« Tu peux pas juste me dire que tu vas y penser, mais que tu vas avoir d’autres visites. »
Au fil de saynètes curieuses et de conversations captivantes, de jeunes gens en quête d’une colocation explorent la possibilité de forger un lien réel avec l’autre. Posant sa caméra dans une quinzaine d’appartements avec « chambre à louer » à Montréal, la réalisatrice Halima Elkhatabi brosse le portrait complexe et attachant d’une génération habituée à sortir toutes les cartes de son identité pour trouver sa place dans le monde.
Il arrive à mes amis et moi par moment de dire – à la blague depuis les derniers films de Star Wars – que la mode est au dialogue épuré et minimaliste tournant principalement autour des questions suivantes : « Quel est ton nom? » et « Que fais-tu dans la vie? » (oui ça me fait aussi penser au petit garçon dans le film Old de Shyamalan). Soixante-quinze minutes de discussions assez triviales de ce genre avec une conclusion abrupte dont le déroulement donne davantage le goût de regarder une télé-réalité qui serait basée sur ce concept. Je ne crois pas avoir un déficit de l’attention, mais les scènes alternants entre le même plan fixe montrant des gens en entrevue (une entrevue de cohabitation, si c’était pas déjà assez anxiogène celle pour un travail) puis des annonces IKEA style Hochelaga avec un piano rappelant parfois le leitmotiv de Michael Myer dans le film Halloween.
Peut-être suis-je de la vieille école, mais il me semble qu’il n’y a pas si longtemps que ça, on faisait encore des documentaires avec une présentation claire de ce qu’on allait… documenter. J’en conviens, lire le synopsis d’un film c’est un peu comme lire le quatrième de couverture d’un livre pour s’en faire une idée. Toutefois, il est excessivement rare de trouver une œuvre littéraire dont la lecture de l’endos serait nécessaire à la compréhension globale de l’ouvrage. Un film par Halima Elkhatabi qui débute à la réalisation manquant un peu de direction et demandant une certaine endurance à son public pour le traverser d’un bout à l’autre; Cohabiter ne m’a malheureusement pas l’air convaincant comme premier opus. Ce qui est bien dans la vie, c’est qu’on apprend à se relever et à devenir meilleur.
Présenter un personnage est une étape qui dure généralement quelques minutes (et même parfois quelques secondes). On ne peut pas tout bonnement filmer des gens qui parlent pendant des heures sans qu’il ne se passe rien d’autre. En fait, on peut, ce documentaire en est la preuve. Maintenant, on saura à quoi s’attendre. Quoiqu’à la fin du générique, l’un des interviewés évoque son film préféré, Vivre sa vie, réalisé par le renommé Jean-Luc Godard. Sans doute avons-nous ici une tentative d’insérer un peu de profondeur à la dernière minute en créant un parallèle avec la vie ordinaire (et comme avec Godard on peut s’endormir vite).
Je ne suis pas un ignare, j’ai apprécié Alphaville de ce cher Jean-Luc, mais à mon humble avis, ce n’est pas ce qui caractérise la majorité de ses projets. Je trouve simplement que Cohabiter aurait davantage de ressemblance avec les œuvres de Andy Warhol. Vous savez, celui qui faisait du pop art en critiquant la transformation des choses et des gens eux-mêmes en produits de consommation. A-t-on essayé ici une méthode similaire empaquetée puis livrée en courrier express? On voit des gens de tous âges et de toutes nationalités, mais on ne les montre pas. À la place, on parle d’état d’âme entre les mentions de tâches ménagères et de conditions d’adaptation propre à chaque personne. Dans la mer de contenue qui se remplit sans arrêt risquant de nous noyer avant la fonte des glaciers, la question qui me brûle les lèvres serait la suivante : Mais alors, de quoi parle-t-on?
Le multiculturalisme a le dos large, si je peux m’exprimer ainsi. J’en parle de temps en temps dans mes articles (surtout quand ce sont des œuvres canadiennes. Bizarre, non?) comme quoi l’évocation seule d’un vivre ensemble n’est pas suffisante pour composer un sujet de court ou long métrage. Ce que l’on recherche c’est démontrer la beauté du multiculturalisme à travers une société dépourvue de préjugés, mais aussi de caprices personnels. Ainsi, tout un chacun participe à la société sans que les apparences dictent ses fonctions ou sa capacité à atteindre ses buts. Si je peux me permettre, il n’y a pas grand génération qui puisse se vanter sur ce point puisque la société donne et retire des privilèges comme bon lui semble; rétrograde des droits en privilèges et des nouveaux privilégiés qui font la loi comme dans le Far West.
Un employeur qui demande le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et aussi l’appartenance à une ou plusieurs minorités visibles est selon moi extrêmement déplacé et contre indicatif d’une société égalitaire; en fait, c’est complètement le contraire. Si certains s’insurgent que l’on demande le sexe lors d’une visite chez le médecin, j’oserais croire que ce genre de façon d’être de la part d’un embaucheur amènerait une hécatombe d’échelle nationale. Après tout, qui a le droit (qui a le droit, qui a le droit de faire ça) de refuser un travail à quelqu’un qui souhaite s’investir comme membre actif de sa communauté? J’aimerais citer l’article 7 de la Loi canadienne sur le droit de la personne quant aux motifs discriminatoires : « Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects : de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu; ou de le défavoriser en cours d’emploi » (distinction illicite; ça veut dire basée sur le sexe, la nationalité, et cetera).
Tant qu’à me prendre pour un nouveau personnage dans la série Les Justiciers, l’article 5 et 6 mentionnent à peu près la même chose, mais au niveau de l’hébergement. On a tous des besoins spéciaux, mais on en a aussi des communs à tous : être logé, nourri, et se sentir apprécié de nos semblables; c’est-à-dire les autres humains. Ce n’est pas Tinder ou Facebook, là. On m’a enseigné que toute forme de loi est en soi nulle et nonobstant face à l’affection. L’affection, me disait-on, est la seule vraie règle qui régit les rapports de la majorité des êtres humains sur terre. C’est universel, si les gens nous aiment, alors ils nous donneront des privilèges; les gens ne nous aiment pas, alors nous n’aurons pas accès à ceux-ci; et si quelqu’un que l’on aime pas tente de s’intégrer, on va laborieusement trouver une manière de le dissuader et vice versa.
Je comprends tout à fait que la possibilité d’avoir du plaisir avec d’autres individus dans un environnement loin des parents ou simplement d’avoir sa propre liberté est toujours tentante. Cependant, si on le fait, c’est pour payer moins cher de loyer et habiter quelque part (généralement, car il existe toujours des âmes sociales ou charitables dans ce bas monde), mais pas pour se faire des amis. Loin de moi l’envie d’être trouble fête, mais l’idée de refuser à une personne un endroit où habiter ne sonne-t-elle pas étrange à vos oreilles éveillées? N’est-ce pas en fin de compte là que réside la base de toute ostracisation? La présomption d’innocence au Canada serait-elle maintenant bafouée?
Quant au synopsis, il dit tout; au final, je n’avais tout simplement jamais réfléchi à l’expression « brosser un portrait ». Je croyais que ça voulait dire expliquer quelque chose ou le révéler comme on déterre le squelette d’un être préhistorique. Ici, on parle plutôt d’un coup de balai un peu rapide comme on fait avec de la poussière pour la mettre sous le tapis. Un sentiment de précipitation mêlé à une impression d’angoisse de la performance. Nous disait la tortue, nul besoin de courrir. Selon moi, ces démarches démontrent bien comment l’être humain perd lentement, mais sûrement sa capacité à socialiser et à faire confiance à l’autre. On fait des pieds et des mains pour trouver le partenaire parfait, parce qu’aimer les gens comme ils sont de la même manière qu’on aimerait être aimé — tout en ayant la latitude pour s’améliorer — c’est ben trop stupide. Ce n’était pas justement Les Colocs qui chantait comme quoi il faut donner la chance au coureur? Pour des nouvelles générations ouvertes aux différences; je vais dire comme on dit, plus ça change plus c’est pareil. Et vous, cher lectorat, passeriez-vous la puck ou voulez-vous juste « scorer »?
Cohabiter est présenté au TIFF les 5, 10 et 11 septembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième