Veille sur moi — Une vérité qui dérange | TouTv

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« Excusez? Mon petit-fils s’est fait enlever. Y’a pas quelqu’un qui peut m’aider? »

Désillusion de petitesse

Radio-Canada est un endroit formidable. On sort à Papineau, et à partir du poste de Police ça devient beau. Pour quelqu’un comme moi qui vient d’un milieu pourrait-on dire « précaire », c’est toujours un peu plus grand que nature comme expérience de rentrer dans l’édifice pour couvrir des événements là-bas (Radio-Canada, pas le poste de Police). Bon, ma mère me dirait probablement tout de suite : « pas si précaire que ça quand même! », s’empressant de me nommer les nombreux sacrifices qu’elle à fait pour que je ne manque de rien… Selon moi, c’est ça, précaire. On ne comprend pas toujours pourquoi les autres ont plus de choses que nous, on demande à nos parents sans concevoir la chance que l’on a d’avoir un toit sur la tête et d’être majoritairement en sécurité. Ce sont ces pensées qui m’accompagnaient alors que je me rendais au lancement de la minisérie Veille sur moi qui sera en onde sur TOU.tv Extra le 10 octobre prochain.

Veille sur moi - Désillusion de petitesse - Corinne - Pascale Renaud-Hébert
Corinne (Pascale Renaud-Hébert)

La société dans laquelle nous vivons a bien des qualités, mais il me semble qu’une critique de temps à autre pourrait s’avérer constructive, non? Veille sur moi, si j’ai bien compris, ne se veut pas quelque chose du genre. Bien sûr que Radio-Canada est une société d’État et donc par le fait même un des piliers du système d’ici; je commence malgré tout à en avoir assez que la seule émission qui ne vante pas le fonctionnement de cette dernière et de ces institutions soit considérées comme une caricature satirique. Dans Veille sur moi, je devrai le prendre au sérieux alors qu’avec la série Les Bougons ce n’est pas du tout ça la vie on dirait bien. Avec le type d’émissions qu’on a en ce moment, ce n’est pas la première fois qu’on me parle d’une Corinne, la mère toxicomane interprétée par Pascale Renaud-Hébert, et de la protection de la jeunesse. Le petit plus? La minisérie met aussi à l’avant-plan Maggie, la grand-mère interprétée par Guylaine Tremblay, qui revendique une part de la garde de son petit-fils, interprété par le tout jeune Jérôme Hébert.

On veut nous montrer un milieu précaire, pourquoi? J’avoue ne pas savoir. Pour un sujet du genre, j’aurais aimé que l’on sorte du cliché de la mère droguée issue d’un milieu précaire, que l’on change le mal de place. Les équipes de production des studios Pamplemousse ainsi que celle de Radio-Canada sont catégoriques; on ne veut pas stigmatiser une classe sociale en particulier. Ceci étant dit, était-ce si difficile justement d’appréhender le type de problèmes abordés dans la série à plus d’un niveau de la société? Pourquoi ne focalise-t-on pas sur une personne bien nantie se retrouver dans ces débâcles-là? Pourquoi n’en rencontre-t-elle pas une autre aux prises avec les mêmes problèmes, mais d’une caste différente? Ce n’est pas comme si la série laissait penser qu’elle ne connaît pas la rime scénique ou le parallélisme narratif. A-t-on peur qu’on n’y croie pas?

Y voir la tour

Dans un des épisodes, Corinne reçoit la visite d’une agente de la DPE (DPJ fictive), interprétée par Rose-Marie Perreault, qui s’interroge sur l’environnement dans lequel évolue Zack, son fils. Corinne va pour s’allumer une cigarette et avant même que la flamme n’apparaisse au bout de son briquet, le feu brûle au fond des yeux de l’agente. Après, elle essaie de lui faire croire qu’elle n’est pas là pour la juger… Quelle hypocrisie. Il y a aussi ce moment où Maggie va faire un signalement à la protection de la jeunesse où on la fait passer pour une vraie conne et qu’on la renvoie d’où elle vient pour faire le signalement par téléphone (de manière très courtoise bien sûr). Dans la salle, les gens riaient et j’avais du mal à saisir complètement l’ambiance de la scène; était-ce drôle parce que la madame ne le savait pas? (Ah oui, je comprends! Et Quasimodo c’est drôle parce qu’il est laid, c’est ça?) Je veux dire, si c’est Maggie qui courait partout pour faire le travail de la protection de la jeunesse, pourquoi paie-t-on la préposée qui ne veut même pas retransmettre un message urgent (téléphone sur place ou courriel ou peu importe)? Vous savez de quoi je parle, le respect qu’on nous demande tant d’avoir lorsqu’on est à l’intérieur d’une institution gouvernementale. 

Veille sur moi - Y voir la tour - Agente de la DPE - Rose-Marie Perreault
L’agente de la DPE (Rose-Marie Perreault)

J’ai entendu dire : « Je connais plusieurs de ces personnes qui sont des “Maggie” (la protagoniste) qui n’ont pas grand-chose, mais ça reste des gens fiers ». De ce que j’en sais, il n’y a pas beaucoup de grandes nations que l’on nomme « fier » mis à part les conquis et les assimilés. La pauvreté serait-elle insidieusement remise au rang des vaincues? On nous montre des moments comme celui où la mère reçoit son premier chèque comme préposée à l’entretien, toute fière d’offrir une poutine à son fils et à sa mère. Êtes-vous convaincus que c’est vraiment la fierté qui pousse la personne pauvre (ou précaire) à se lever le matin pour faire un boulot qui n’aide pas à son développement autrement que par sa survie? On voudrait dire qu’on est fier de survivre, c’est ça? Ces gens-là ne peuvent-ils pas aspirer à plus, ou c’est que c’est pas assez réaliste? Si l’on reconnaît que les enfants dans des milieux moins abondants nécessitent un accompagnement parce qu’iels auront moins de chance, pourquoi pas les adultes? Encore une fois, ici, la série Les Bougons a un pas d’avance. Quant à moi, je partage plutôt les paroles de Merle Travis dans le sens où travailler d’arrache-pied fait vivre plus longtemps seulement parce qu’on doit son âme à son patron. 

Les privilèges d’être un enfant, c’est d’avoir une société qui veille sur soi si les parents venaient à manquer. On est parent toute sa vie, mais étiez-vous au courant qu’il y a une date de péremption pour un enfant? Apparemment, un jour on se retrouve à notre propre merci, souvent trop tard pour qu’on puisse y remédier. Quand est-il alors; on espère que le bateau se remplisse de poisson avant qu’on tire à la courte paille? Un petit peu de change peut-être? On dit souvent qu’il est normal qu’un enfant élevé dans de mauvaises conditions tourne mal et on s’étonne presque qu’on puisse en ressortir. Les rêves d’une vie meilleure sont pour les enfants pauvres, pas les grands apparemment. Si on vous prend en charge au bon moment tant mieux, sinon tant pis. Vous vous débrouillerez, sale mauviette (avec un accent de doublage français).

Vous m’avez monté un beau grand bateau de Neurath

Tout cela me rend confus. Je croyais que l’on travaillait tous à construire un pays où abris et subsistances seraient un droit acquis pour tous. Après tout, est-ce qu’un suzerain qui ne réussit pas à loger et nourrir sa population efficacement devrait avoir le droit légitime au trône? On dirait que ça n’a plus d’importance maintenant. Le comble de l’ironie dans Veille sur moi c’est que ce n’est même pas le gouvernement qui dégote un emploi à Corinne, mais un ami. Un reflet peut-être involontaire de cette réalité, Corinne est aussi une enfant qui ne l’a pas eu facile dans le temps.Toutefois, son âge la soustrait — parce que les lois sont comme ça — à toute aide extérieure significative, à moins que celle-ci vienne de son cercle privé. Une belle idée de production pour projeter l’image d’un cœur sensible qui bat au creux de Radio-Canada, mais n’y avait-il personne issue de ce milieu qui aurait voulu prendre la parole à ce sujet à qui on aurait pu penser; une personne qui aurait souhaité, par le fait même, s’exprimer? 

Veille sur moi - Un beau grand bateau
Les grands-parents (Gildor Roy et Guylaine Tremblay) et le petit fils (Jérôme Hébert)

Est-ce que la série est un long message du gouvernement du Canada comme il nous arrivait de voir à la télévision avant? « Les grands-parents ont aussi des droits ». À la fin, on va nous montrer un numéro à appeler si jamais on ne va pas bien? La croyance que le système puisse être sans faille ou qu’il fait de son mieux remet la précarité de ses citoyens sur leurs épaules déjà chargées; puisque celles et ceux qui n’en sentent pas la charge ont souvent peu d’expérience à ce niveau. De la même manière, elle déresponsabilise le devoir de ce dit système à offrir des services de qualité. Cela revient un peu à dire, « c’est pas notre faute si vous ne le saviez pas ». De toute façon, ça a l’air que le monde trouve ça drôle quand on ne sait pas quelque chose. Est-ce possible de repenser les modèles actuels de la société en repartant de zéro; sinon, comment reconstruire progressivement en s’assurant de ne pas faire couler le navire? J’ai l’impression qu’il faille tout faire soi-même.  

Ces temps-ci, dans le métro, il circule beaucoup d’annonces contre le harcèlement de rue. On nous dit entre autres comment reconnaître les signes et quoi faire si jamais on est témoin. Vraiment, on ne peut se fier à rien ni personne. J’espère au moins que c’était clair dans votre tête que si on voit quelqu’un se faire battre on laisse pas faire ça, pour le reste, faut pas non plus faire le travail des policiers. En plus d’être payé le salaire minimum à faire un travail déprimant, il faut en plus se foutre de celles et ceux payés trois fois plus? Parce qu’au final, oui, le grand dénominateur, ça reste l’argent. Ah non? Si on est si sûr que ce ne sont pas des problèmes issus de la pauvreté, alors pourquoi les montrer dans ce milieu là? C’est tout de même difficile de faire autant quand on a moins; c’est ça la définition de la pauvreté : avoir moins que le nécessaire. À l’opposé, la richesse c’est l’abondance ou le surplus. Ça ne prend pas un expert analyste pour déchiffrer ce diagramme-là et en tirer de bonnes conclusions tout de même. 

La série risque malgré tout — même si cela est accidentel — de dépeindre un mode de pensée qui définit une réalité propre à certaines personnes. Si Veille sur moi réussit à illuminer votre cœur, c’est toujours ça de gagné. Non? Ce n’est peut-être pas le projet numéro, mais pour certain c’est indéniablement un premier essai réussi. Suffit maintenant de savoir si on peut faire mieux la prochaine fois. J’ai eu l’air rude peut-être, mais j’ai surtout voulu apporter une nuance qu’on oublie de considérer quelquefois : les choses sont beaucoup plus complexes qu’elles n’y paraissent une fois qu’on s’y attarde vraiment. C’est cette dernière partie que je désire éveiller chez vous, cher lectorat; la patience et le goût de la réflexion. Pour ma part, mon petit doigt me dit que même si la minisérie n’attaque pas les failles de notre société directement, elle permet certainement d’en prendre conscience.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Veille sur moi
Durée
60 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Rafaël Ouellet
Scénario
Pascale Renaud-Hébert
Note
7.5 /10

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Fiche technique

Titre original
Veille sur moi
Durée
60 minutes
Année
2024
Pays
Québec (Canada)
Réalisateur
Rafaël Ouellet
Scénario
Pascale Renaud-Hébert
Note
7.5 /10

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