« I was good at drinking, having sex and taking pictures – and I did all three as much as I could. »
[J’étais doué pour boire, faire l’amour et prendre des photos – et je faisais les trois autant que je le pouvais.]
Le premier long-métrage d’Ellen Kuras, Lee, propose un portrait nuancé de Lee Miller, l’une des premières femmes photographes de guerre. Plus qu’une simple biographie, ce film nous plonge dans les contradictions intérieures et les luttes sociales que Miller a affrontées dans un monde profondément marqué par la Seconde Guerre mondiale.
Porté par une performance exceptionnelle de Kate Winslet, Lee explore des thématiques aussi complexes que l’égalité des genres, la résilience face à la guerre, et la quête d’expression artistique dans un contexte à la fois historique et contemporain.
Le film suit Miller (Kate Winslet) de ses vacances en France en 1938, entourée d’artistes et d’intellectuels, jusqu’à son travail pour British Vogue durant la guerre. Le début du film peint un tableau d’une vie insouciante, faite de soleil et d’inspiration, mais très vite, l’ombre de la guerre vient transformer radicalement ce cadre idyllique.
Refusant les rôles secondaires traditionnellement assignés aux femmes photographes, Miller se bat pour obtenir une accréditation de guerre, refusée dans un premier temps en raison de son sexe. Déterminée à capturer la réalité du front, elle finit par obtenir une accréditation de guerre américaine et part seule en Europe, défiant les attentes sociales et professionnelles qui tentaient de la limiter.
L’une des premières choses qui frappent dans ce film est la qualité de la cinématographie. Ellen Kuras, ancienne directrice de la photographie, utilise des tons froids et austères pour souligner l’atmosphère sombre de l’Europe dévastée par la guerre. Chaque plan est minutieusement composé pour accentuer la violence et l’absurdité de la guerre, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Ce choix visuel subtil donne au film une dimension éthique : au lieu de glorifier l’horreur, Kuras nous montre les ravages silencieux du conflit à travers les yeux de Lee Miller.
Les scènes se déroulant dans les camps de concentration sont filmées avec une sobriété glaçante. Kuras ne cède pas à la tentation de choquer le spectateur par des images graphiques; elle choisit plutôt de laisser les paysages parler d’eux-mêmes. Cela reflète la manière dont Miller elle-même aborde la guerre : elle capte la vérité sans la déformer ni l’embellir. Cette approche visuelle, centrée sur l’impact émotionnel, nous permet de saisir à quel point la guerre affecte non seulement les victimes, mais aussi ceux qui la documentent.
Kate Winslet livre une interprétation magistrale de Lee Miller, capturant à la fois sa force et sa vulnérabilité. En incarnant une femme résiliente, mais marquée par des traumatismes personnels et professionnels, Winslet offre une performance qui va bien au-delà de la simple reconstitution historique. En tant que productrice du film, elle apporte une profondeur supplémentaire à son rôle, rendant le personnage de Miller incroyablement humain.
Winslet réussit à montrer les différentes facettes de Miller : tantôt dure, cassante face aux préjugés sexistes de son époque, tantôt fragilisée par ses démons intérieurs. L’actrice met en lumière les impacts psychologiques de la guerre sur Miller, qui, après avoir été témoin des horreurs du front, sombre dans l’alcoolisme et la dépression. Ces moments de vulnérabilité sont traités avec une subtilité qui évite le mélodrame. Winslet parvient à incarner un personnage qui, malgré ses blessures profondes, conserve une détermination farouche à capturer la vérité à travers son appareil photo.
Le film Lee se distingue par son analyse éthique et sociale de la place des femmes dans les professions dominées par les hommes, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1940, les femmes étaient souvent reléguées à des rôles domestiques ou secondaires, surtout dans des domaines aussi cruciaux que le journalisme et la photographie. Ellen Kuras capte cette réalité avec justesse, en montrant comment Miller a dû se battre non seulement contre les restrictions professionnelles, mais aussi contre une structure patriarcale qui tentait de la limiter à des sujets considérés comme « légers ».
Les scènes où Miller cherche à obtenir une accréditation pour accéder aux zones de combat mettent en lumière cette injustice systémique : les femmes étaient souvent jugées inaptes à couvrir les événements graves, même en pleine guerre. Elles étaient cantonnées à des reportages sur le front intérieur, loin des champs de bataille. Ce traitement inégal pose des questions éthiques fondamentales sur l’égalité des chances dans des situations de crise. Alors que les contributions des femmes étaient cruciales, elles devaient sans cesse prouver leur légitimité dans un monde où leur rôle était sous-évalué.
Le combat de Miller trouve un écho dans les luttes actuelles pour l’égalité des genres et la reconnaissance des femmes dans des sphères professionnelles dominées par les hommes. Le film rappelle que ces enjeux sont toujours pertinents aujourd’hui, notamment dans les secteurs créatifs et journalistiques, où les femmes continuent de se battre pour faire entendre leur voix.
L’une des dimensions les plus puissantes du film est la manière dont il aborde le traumatisme, non seulement en tant que thème central dans la vie de Miller, mais aussi comme une réalité indélébile pour tous ceux qui sont témoins de la guerre. Lee montre comment l’expérience de la guerre affecte profondément Miller, non seulement dans son travail, mais aussi dans sa vie personnelle. Les scènes dans les camps de concentration, en particulier, sont parmi les plus poignantes du film. Elles ne se contentent pas de montrer la brutalité des événements, mais capturent également l’impact psychologique que ces scènes ont sur Miller.
Kuras adopte ici une approche délicate, évitant de simplifier la complexité du traumatisme de la guerre. Le personnage de Miller, bien que fort et résilient, est marqué par ce qu’elle voit, et cette douleur se manifeste dans ses comportements autodestructeurs. Ce traitement du traumatisme confère au film une profondeur supplémentaire, soulignant que même les témoins les plus aguerris ne sortent pas indemnes des horreurs qu’ils documentent.
Lee est bien plus qu’un simple biopic historique. Ellen Kuras, avec une sensibilité visuelle remarquable et une narration précise, réussit à offrir un portrait intime et complexe de Lee Miller. Porté par une performance exceptionnelle de Kate Winslet, le film traite avec profondeur des questions universelles : la place des femmes dans l’histoire, le poids du traumatisme, et l’importance du témoignage artistique.
En interrogeant les dynamiques de pouvoir et les injustices systémiques qui ont marginalisé les femmes, Lee trouve un écho dans les luttes contemporaines pour l’égalité des genres et la reconnaissance des femmes dans l’histoire. Le film résonne non seulement par son sujet historique, mais aussi par les enjeux contemporains qu’il soulève, nous rappelant que les combats pour l’égalité, la vérité et la justice sociale sont toujours d’actualité.
En salle à partir du 27 septembre.
Bande-annonce
Archives photographiques de Lee Miller : https://www.leemiller.co.uk/
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