Si le cinéma a souvent démontré des choses choquantes, le documentaire a la chance de pouvoir les amplifier. Par le fait que ce genre de films permet de capter le réel, on peut voir, par exemple, la terreur d’un crime violent ou d’une tragédie historique, là où un film de fiction atténue ces choses et fait appel à la suspension consentie de l’incrédulité des spectateurs.
C’est en pensant à ça que le réalisateur italien Francesco Rosi a pris une approche documentaire pour son film, The Moment of Truth, qui raconte l’histoire d’un jeune homme qui devient toréador. Cette esthétique lui a permis de démontrer toute l’intensité et la violence de ce sport. Mais près de 60 ans plus tard, le cinéaste espagnol Albert Serra (La Mort de Louis XIV, Pacifiction) a opté pour un faire un documentaire complet lorsqu’il parle aussi de la corrida dans Afternoons of Solitude.
Le film nous fait suivre un groupe de matador lors de plusieurs corridas, en se penchant plus particulièrement sur Andrés Roca Rey, un célèbre toréador péruvien connu pour ses prises de risques et pour généralement donner le coup final au taureau.
Le réalisateur a pris la décision de ne filmer que les matadors, même dans des moments les plus intimes. On les voit certes dans l’arène, mais aussi dans les estrades, en train de se changer et dans leur camionnette, avec une caméra placée devant de siège d’Andrès Roca Rey, captant son visage et ses émotions après chaque journée. Albert Serra ne nous montre jamais la réaction de la foule, mis à part quelques exclamations.
Car la brillance du film est dans comment il montre son sujet, la corrida. D’un côté, il y a une dimension spectaculaire, voire cinématographique, à cette pratique. Les mouvements et la façon de faire des toréadors ont une certaine beauté et grâce. On est aussi impressionné par le fait qu’ils affrontent des bêtes gigantesques qui peuvent facilement les tuer. On voit même le toréador prendre de violents coups à certains moments. On comprend bien l’aspect spectacle de cette tradition.
De l’autre côté, Albert Serra ne lésine pas sur l’aspect que beaucoup considèrent comme cruelle de la corrida. Les taureaux ne sont là que pour se faire tuer, ils perdent des litres de sang et meurent d’une terrible manière. Les personnes sensibles à la cruauté animale ne devraient pas regarder ce film. Mais une autre chose qui frappe, c’est le caractère assez brutal des matadors, insultant les personnes qui les protestent, ayant un grand sentiment de supériorité envers les animaux et même le reste de la population. Un gros contraste, surtout en voyant la camaraderie entre eux. Même Andrès Roca Rey, au visage presque innocent, démontre sa soif de sang face au taureau.
Mais Albert Serra n’impose pas une opinion sur la discipline. Il présente tous ses aspects, les mauvais comme les bons, et laisse les spectateurs se faire leur propre envie. C’est ce que tous les bons documentaires, à moins qu’ils ne soient engagés, doivent faire.
Le documentaire aurait cependant pu être plus court. En effet, les corridas sont certes le sujet du film et restent souvent un choc à voir, mais ça devient répétitif au bout du cinquième duel. Le réalisateur aurait pu enlever une ou deux séquences du genre et le message de son film aurait quand même bien pu passer.
Afternoons of Solitude reste un documentaire choc. Un pur morceau cinématographique qui en impressionnera plusieurs, en rebutera d’autres, mais qui ne laissera personne indifférent. Un autre exploit d’Albert Serra qui lui a mérité la Coquille d’or au Festival de San Sebastian de 2024.
Tardes de soledad est présenté au FNC les 10 et 18 octobre 2024.
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