« — What are you doing?!
— Isn’t it obvious? I’m winning! »
[— Qu’est-ce que tu fais?!
— Ça me semble évident, non? Je gagne!]
Une petite entreprise de lutte accepte un poste bien rémunéré dans une ville isolée pour apprendre, trop tard, que la communauté est dirigée par un mystérieux chef de secte avec des plans sournois pour leur match.
La lutte est un sport honorable pratiqué depuis plusieurs millénaires au même titre que de raconter des histoires. Il n’est donc pas très surprenant qu’un jour on ait mélangé ces deux pratiques quelques années après la création des œuvres d’art totale de Richard Wagner. Vous n’y voyez pas la ressemblance? Des personnages hauts en couleur hurlant à plein poumon accompagner de leitmotives annonciateurs de leur entrée en scène, alors qu’iels sont tous vêtus d’iconiques costumes des plus loufoques. Il n’y a pas de doute selon moi quant à l’influence du gesamtkunstwerk sur le concept de la lutte professionnelle comme on la connaît aujourd’hui.
Tout ça me ramène au début de mes études universitaires alors que je découvrais le répertoire de Wagner et son apport au monde de l’art et du spectacle. J’avais fait une vidéo critique comme travail final dans laquelle j’expose les liens qui unissent ce principe né au 19e siècle aux procédés utilisés dans le film High School Musical (dont voici le lien, c’est à vos risques et périls). Malgré l’engouement des amateurs de lutte à travers le monde, ce n’est que depuis l’apparition de la télévision à la fin des années 60 qu’elle gagne en popularité. Regarder les matchs à travers l’œil d’une caméra permettait d’ajouter au réalisme des performances; la magie de la télé.
Utiliser la profession de lutteur est étonnamment idéal pour installer un procédé de réflexivité. L’athlète est en soi un acteur tout comme celui devant la caméra; un être incarnant un personnage qui doit nous faire croire que ce à quoi nous assistons n’est pas un jeu, mais bien réel. Lowell Dean est conscient de la portée que peut avoir son œuvre — Dark Match — sur le plan symbolique pour aussi peu que son apparence. Dans le milieu professionnel au cinéma, il n’est pas plus facile de se tailler une place parmi les grands. Comme le dit le dicton; il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus.
Le jeu est souvent très inégal, si certaines personnes se demandent pourquoi on ne se retrouve pas tous comme premier rôle, c’est un peu une question d’investissement personnel; et là je ne parle pas d’argent. Il faut savoir donner au public sans pour autant surjouer ou sous-jouer, contrairement à certains des acteurs secondaires tels que Sara Canning dans le rôle de Kate The Great. C’est à se demander si comme à la lutte on n’a pas essayé de bien faire paraître la vedette du spectacle. Les amateurs d’Unité 9 reconnaîtront aisément la protagoniste de Dark Match. Ayisha Issa interprète le rôle de Miss Behave, une lutteuse qui aimerait changer ses habitudes et figurer comme tête d’affiche. Malheureusement pour elle, on la préfère au second plan. Madame Issa — après de nombreuses années à l’écran déjà — commence tout juste à fleurir, mais c’est à se demander si le jeu en vaut la chandelle. J’ai cru au départ que son interprétation resterait stérile et distant comme à l’habitude, mais plus le film avançait plus elle osait briser cette fine couche de plâtre encombrant sa performance au départ.
Concept très intéressant qui donne espoir quant à l’avenir du cinéma au Canada, et par conséquent, au Québec aussi. Sortir de l’ordinaire des sentiers déjà trop battus qu’on a eu le temps d’asphalter puis réparer au moins douze fois, ce n’est pas pour me déplaire. Malheureusement, même si l’histoire est bonne et que l’idée originale est très intéressante, le scripte en tant que tel est vraiment chaotique. Les scènes semblent écrites rapidement combinant à peu près tout le cinéma amateur des dernières années dans une finale pot-pourri nauséabonde, quoi que rafraîchissante. Pour l’histoire, c’est plutôt le contraire… on commence avec beaucoup d’énergie; la musique entraînante, l’esthétique des plans, des costumes et du montage… Jusqu’à la seconde moitié.
Si Dark Match peine à venir chercher l’intérêt de son public, celles et ceux oeuvrant dans le cinéma seront ravis de constater l’ouverture vers des fictions plus éclatées et moins terre-à-terre. La réalisation déconstruite et anarchique évoque un caractère lynchien mélangé avec Mortal Kombat (1995) très divertissant malgré une conclusion précipitée. Je ne serais pas surpris de voir cette œuvre devenir un classique culte pour les amateurs d’horreur. La trame sonore ainsi que les choix musicaux sont excellents tel que Raise a little hell (Trooper) que je n’avais pas entendu depuis longtemps. L’ambiance est vraiment bien travaillée, restant fidèle au genre de l’époque tout en lui amenant une touche de nouveauté.
Je sais j’ai l’air dur et il est normal d’imaginer que je puisse haïr ce film ou même le trouver pas bon, mais c’est tout le contraire. Dark Match, c’est ce genre de longs métrages qui n’a pas tout bien, mais qui divertit sans aucun doute. Jamais je n’avais pensé pouvoir dire « un luchador poids plume avec une mitraillette bousillant du matériel électronique de manière cathartique », mais voilà qui est fait. Bref, une histoire pleine de rebondissements inattendus — ridicules, certes —, quoique très entraînante. On veut que les personnages s’en sortent et on a mal quand l’un d’entre eux va rencontrer son créateur.
On expose ici les répercussions de cette quête que nous menons probablement tous — que ce soit conscient ou non a peu d’importance — pour obtenir la gloire et la fortune; que sommes-nous prêts à faire pour être le numéro un? Comment savoir si l’on sera même satisfait à ce moment-là, en voudrons-nous encore plus sans aucune limite? Ce qu’il manque à l’histoire n’est que question de concision, car la multitude d’avenues empruntées tant au niveau de la trame narrative que de sa continuité dans la sémiotique finit par n’aboutir nulle part, ou par se résorber trop rapidement. À vouloir tout faire pour montrer qu’on est bon, on finit par tout faire mal et démontrer le contraire.
J’aimerais aussi lever mon chapeau à l’audace de la scène finale (que je ne divulgâcherai point). Précipitée elle aussi, mais il s’en dégage un certain panache, surtout lorsque l’on ose quelque chose que le cinéma se permet peu au Canada; des effets spéciaux qui font un peu série B, mais qui me donnent envie d’en avoir plus. Bon, j’aurais enlevé le moment où elle sort de la voiture pour se battre (j’ai trouvé ça garroché), mais pour le reste j’avais presque autant de plaisir qu’en écoutant Friday the 13th. Je ne commencerais pas une secte autour de Dark Match, néanmoins je suis certain que plusieurs autres seront sans doute séduits par l’idée.
Bande-annonce
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