L’UPPCQ vient de dévoiler l’étude qu’elle a initiée pour analyser les conditions socioéconomiques des producteurs et productrices du cinéma québécois. Financée par Téléfilm Canada et avec le soutien de la SODEC, cette étude a été menée par le cabinet conseil indépendant Habo auprès de membres et non-membres pour représenter l’ensemble des producteurs et productrices québécois indépendants qui œuvrent en cinéma. Les résultats observés devraient donc être objectifs qui fournissent une évaluation concrète de la situation de cette profession.
Pour l’aspect qualitatif de cette étude, 11 parties prenantes externes ont été consultées, à savoir des syndicats, des associations et compagnies de production avec des expériences variées. Pour l’aspect quantitatif, 69 compagnies de production de cinéma indépendantes du Québec ont répondu à un questionnaire détaillé (sur un échantillonnage d’environ 100 compagnies répertoriées).
Cette étude répond à trois objectifs clés. En premier lieu, brosser un portrait des producteurs québécois indépendant.es de cinéma au Québec. Puis, documenter les principales problématiques vécues par les producteurs liées à leurs conditions économiques, à leurs conditions de travail et vis-à-vis de l’accès au financement. Enfin, il s’agit d’identifier des pistes de solutions qui répondent aux enjeux soulevés.
Le profil des producteurs sondés manifeste une représentation majoritaire de femmes ainsi qu’une inestimable accumulation d’années d’expérience. La plupart travaillent au sein de leurs sociétés de production qui sont des PME. La presque totalité de ces producteurs ont reçu des nominations ou des reconnaissances majeures, ici comme à l’étranger, au cours de leur carrière.
Les raisons principales de l’insatisfaction des producteurs face à leur situation socio-économique relèvent de la précarité financière associée à la profession, des conditions de travail, des inégalités de revenus constatées par rapport aux autres acteurs du milieu et les difficultés rencontrées pour obtenir du financement.
Les producteurs ont en majorité de la difficulté à se payer un salaire décent et à assurer leur stabilité financière à long terme. L’étude démontre que le taux horaire moyen équivaut à 19,70$ de l’heure. De fait, les revenus générés par les productions sont souvent insuffisants pour subvenir à leurs besoins et près de la totalité des producteurs assument les risques financiers en réinvestissant leurs revenus personnels dans leurs productions pour parvenir à produire adéquatement leurs projets. Cela entrave également la capacité des sociétés à constituer un fonds de roulement, à assurer une stabilité financière et à embaucher les ressources nécessaires pour la gestion adéquate des compagnies.
Il en résulte un stress soutenu lié aux conditions de travail, notamment à cause de l’absence d’avantages sociaux tels les régimes de retraite ou les assurances à quoi s’ajoute le déséquilibre permanent entre vie personnelle et professionnelle eu égard au nombre considérable d’heures (encore plus considérables en production) de travail en moyenne par semaine (60 heures hors production et 80 heures en production). La complexité des montages financiers nécessaires pour mener à bien les projets et le faible taux de probabilité de succès du financement se traduit par un niveau de contrainte difficile à gérer pour les producteurs.
En outre, les producteurs perçoivent d’importantes inégalités au sein de l’industrie (ex: manque de reconnaissance de leur travail de la part des institutions, des autres corps de métiers, etc.). Le manque d’équité salariale entre divers métiers et de fortes inégalités liées à l’accès au financement sont une réalité avec laquelle ils doivent composer. De fait, il est plus simple d’entrer dans ce métier que d’y demeurer. D’ailleurs, les préjugés concernant un pseudo-enrichissement des producteurs.trices au détriment des autres professionnels est très tenace et en nette opposition avec ce que cette étude démontre.
Plus encore, la majorité d’entre eux souligne que les sources de financement actuelles sont difficiles d’accès et peu adaptées aux réalités du secteur. En effet, les ressources et enveloppes financières sont insuffisantes pour subvenir aux besoins des sociétés de production pour produire des films correspondant à l’intention créative et offrant la qualité souhaitée. Les demandes de financement représentent un processus long et contraignant tant au niveau du temps imparti que du manque de ressources dévolues aux fonctions administratives. Ce qui se fait largement au détriment des fonctions créatives. La moyenne estimée est de 4 à 5 dépôts pour financer un seul projet, car les sources de financement actuelles ne sont pas adaptées aux réalités de l’industrie et ne suivent pas l’évolution des coûts réels. De là la difficulté pour les compagnies à attirer, rémunérer et fidéliser des employé.es qualifié.es et à amortir les frais fixes avec les montants actuels alloués dans les budgets pour le roulement des entreprises. Tous ces facteurs contribuent à une précarité tout aussi grande des sociétés de production.
Les défis principaux pour les cinq prochaines années génèrent des inquiétudes quant au financement des projets cinématographiques à cause de l’impact de l’inflation sur les coûts de production, de la crainte que les gouvernements resserrent les budgets accordés à l’industrie. En outre, la détérioration des conditions de travail aura un impact à long terme dans un contexte de réinvestissement, de surcharge et de précarité.
Pour pallier ces constats, l’UPPCQ a identifié des pistes de solution : bâtir un meilleur écosystème culturel permettant d’augmenter et de pérenniser les financements de l’industrie, augmenter les taux de crédits d’impôts pour la production locale, avoir plus de cyclicités dans les dépôts et de mettre en place une simplification des procédures. Par ailleurs, le retrait des réinvestissements demandés aux producteurs de cinéma et la réduction de certains postes de frais externes administratifs sur les projets permettraient une meilleure planification dans la production des films. L’indexation des cachets des producteur.rices et des frais d’administration en fonction de l’inflation seraient un des éléments essentiels pour assurer une juste rémunération des producteurs à quoi il serait nécessaire également d’instituer un plan d’avantages sociaux pour les travailleurs autonomes de l’industrie culturelle (incluant les producteurs).
De plus, une révision des conventions syndicales pour assurer des plafonds salariaux entre les diverses professions, selon la hauteur des budgets s’impose comme une condition nécessaire à la viabilité de la plupart des projets.
Enfin, toutes ces pistes pourraient donner lieu à convocation de nouveaux états généraux du cinéma dans l’optique de développer une meilleure communication dans le milieu entre les différents bailleurs de fonds, associations et professionnels de l’industrie.
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