Bâtiment 5 - Une

[Cinemania] Bâtiment 5 — Chronique d’une banlieue sacrifiée

« Ma mère m’a appris à parler, pourquoi je devrais me taire? »

Bâtiment 5 - Affiche

Ladj Ly, réalisateur engagé d’origine malienne, a été révélé par Les Misérables (2019), qui exposait les réalités des quartiers populaires et des communautés marginalisées. Son parcours, ancré dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, et son implication dans le collectif Kourtrajmé, le positionne comme un témoin des luttes sociales des banlieues françaises. À travers ses films, Ly capte les tensions, la solidarité, et les injustices vécues par ces communautés souvent invisibilisées. Sa caméra devient ainsi un vecteur de dénonciation et de résistance sociale.

Bâtiment 5 suit le parcours d’Haby (Anta Diaw), une jeune femme profondément impliquée dans sa commune. Elle découvre avec stupeur un projet de réaménagement dissimulé par Pierre Forges (Alexis Manenti), un jeune maire récemment élu et ancien pédiatre. Ce plan prévoit la démolition du bâtiment où elle a grandi pour faire place à des constructions modernes, marquant un pas de plus vers la gentrification du quartier. Déterminée à préserver ce lieu chargé de souvenirs, Haby se lance avec les autres habitants dans un combat contre la municipalité, défiant les ambitions de ceux qui, sous couvert de modernité, effacent la mémoire des anciens résidents.

La communauté au cœur des luttes sociales et de l’embourgeoisement

Bâtiment 5 plonge sans détour dans les réalités brutales des copropriétés dégradées, là où les dérives de spéculation et d’abandon se révèlent en pleine lumière. Contrairement à une idée reçue, nombre de ces immeubles ne sont pas des HLM, mais des copropriétés privées en proie à des charges impayées et à une gestion défaillante, accélérant ainsi leur déclin. En France, environ 110 000 copropriétés, soit près de 18 % du parc, sont considérées « fragiles » en raison de cet abandon structurel. Des résidences emblématiques comme les Bosquets à Montfermeil, où a grandi Ladj Ly, ou le Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, illustrent ce naufrage social : pour leurs habitants, souvent issus de milieux précaires, ces lieux deviennent des pièges où l’insalubrité et l’insécurité transforment le quotidien en survie, comme le rappelle l’incendie tragique de Vaulx-en-Velin en 2022.

Bâtiment 5 - La Communauté au Cœur des Luttes Sociales

C’est dans ce contexte d’effritement physique et social que le film met en scène la lutte des résidents pour préserver leur dignité et leur droit au logement. Ly choisit une approche visuelle dépouillée, quasi-documentaire, qui évite tout spectaculaire pour privilégier une mise en scène sobre et authentique. Par des plans bruts et évocateurs, comme celui d’un cercueil dévalant les escaliers délabrés, il exprime l’usure et la déshumanisation qui gagnent ces espaces, rappelant comment la gentrification efface progressivement les identités populaires. Ce style, en retrait de l’intensité dramatique de Les Misérables, ancre ici le récit dans une vérité plus intime, offrant au film une tonalité presque pudique.

À travers le combat d’Haby et des résidents pour sauver leur immeuble, Ly transforme le bâtiment 5 en un symbole de résistance face à des politiques urbaines d’exclusion. Ce bloc de béton, loin d’être anonyme, devient l’emblème de luttes de classe et d’enjeux d’identité collective, dans un contexte où les priorités immobilières semblent écraser les racines sociales et culturelles. Ly capte la dignité de ses personnages en scrutant leur quotidien et leurs interactions, privilégiant l’empathie et les moments de partage à toute caricature, créant ainsi une proximité puissante entre le spectateur et les résidents.

La force du film réside aussi dans ses scènes de solidarité, comme l’accueil d’une famille syrienne, qui révèle l’esprit d’entraide résistant aux conditions difficiles. Ici, Ly interroge subtilement le rôle des institutions, soulignant leurs paradoxes sans offrir de réponses simplistes, et laisse le spectateur face à une question essentielle : comment saisir et affronter les racines de ces inégalités dans leur globalité?

Une fresque sociale aux enjeux complexes mais limités

Bâtiment 5 explore avec intensité des thèmes sociaux fondamentaux comme l’embourgeoisement et les injustices économiques. Toutefois, le film choisit de centrer son récit autour de trajectoires individuelles, notamment celles du maire Pierre Forges et d’Haby, la protagoniste. Ce choix narratif, qui ancre la lutte dans une dimension personnelle, confère à l’histoire une proximité humaine, mais en limitant l’analyse aux personnages, le film reste en surface quant aux structures de pouvoir qui perpétuent ces inégalités. En réduisant la question de la résistance et du pouvoir à un duel entre le maire et les résidents, Ly simplifie des enjeux aussi vastes que l’urbanisme et la marginalisation, sans vraiment approfondir les dynamiques politiques et économiques qui façonnent la vie de ces quartiers depuis l’extérieur.

Batiment 5 - Une Fresque Sociale aux Enjeux Complexes

D’un point de vue cinématographique, cette focalisation sur l’individuel est accentuée par le style visuel de Ly, qui privilégie une caméra sobre et proche des personnages. Ce choix, en renforçant l’attachement aux protagonistes et en captant la vulnérabilité des résidents, ancre la lutte dans une dimension intime, mais reste en retrait des rouages plus vastes du pouvoir. Ce réalisme dépouillé, s’il met en valeur l’authenticité du cadre de vie, tend également à confiner la critique sociale dans une perspective limitée, manquant la complexité des forces systémiques en jeu. Ainsi, le film déroule une succession de moments de solidarité et de lutte, mais l’absence d’une structure plus globale donne au récit un caractère fragmenté, où les interactions entre personnages peinent à illustrer l’ensemble des réalités sociales qu’ils traversent.

Ainsi, Bâtiment 5 devient une fresque sincère et profondément humaine, qui met en lumière les défis quotidiens des quartiers populaires et la solidarité qui unit les habitants face aux pressions de la gentrification. Cependant, l’angle narratif choisi laisse certains aspects en suspens, sans parvenir à cerner pleinement les forces structurelles qui nourrissent ces inégalités. Ladj Ly invite ici à une réflexion précieuse sur la justice sociale et l’impact de l’urbanisme, mais en s’appuyant principalement sur une perspective individuelle et symbolique, il incite à se demander comment le cinéma pourrait dépasser ces portraits fragmentés pour offrir une vision plus complète et incisive des systèmes qui maintiennent ces communautés sous pression.

Bâtiment 5 - Avant citation

« Même si BATIMENT 5 reste avant tout une fiction, il met donc en lumière les millions d’habitants vivant dans des conditions de logement très difficiles (chiffres consultables dans le rapport annuel du mal-logement de la fondation Abbé Pierre) et le combat légitime des habitants pour leur dignité ». – Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire et auteur d’un essai socio-historique sur la cité des Bosquets

Bâtiment 5 est présenté les 12 et 15 novembre au festival Cinemania, et sera en salles au Québec à partir du 6 décembre.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Bâtiment 5
Durée
100 minutes
Année
2023
Pays
France
Réalisateur
Ladj Ly
Scénario
Ladj Ly et Giordano Gederlini
Note
6.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Bâtiment 5
Durée
100 minutes
Année
2023
Pays
France
Réalisateur
Ladj Ly
Scénario
Ladj Ly et Giordano Gederlini
Note
6.5 /10

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