« Merci de ne pas nous avoir oubliés. »
Depuis l’invasion, les services de renseignement ukrainiens ont intercepté des milliers d’appels téléphoniques passés par des soldats russes sur le front à leurs proches restés en Russie. À partir de ces enregistrements, la cinéaste Oksana Karpovych dépeint la cruauté de la guerre avec une puissance émotionnelle vertigineuse. Juxtaposées à des images de paysages dévastés, où la population ukrainienne tente au quotidien de résister et de reconstruire son pays, les voix des soldats russes trahissent tour à tour l’héroïsme illusoire, la folie, le doute et la désillusion. Les récits de propagande, de pillage et de crimes plus terribles encore exposent le pouvoir déshumanisant de la guerre et la nature impérialiste de l’agression russe.
À l’image, des Ukrainiens tentent de vivre malgré l’invasion de leur pays. Au son, des conversations interceptées de soldats russes se confient à leurs familles. Interceptés superpose le monde de celui qui détruit et de celui qui est détruit pour révéler la terrible réalité de cette guerre et l’impasse de l’invasion russe en Ukraine.
Cela fait bientôt un mois que la nouvelle année est entamée et on prend conscience que faire mieux ça arrive rarement du jour au lendemain. Nous allons de bon train soucieux de faire de 2025 le pied de biche qui déclouera le dernier clou planté dans notre cercueil collectif. Et je crois que c’est ce désir, que dis-je, ce besoin qui domine les mentalités à travers le globe en ce moment. Malgré tout, la guerre rage toujours. Qui profite réellement des querelles lors desquelles nous nous confrontons encore? Le colonialisme, l’impérialisme; ne sont-ce pas des choses du passé? Le monde n’est plus à explorer, mais à partager. De la place, il y en a pour toutes et tous, ce que la Terre ne supporte plus c’est notre croyance que tout est infini et pour nous à exploiter.
Dans Interceptés, Oksana Karpovych prête un regard contemplatif sur la guerre et ce qui en découle utilisant la dichotomie entre le son et l’image pour afficher en couleur les différents gris qui les engendrent. Alors que des appels de soldats russes interceptés par l’armée ukrainienne servent de bande sonore, les images d’une Ukraine dévastée et en constante reconstruction rivent notre regard sur l’incompréhension de l’abstrait de la destruction. Des humains déshumanisés et des paysages dépaysés, voilà ce qui compose ce documentaire ou la réalité de la guerre en est son propre témoignage.
Un char d’assaut abandonné dans le plus grand silence… et une fraction de seconde plus tard, on y aperçoit la tête des humains en train de dépouiller l’intérieur de la carcasse provoquant du même coup une frayeur soudaine comme celle de voir une arme à feu dans les mains de quelqu’un d’autre; une impression de mort imminente. Un appel d’un soldat déchiré par les actes qu’il a perpétrés pleurant qu’il n’est plus le même, puis un autre insensible à toute atrocité, persuadé qu’il fait la bonne chose alors qu’une mère terrorisée sanglote en entendant ce que son fils à pu faire. Défilent les scènes d’une soupe populaire et d’Ukrainiens venant chercher un peu de pain ou nettoyant le peu qu’ils peuvent du chao et des débris qui jonchent leurs terres ravagées.
L’Ukraine c’est majoritairement la campagne et on n’y vit pas comme en Russie. Je ne l’énonce pas de manière dépréciative, mais plutôt pour démontrer la différence dans la réalité de l’Ukraine par rapport à la Russie. La bonne entente serait la meilleure option envisageable, ce que j’entends par-là, c’est que les conflits se règlent difficilement dans la violence à moins que l’on souhaite la soumission ou l’anéantissement de l’autre parti, ce que j’ai de la difficulté à concevoir surtout en 2025. Ce n’est pas comme si l’armée ukrainienne était à la fine pointe, et la guerre un lointain songe; un cauchemar que l’on pouvait oublier. À notre ère où les pensées d’assimilations laissent place aux concepts d’indépendance, d’inclusion mutuelle et d’incorporation, la lucrativité de la guerre semble la seule raison moindrement logique pour justifier de tels actes.
Qu’elle soit capitaliste ou communiste, la richesse enivre celles et ceux qui la possèdent et dévore le reste. Interceptés n’est que le constat de cette folle course effrénée pour acquérir toujours plus et sans aucune considération pour les autres. Tears for Fears en avait déjà saisi l’essentiel en 1985, « Everybody wants to rule the world ». Alors, pourquoi y tenons-nous autant? Avec ce documentaire, Madame Karpovych ne prétend pas détenir les réponses aux questions existentielles que provoque ce genre d’horreurs loin d’être fictives, mais elle entaille une porte close laissant s’immiscer un peu de lumière, histoire de mieux voir ce qui s’y trouve.
Ce qui me surprend dans la réalisation, c’est son impartialité à ne pas démoniser ou édifier la souffrance ou la violence en un méli-mélo sensationnaliste; ce qui aurait été très facile à faire étant donné les circonstances.Toutefois, on montre et découvre sobrement les dessous d’un pays en lambeau piétiné par les combats sans nécessairement évoquer la colère ou la vengeance; quoique les dires des soldats vont souvent dans le sens inverse. Cela permet d’expérimenter l’effroi et le deuil à leur juste valeur, avec une sincère empathie. Loin de l’incitation à la haine, il semblerait que l’on veuille avant tout sensibiliser le public grâce au rythme lent des plans qui se succèdent.
Une image vaut mille mots dit-on, mais elle perd de sa force lorsque les mots peuvent la supplanter alors qu’elle s’éternise sous nos yeux. Selon moi, la dissociation visuelle et auditive est parfois si longue qu’il devient problématique de garder son attention. Bien évidemment, cela permet davantage d’introspection de la part du spectatorat, mais ce dernier se retrouve à se battre contre le manque de dynamisme omniprésent tout au long du visionnement. J’avoue que le tempo est en concomitance avec la situation présente de l’Ukraine, mais n’y manque-t-il pas un peu de vie en fin de compte?
Même si tout n’est pas glorieux, il y a tout de même de l’espoir; un espoir que je sens absent de Interceptés. Navrant lorsqu’on sait que la réalisatrice est d’origine ukrainienne. Je ne demande pas un éloge de leur force et de leur capacité à remporter la victoire, loin de là; mais j’aurais souhaité un constat de la ténacité de l’humain à vivre et à continuer malgré le ciel qui s’abat sur nos têtes. Être témoin d’une culture qui demande à ce qu’on la reconnaisse si on ne veut pas la voir disparaître. La puissance du cinéma est indéniable et a la capacité à affecter le cours des pensées et des cœurs, cette force n’est pas inexistante dans ce documentaire, néanmoins, elle est loin de s’en accaparer.
En conclusion, je crois qu’il est toujours possible que les deux camps déposent leurs armes et que la paix puisse tranquillement faire place au pardon et au renouveau. Il n’est pas trop tard pour rebrousser chemin… Sauf que plus on laisse les choses dérailler, c’est plus compliqué. Si je pense à ce qui se passe dans mon coin de pays, je dirais que le fléau de l’immobilisme moral n’en est pas vraiment un de société, mais bien un individuel. Personne ne peut nous faire réellement changer mis à part soi-même. Une leçon que je crois être autant valable pour les petits enfants que les grands dirigeants.
Bande-annonce
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