« Je me rappellerais que vous, le petit docteur, vous avez protégé mon père, et vous m’avez laissé tomber. »
Céline Sallette signe, avec Niki, un film audacieux qui explore avec une finesse remarquable la naissance artistique de Niki de Saint-Phalle. Concentré sur une décennie décisive de la vie de l’artiste, ce biopic évite la surenchère visuelle et narrative, préférant un parcours intérieur, sombre et lumineux à la fois, qui témoigne de la transformation de Niki Mathews en Niki de Saint-Phalle.
Dans le Paris de l’après-guerre, Niki Mathews (incarnée magistralement par Charlotte Le Bon) est une femme, mère et mannequin dont la vie semble tracée. Un jour, son mari Harry découvre sous leur lit une quantité d’objets tranchants, révélant une angoisse qu’il peine à comprendre. Déstabilisé, il décide de l’interner en hôpital psychiatrique. C’est là, au cœur d’une crise existentielle, que Niki commence à canaliser ses blessures en une force créatrice. En dépit de l’incrédulité de son médecin, qui rejette ses confessions d’abus paternel, elle découvre en elle un talent pictural insoupçonné.
La mise en scène de Sallette s’attarde avec justesse sur les traitements de choc infligés à Niki, des méthodes que l’on perçoit aujourd’hui comme inhumaines. Cette violence institutionnelle est montrée sans pathos excessif, comme un élément brut dans l’éveil artistique de l’héroïne.
Charlotte Le Bon incarne une Niki magnétique, vulnérable et inébranlable à la fois, dont la quête de soi passe par une lutte contre un héritage familial lourd de traumatismes. Ce n’est pas tant le récit d’une artiste en devenir, mais le portrait d’une femme qui se réinvente face à la folie, où l’art devient son refuge et son outil de survie. Ce personnage incarne une libération progressive des normes, en s’affranchissant des pressions sociales de l’époque et de l’autorité médicale.
La résilience s’impose comme un thème majeur. Céline Sallette montre comment, à travers l’art, son héroïne parvient à dépasser ses blessures, refusant de s’y laisser réduire. Cette résilience est d’autant plus puissante qu’elle est présentée comme un cheminement laborieux, marqué par la solitude et le rejet. En se rapprochant des patients de l’asile, Niki trouve une forme de communion et un miroir de sa propre marginalité. Sallette évite le piège d’une représentation idéaliste de la folie, en lui attribuant une dimension à la fois sombre et libératrice, tout en dévoilant le processus de création artistique comme une catharsis.
« Pour toi, c’est juste un passe-temps de femme au foyer »
Par ailleurs, la dynamique entre Niki et les personnes de son entourage, en particulier les femmes, met en lumière les entraves sociétales et la condescendance auxquelles elle doit faire face en tant qu’artiste femme. Dans une scène poignante, c’est la femme d’un ami qui qualifie son art de « passe-temps de femme au foyer », un jugement qui révèle le regard réducteur de l’époque sur la créativité féminine. L’arrivée de Jean Tinguely (interprété par Damien Bonnard) marque un tournant : il devient son allié artistique et complice, offrant à Niki l’espace et la stimulation créative nécessaires pour affirmer pleinement son art.
L’absence des œuvres de Niki de Saint-Phalle, en raison de droits inaccessibles, aurait pu constituer une frustration. Pourtant, cette contrainte devient un atout narratif : en ne montrant pas les créations finales, le film invite à se concentrer sur l’artiste en devenir. Cette absence place le spectateur dans l’intimité du processus créatif, en faisant de l’art non pas un objet, mais une expérience viscérale, une transmutation de la souffrance en beauté.
Ce film n’est pas un simple biopic, mais un hommage à l’émancipation féminine et à la force intérieure, où chaque épreuve devient un tremplin vers une liberté nouvelle. Céline Sallette réussit, avec une économie de moyens et une grande délicatesse, à faire de Niki un portrait introspectif, où la souffrance et l’art se rejoignent pour offrir une puissante renaissance.
Niki passe de l’amnésie à la conscience, de l’asservissement à la révolte, de l’enfermement à la libération, on voulait passer du gris aux couleurs éclatantes.- Céline Salette
Vous pouvez en apprendre un peu pus sur cette femme ici.
Niki, est présenté au Festival Cinemania les 12 et 13 novembre 2024. Sa sortie en salles au Québec est prévue pour le 15 novembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième