« The before time… »
[L’époque d’avant…]
Une mère au foyer surmenée (Amy Adams) essaie de trouver un peu de répit, n’importe quel répit, tout en s’occupant de son bambin turbulent. Elle pourrait aussi être en train de se transformer en chienne.
C’est probablement le film le plus fou que j’ai vu pour le moment au TIFF. Entre réalisme et fantastique, Nightbitch, adapté du roman du même nom, est une fable féministe à l’humour corrosif, réalisé par l’Américaine Marielle Heller (L’Extraordinaire Mr. Rogers, 2019; Les Faussaires de Manhattan, 2018).L’actrice Amy Adams incarne la transformation – physique et métaphysique – d’une femme mariée, mère aliénée dans son rôle de mère, finalement des plus banales. Cette« normalité » construite par la société des hommes (« On ne naît pas femme : on le devient », Simone de Beauvoir) côtoie la marginalité dans Nightbitch, dès lors que l’héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche sort des sentiers battus en détruisant l’image d’Épinal d’une femme mère épanouie dans son cocon familial qui s’efface derrière la carrière de son mari.
Sauf qu’elle hait le principe de se faire des copines juste parce qu’elles sont mères comme elle, elle déteste aller à la bibliothèque avec son fils de deux ans pour une séance musicale avec des bambins morveux, être assignée à résidence juste parce que c’est elle la mère. Elle s’indigne du manque de soutien aux femmes dans son pays paternaliste (les États-Unis) qui n’offre pas de long et mérité congé de maternité, et a horreur d’être en plus la mère de son mari qui dit qu’il fait du babysitting lorsqu’il garde son fils… Voici le portrait d’une mère punk qui dit les quatre vérités, et qui s’aventure peu à peu dans la nuit chienne.
Amy Adams est comme un poisson dans l’eau dans son rôle de mère à cran, dans des saynètes de la vie quotidienne où elle s’occupe de son fils comme le chien de service. Elle a un style désinvolte ponctué d’aboiements qui trouble ou fascine ses amies, et une voix off tout aussi impertinente que sarcastique. Des poils qui poussent, une queue qui apparaît, des canines aiguisées, des sens qui se développent, elle devient autre, magique, terrorisante, monstrueuse, découvrant des instincts animaux voire un appétit carnassier. Prise entre le rêve et sa névrose envoûtante, c’est un mystère qu’elle tente de dissiper dans un livre emprunté à la bibliothèque sur la magie des femmes au rayon métaphysique : le mystère de la maternité, presque de l’origine du monde.
Mais elle ne rêve pas seulement, elle découvre les dégâts le lendemain sur le pas de la porte, comme son chat qu’elle a tué dans un excès de folie animale. La transformation physique s’opère bien, la voilà qui court la nuit à quatre pattes au milieu d’une horde de chiens, avant d’élever son enfant comme un chiot dormant dans un panier douillet. Bluffant dans ses allers-retours entre réalisme et fantastique voire l’horreur, cette satire du film familial est un objet unique cinématographiquement. Nightbitch raconte la petite mort vécue par les femmes lorsqu’elles deviennent mères : incarnation des transformations sociales et physiques qu’elles franchissent depuis leur naissance : de la petite fille, à la femme, de la femme mariée à la mère qui se sacrifie, oublie ses passions d’avant, bref, s’effaçant en défendant désormais son nouveau territoire et sa progéniture. Quoiqu’il en coûte. Nightbitch est un vibrant hommage à la femme déesse qui donne vie et met fin à la sienne.
Nightbitch est présenté au TIFF les 7 et 15 septembre 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième