Down, ce n’est pas un film d’action ou d’horreur, mais il y a tout de même quelques moments assez prenants du côté de la violence. Je dirais même que l’agressivité passive était probablement ce qui m’irritait le plus de ce côté; surtout lorsque celle-ci peut exploser à tout moment en une confrontation physique. 

À force de tendre l’autre joue, les deux sont rouges

C’est tout de même dans les silences et les demi mots que se déploie la majeure partie des émotions négatives. Les actes d’agressions se veulent cathartiques, mais le récit démontre comment il est vain d’en arriver à de telles tactiques. La haine, la vengeance, la peur sont des sentiments qui poussent à faire le pire en croyant se libérer d’un fardeau, toutefois la vérité est souvent autre, car rien ne peut ramener ce qui fut perdu. Ici, la figure paternelle symbolise l’autorité ainsi que la puissance. Ray, interprété par Colm Meaney, et Gary, interprété par Paul Ready, s’impose comme la conscience de leur fils respectif qui semble n’avoir d’autre choix que de l’intérioriser tout en réprimant qui ils sont. 

Bring them down - Ray (Colm Meaney) - À force de tendre la joue
Ray (Colm Meaney)

Même le plus résistant des barrages peut craquer si on n’y veille pas; si on se rapporte à l’être humain, ce point de rupture est différent pour chacun. Il serait sage de ne pas le chercher, car qui sait ce qu’un animal – même humain – peut faire une fois acculé au pied du mur? Cette violence sous-jacente donne un nouveau sens à l’expression « a wolf in sheep’s clothing » en me ramenant à cette devinette-ci : « Qu’est-ce qui est pire qu’un loup dans une peau de mouton? » L’aspect campagnard entouré par toutes ces brebis évoque selon moi le courroux de l’homme (grave péché) lorsqu’il se prend pour Dieu et décide de dispenser de vie et de mort. 

La fin de l’histoire démontre l’ironie de ces situations où l’on termine en se demandant pourquoi ne pas avoir pris le temps de parler avant de frapper? Mon moment préféré est celui où Michael se rend compte qu’un de ses moutons s’est égaré lors de la transhumance et le retrouve embourbé jusqu’au cou dans un fossé. Il le porte sur son dos; une référence judéo-chrétienne certainement puisque son homonyme ange est reconnu pour être le protecteur des brebis et se battre contre Satan. Quand on voit l’hécatombe à la moitié du film, la chose devient d’autant plus apparente; il ne manque qu’un pentacle et des chandelles. 

Faut qu’on s’parle

Au final, Bring them Down parle de cette frustration refoulée que nous portons tous et toutes en nous (certains plus que d’autres, certes), cette colère que l’on ne sait pas comment s’extirper du corps soi-même. Une difficulté que l’on prend de plus en plus le temps d’aborder puisqu’il y a de ces choses de la vie qui ne sont pas nécessairement innées et qui doivent être inculquées. La télévision québécoise s’est beaucoup penchée sur la question dernièrement avec des émissions comme À coeur battant ou Mea Culpa et tout récemment un documentaire sur Noovo qui s’intitule Les gars, faut qu’on se parle (faucon, combien de jeu de mots… en tout cas, moi je mettrais jamais ça en titre). Y’a pas à dire, on est persuadé que l’inaptitude à bien gérer ses émotions dans les situations difficiles semblent être un défaut typiquement masculin.

Malheureusement, je suis la preuve vivante que femmes ou hommes, inconnus ou confidentes, jeunes ou vieux sont capables de violence tant sur le plan émotionnelle que physique lorsque leur quotidien bascule trop rapidement. Saviez-vous que le concept d’hystérie ne date pas d’hier? En fait, l’hystérie c’est comme la folie; des mots qui nous arrangent pour qualifier d’autres que nous, d’autres souvent membres involontaires d’une démographie qui préfère les taire que de les écouter. The Killing Joke est une bande dessinée de Batman très célèbre coécrite par Alan Moore, Brian Bolland et John Higgins, dans laquelle on essaie de démontrer que tout être est sujet à la perte de contrôle si la situation est trop intense (et c’est différent pour chacun d’entre nous). J’ai pas envie d’attendre qu’on montre une femme en plein carnage à la télé pour qu’on commence à vouloir se traiter tous en humains. C’est ça qu’on est, vous savez? Nous ne sommes pas des femmes, des hommes, des trans, des gaies et ainsi de suite; nous sommes des humains, et les humains sont diversifiés et uniques. C’est ce qui rend notre race, notre espèce, si magnifique à mes yeux. 

Bring them down - Faut parler

À la place, on préfère se diviser pour se concentrer sur nos points divergents et en faire une excuse pour l’affrontement et la guerre. On se met à pointer du doigt, à dire qui mérite de vivre ou pas. Même Frodon dans Lord of the Rings à dû se faire rappeler à l’ordre par Gandalf avec l’aide de cette fameuse citation : « Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort, et les morts qui mériteraient la vie, pouvez-vous la leur rendre, Frodon? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser morts et jugements! »

Parce que, oui, la majorité de nos problèmes sont au niveau de notre perception de ceux-ci et pas à cause que le ciel s’acharne sur nous. C’est facile, je le sais, je suis déjà passé par là. On se lève le matin et on trouve une chose qui nous énerve — les affaires qui « gâchent notre journée » — comme être pris dans le trafic, ou avoir oublié son portefeuille, ou ta mère passe la balayeuse quand tu voulais faire la grasse matinée dans le salon; l’enfer quoi. Là, cette chose-là devient le centre de notre haine et de notre mal parce que si tout va mal dans le monde c’est la faute des maudites brocheuses qui marchent pas! François Pérusse en faisait des blagues dans ses sketchs tellement il y avait un côté démesuré et plus grand que nature (donc comique) et c’était en 1991. Cependant, de nos jours ce ne sont plus des blagues. 

Hier, j’écoutais le dernier spectacle de Louis-José Houde sur Tou.TV et ça m’a fait du bien de constater que j’étais pas seul à penser ça; plus personne n’est modéré. Si on était des thermopompes, on aurait deux modes : « fer à repasser en feu sur le cou d’un Redneck » ou « Seins de sorcières en hiver dans une brassière en fer-blanc ». Rire, là. Maudit que ça fait du bien. Je peux pas croire qu’on soit tant que ça à s’en priver quotidiennement en remâchant tous nos petits tracas comme des vaches qui brouteraient leur merde. Alors, je vous dis, cher lectorat, jetez un coup d’œil à Bring Them Down, car j’ose espérer que ça va vous donner le goût de pas faire pareil.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Bring Them Down
Durée
105 minutes
Année
2024
Pays
Irlande
Réalisateur
Chris Andrews
Scénario
Chris Andrews et Jonathan Hourignan
Note
8.5 /10

1 réflexion sur “Bring Them Down — Aveugle du cœur”

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Fiche technique

Titre original
Bring Them Down
Durée
105 minutes
Année
2024
Pays
Irlande
Réalisateur
Chris Andrews
Scénario
Chris Andrews et Jonathan Hourignan
Note
8.5 /10

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