« My house, this home that had once felt completely safe, was now the scariest place in the world. It was visceral, I could taste the evil in my mouth. »
[Ma maison, ce foyer qui m’avait autrefois semblé totalement sûr, était désormais l’endroit le plus effrayant du monde. C’était viscéral, je pouvais sentir le goût du mal dans ma bouche.]
En s’appuyant sur sa propre expérience d’admission dans un service psychiatrique après la naissance de son fils, Sankey mêle récit personnel et séquences historiques et cinématographiques. Le film présente des entretiens avec des professionnels de la santé, des historiens et des personnes souffrant de la même maladie, offrant une perspective multiforme sur la façon dont les femmes souffrant de problèmes de santé mentale ont été stigmatisées et mal comprises au fil du temps, tout en créant son propre groupe de femmes pour se réapproprier leurs histoires.
Le regard que nous portons sur soi, peut-il être autant néfaste que bénéfique? Peut-on réussir à transformer les stigmas en force? Plusieurs mots alors péjoratifs comme « queer » ou « nègre » ou « frog » sont maintenant réappropriés par celles et ceux que ces termes condamnaient; peut-être qu’après tout, tous ces mots ce ne sont que des mots? Il y a plus de 300 ans à Salem, le mot sorcière avait la même force qu’une balle de fusil, car sa seule mention était majoritairement suivie d’un funeste destin pour la personne — plus précisément, la femme — interpelée. Witches, par Elizabeth Sankey, explore ce terme assassin en liant son sens à une vision moderne du syndrome post-partum. Elle se réapproprie l’expression « sorcières » à travers ses témoignages perturbants au sujet de son expérience de nouvelle mère joints à des extraits de films dépeignant l’image mythique sous toutes ses coutures.
Cette succession exhaustive d’archives et de séquences vidéo sont les choix narratifs que madame Sankey préconise dans la composition de ses œuvres. Je ne suis personnellement pas éperdu de la technique puisqu’elle me semble un peu expéditive. Au début de mon visionnement, je fus d’abord perdu dans les images et la narration entre la fiction et le documentaire. Plus les images défilaient, plus j’avais l’impression que l’image devenait noire et opaque; mon cerveau apparemment incapable de lier ce diaporama au discours prononcé. Un voile tombait, aurais-je pu dire, mais c’est qu’en fait les écailles me tombaient des yeux et que le sujet « caché » derrière m’apparaissait au son de la voix monologuant son contact avec la folie.
La réalisatrice apparaît à l’écran, c’est elle la narratrice. À ce moment, j’entrai dans un état de confusion momentanée qui dura peut-être une quinzaine de minutes. Elle explique comme quoi les femmes sont capables des plus grandes choses depuis longtemps; elle explique aussi comment les hommes ont réduit aux silences des connaissances importantes détenues depuis toujours par des femmes. Ce savoir que l’on jugea matière à sorcellerie, les hommes se l’approprièrent et il devint la pierre d’assise pour mettre en place un système de contrôle sur les femmes. Un discours percutant, mais il n’en reste tout de même un classique; la nouveauté étant plutôt associée aux témoignages de la réalisatrice ainsi que ceux d’autres femmes connues, dont Sophia Di Martino de la série Loki.
Un point représente un emplacement, mais il n’a pas de dimension en soi. De toute façon, qui oserait associer la taille de la plume et des caractères qu’elle dessine à la valeur du sens inscrit? Peut-être qu’avec la matière, plus gros correspond à plus profond; mais dans le monde des idées, tout est question de finesse. Toutefois, la ligne qu’Elizabeth Sankey essaie de tracer dans Witches est irrégulière et vivante comme le contour d’une flamme. Récemment mère, il est difficile de concevoir que son expérience associée à tout ça soit aussi négative. J’ai effectivement appris il y a plusieurs années que toutes les femmes ne vivaient pas l’enchantement durant et après la grossesse. Maintenant, je conçois fort bien que grand nombre de facteurs puissent causer une dépression ou même la peur chez certains de ces êtres aux portes de la maternité.
La première moitié est bien si on ignore la mer nauséeuse d’images en rafale comme un moment à la Clockwork Orange qui n’en finit pas, mais c’est à partir de la deuxième partie que ses mots comme un courant d’air sur les cierges commencent à les faire danser lugubrement. Les ombres vacillent dans l’écho d’un silence liturgique sur les murs attentifs auxquels je me sentis cloué. Une image plus familière — et familiale — de cela, serait ce portrait d’un jeune Anakin Skywalker dans Star Wars Episode I dont l’ombre projetée est celle de Darth Vader. Plus que du simple « foreshadowing » ou préfiguration, on comprend aussi que la silhouette qui se détache de l’objet sous le feu des projecteurs n’est peut-être pas en concomitance avec ce dernier.
Sachez, cher lectorat, qu’il m’est extrêmement rare de recourir au divulgâchage, mais ici je le fais simplement par… disons, par inquiétude. La folie est un sujet au centre de ce documentaire. La réalisatrice confie à un moment que les sensations qui l’accompagnaient l’avaient amené à fuir le contact de son nouveau-né, et même — dit-elle alors qu’elle est au bord des larmes — à avoir des pensées destructrices vis-à-vis de son enfant. Les mots justes je ne les écrirai pas, car ils sont pour moi plus alarmants qu’autre chose. Puis, elle poursuit en disant que les femmes sont amenées à ne pas avoir le droit de s’exprimer, qu’elles sont malgré elles amenées à des idées démentielles. Dans cet esprit, on mentionne quelques femmes qui auraient commis l’irréparable suite à, dit-elle, une dépression post-partum incomprise par des médecins.
Oui, la plupart des positions de pouvoir ont, par le passé, majoritairement été occupées par des figures masculines. Cependant, les agissements des classes inférieures sont dictés par l’élite qui se permet aussi de les enfreindre. Nous pourrions dire donc que les hommes ne sont pas sans vertu, mais plutôt ceux qui les ont représentés auparavant — sans nécessairement concevoir être une image inféodée au genre masculin (de là la notion de comprendre les conséquences et la portée des actions que l’on pose) — n’étaient probablement pas les plus grands humanitaires et donc les meilleurs exemples à suivre ou auxquels se référer. Dommage que les vagues de leur sillage furent si hautes qu’elles firent sombrer toutes les autres lorsqu’elles imbibèrent les pages du grand livre de notre histoire.
Est-il normal ensuite que la faute retombe sur les individus arborant une quantité de caractéristiques assez substantielle pour en faire la cible des maux perpétrés jadis? Bien sûr que oui. Cependant, peut-on punir un chaque individu comme étant indicible du groupe auquel nous les avons fait appartenir?
Le documentaire Witches me laissa à l’égale des autres femmes interrogées au sujet de ces femmes tueuses soudainement martyres de leur situation; c’est-à-dire stupéfait et quelque peu apeuré. Certains propos entretenus par la protagoniste restent des généralités relevant davantage d’un double standard ou plutôt de l’ignorance que ceux-ci entrent en contradiction avec d’autres données sociologiques. Le fait de ne pas être encouragé à vivre toutes ses émotions reste un sujet qui ne saurait être monopolisé par un genre plus qu’un autre. Peine d’amour, post-partum ou folie passagère, il n’y a pas grand-chose à mon avis qui puisse justifier des actes violents ou le risque de ceux-ci face à un bébé. Enfin, c’est ce que j’ai senti. Je me suis demandé si ce genre de discours pourrait sortir de la bouche de n’importe qui sans paraître louche et je n’ai rien trouvé. J’imagine que c’est mieux qu’elle en parle plutôt que de le laisser bouillonner?
Avec les récentes élections, j’eus la possibilité d’observer les réactions sur une situation qui dure depuis presque une dizaine d’années. Cela fait longtemps que le peuple n’a pas été autant… En colère. On parle de tolérance, mais les discours et les actions sont polarisés. On chuchote doucement notre haine à l’oreille des autres et on crie notre amour de manière démesurée. On canonise, on exile, mais surtout on se divise inévitablement. Les individus exacerbés que nous sommes serrent les dents dans un rictus forcé, mais il faut se libérer de cette agressivité qui nous ronge, car on ne construit rien en voulant détruire. Le noir, le blanc; le rouge ou le bleu… Ne dit-on pas que les contraires s’attirent? C’est ce que je souhaite pour Noël, un peu d’équilibre ferait du bien.
Bande-annonce
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