« You thought you had everyone fooled, didn’t you? »
[Tu pensais avoir berné tout le monde, n’est-ce pas?]
Eliza (Michaela Kurimsky), une femme qui ne s’assume pas, est une membre discrète et appréciée d’une petite communauté de pêcheurs de Terre-Neuve qui voit toutes ses relations mises en péril après que sa personnalité secrète sur les réseaux sociaux a été révélée.
Avec Sweet Angel Baby, Melanie Oates propose un film sur les difficultés de s’assumer lorsqu’on vit dans un petit village où tout le monde se connaît et où les valeurs conservatrices sont fortes. Une œuvre qui traite d’un peu trop de thèmes, mais qui les traite bien.
Eliza a vécu toute sa vie à Rawlin’s Cove, un endroit au bord d’une île avec une seule route d’entrée et une seule route de sortie. Là, elle vit seule, travaille dans le magasin de fish N’ ship de son oncle, Skipper’s, et se rend aussi utile que possible aux habitants de sa ville. Pour eux, elle est le sel de la terre. Son amie la plus proche en ville est Toni (Elle-Máijá Tailfeathers). Elle, elle est la seule personne de la ville à avoir choisi d’être là de son plein gré, ce qui signifie qu’elle vient de loin. Elle est également la seule personne autochtone et la seule personne homosexuelle déclarée. Toni est tolérée, mais tenue à distance.
D’ailleurs, les sentiments d’Eliza et de Toni l’une pour l’autre sont intenses, mais en raison de l’incapacité d’Eliza à faire face à sa propre sexualité, Toni empêche toute relation amoureuse de se développer entre elles.
C’est en plaçant ces deux personnages au centre d’un groupe de personnages secondaires ou de moindre importance d’un point de vue du temps d’écran, que la réalisatrice/scénariste se prononce sur les enjeux avec lesquels les personnes qui sortent de la norme établie ont à vivre. Alors que Toni s’assume pleinement – et du coup accepte d’être isolé au sein de la communauté – en tant qu’Autochtone, mais aussi de personne non hétérosexuelle, Eliza, elle, se cache. Elle cache ses désirs envers Toni et elle cache ses goûts exhibitionnistes et sa vie numérique en se cachant derrière un masque ou de diverses façons. Mais pourquoi une personne qui ne veut pas se faire découvrir publie-t-elle des photos érotiques en ligne? Parce que quelque part, au fond d’elle, elle a besoin de se sentir libre d’être qui elle est. Mais évidemment, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un de ses 300 000 abonnés ne la reconnaisse.
Bien que moins présent, il y a aussi la thématique du consentement. Il peut être parfois facile de l’oublier, mais pour les gens plus conservateurs (pas tous, je sais), la notion du consentement n’a pas pris la même direction qu’elle l’a prise pour la majorité depuis quelques années. On peut le voir dans notre triste vrai monde avec les visions de l’homme et de la femme projetées par les dirigeants du Parti Conservateur du Canada ou, encore plus, avec l’actuel Parti Républicain chez nos voisins du sud.
Pour Eliza, ça se traduira éventuellement par l’acceptation d’une relation sexuelle pas vraiment consentante. Je dis « pas vraiment », car à la base, elle en avait envie, mais c’est sous la menace que ça se terminera. Et comme elle aura honte, elle ne dira jamais que cette relation sexuelle n’était pas consentante.
Le plus triste dans cet univers conservateur, c’est de voir que la mère d’Eliza la jugera et lui mettra en plein visage que ce qu’elle a fait n’est pas digne de respect, plutôt que de la soutenir et de la consoler.
On oublie parfois que toutes les batailles pour l’égalité et le respect ne sont pas encore gagnées. C’est ce que nous rappelle Sweet Angel Baby.
« That’s what’s at the core of Sweet Angel Baby— how it feels to lose your innocence. To go from being admired and loved, to truly hated and unwelcome. All because you dared to express yourself. To be yourself. » [C’est ce qui est au cœur de Sweet Angel Baby : ce que l’on ressent lorsqu’on perd son innocence. Passer d’être admiré et aimé à être vraiment détesté et indésirable. Tout cela parce qu’on a osé s’exprimer. Être soi-même.]
Avec son film, Melanie Oates réussit à traiter d’un grand nombre de sujets difficiles sans pour autant créer un film lourd et difficilement accessible. De plus, elle réussit à traiter de sexualité et d’exhibitionnisme sans pour autant faire un film cliché et criard.
Sweet angel baby est présenté au TIFF, les 5, 9, 10 et 12 septembre 2024.
Bande-annonce
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