Dirty bad wrong - Une

[Fantasia] Dirty Bad Wrong — Mal dans sa peau

« I’m gonna give you a granola bar, okay? »
[Je vais te donner une barre tendre, ok?]

Dirty bad wrong - Affiche

Une femme prostituée (Michaela Kurmsky) tient à tout prix à être une bonne mère et à tenir parole envers son enfant Jesse (Jack Greig). Mais lorsqu’elle perd l’argent qu’elle a accumulé pour l’anniversaire de Jesse, elle est prête à tout pour se refaire.

Fils de joie

Pourquoi une femme accepterait des sévices corporels et autres caprices vicieux de l’esprit d’hommes pervers afin de pouvoir offrir des décorations de fêtes à saveur superhéros à son enfant (en plus, on voit le costume et laissez-moi vous dire qu’il y avait beaucoup plus d’argent dans l’enveloppe)? Le court métrage Dirty Bad Wrong, réalisé par Erica Orofino, remet selon moi en perspective la relation de pouvoir qui existe entre le demandeur de services à la professionnelle qui les offre. Au début, le personnage joué par Michaela Kurmsky paraît un peu surmené, mais toujours en contrôle de la situation et même si son fils l’incite à partir précipitamment en plein milieu de l’exécution des tâches auxquelles elle s’est liée par ses pratiques, et ce, même si elle fut payée. L’homme nommé John Doe, interprété par Cody Ray Thompson, la laisse partir sans trop insister ce qui confère à la femme dans cette scène une stature dominante qui impose le respect sans la nécessité de se résoudre à la force brute, par exemple.

Dirty Bad Wrong - Fils de joie - Photo by Samantha Falco
La mère (Michaela Kurmsky) et son fils (Jack Greig) – Photo by Samantha Falco

La protagoniste est déconnectée de la vie autour d’elle à l’exception de son fils Jesse, interprété par Jack Greig, à qui elle dédie le peu d’attention qu’elle a à offrir. Après tout, c’est la volonté de vouloir faire plaisir à son fils pour son anniversaire — tout en voulant se prouver qu’elle est une mère dévouée et une personne digne de confiance — qui la mène à choisir des options douteuses, voire dangereuses pour elle-même.

Le pivot central de l’histoire s’effectue au moment où elle perd l’argent de sa demi-besogne en l’oubliant dans le métro, lugubrement captivée par une passagère du même wagon (paume de la main sur le front). À ce moment, tout s’effondre pour elle. Devant son besoin d’autant d’argent en si peu de temps pour la fête de son enfant, son client devient tout un coup le pourvoyeur par intérim et donc celui qui détient réellement le pouvoir dans la relation. 

Haut-le-coeur

Le malaise est au centre de cette œuvre. Le film ouvre sur une femme, avec son enfant, en attente dans un salon. Le doute, les questionnements fusent et vont de partout, on retarde l’inévitable annonce du où, quand, comment et du pourquoi. Le brouillard se lève d’un coup sur le voile devant les yeux des spectateurs. Cette femme est au travail; une prostituée chez son client, mais elle a amené son fils. Jusqu’à la toute fin, chaque situation, chaque instant, chaque plan évoque un malaise grandissant y compris les moments plus lumineux qui ne tombent jamais dans le grinçant ou « cringe » en anglais. 

Dirty, Bad, Wrong - Haut le coeur - Photo by Samantha Falco

Le personnage me pousse à me questionner sur la prostitution et sa fonction réelle, qui de toutes évidences n’est pas d’offrir un service de qualité professionnelle (en tout cas, pas ici). Mon appréciation de la diégèse n’est pas affectée par ce constat, il est difficile toutefois de ne pas songer à ce que l’auteure a voulu nous communiquer à travers son œuvre. Je dirais que le point de vue du film est polarisé grâce à la brillante réalisation d’Erica Orofino qui s’efforce expressément à ne pas prendre de parti pris sur le sujet. Le spectorat peut ainsi plus facilement se faire une idée sur ces détails qui n’avancent en rien l’histoire — car Dirty Bad Wrong reste malgré tout un court métrage d’une quinzaine de minutes — et permettent au récit d’avancer avec fluidité.

Cependant, on peut aussi voir l’occupation de la protagoniste comme une figure de style plus élaborée qui change la perspective générale qu’on en fait. Après tout, ne sommes-nous pas majoritairement des gens qui font un travail qui consiste la plupart du temps à monopoliser notre corps et notre esprit à l’exécution de divers labeurs qui ultimement profitent aux gens mieux nantis? L’homme à qui la protagoniste du film offre ses services en est un assez aisé pour proposer une somme considérable; de l’argent qu’elle refuse d’abord par principe, mais ceux-ci s’effacent rapidement lorsque confrontés à l’impérativité d’acquérir ledit montant autorisant à l’homme d’aller plus loin (on a tous un prix dit on, mais certainement pas pour les mêmes raisons). 

Quand je voulais être grand

Un exemple flagrant à mon avis de ce à quoi ressemble le marché du travail maintenant. Nous avons tous un système de valeurs respectif qui nous pousse à être qui nous sommes. Néanmoins, les humains ayant fait de la vie humaine ce qu’elle est aujourd’hui, les individus sont souvent confrontés à la dure réalité; qu’iels ne contrôlent pas leur destinée comme iels le croient. Certes, on a toujours le choix, mais rarement avons-nous tous les choix disponibles au moment opportun.

DBW - Photo by Samantha Falco60

À quoi soumettons-nous les générations qui nous succèderont? Pourrons-nous sincèrement dire avec certitude que l’on aura fait au mieux pour créer un demain plus brillant? Les professions sont remplacées par des machines — et maintenant des intelligences artificielles — alors que les seuls qui en profitent ne savent quoi faire de bon pour aider au bien-être de l’humanité. La famine, la maladie, les injustices et les guerres existent toujours en bien trop grandes quantités; des balles qui traversent les villes tuant des milliers — voire des millions — chaque année, mais les têtes détournent leurs regards hypersensibles et les projectiles passent en ne faisant qu’effleurer leurs oreilles rabattues. Qu’on érige un mur; un écran vert géant pour ne pas être confronté à la misère et projeter un simulacre d’utopie en cape colorée.

En conclusion, Dirty Bad Wrong est très bien exécuté, le rythme est bon et l’intrigue captivante. L’histoire peut ne pas plaire à tout le monde, mais pour moins de quinze minutes de visionnement ce n’est pas la mer à boire. J’espère au moins que l’argent reste un appât qui fonctionne davantage dans la fiction que dans la réalité. Je crois fondamentalement que chaque être humain à la possibilité d’offrir bien plus que son corps; c’est-à-dire son âme et ses connaissances. Finalement, a-t-on vraiment besoin que nos parents se sacrifient pour nous ou demandons-nous simplement qu’il fasse un petit effort; comme tenir paroles par exemple? Au moins, le petit Jesse semble apprécier son anniversaire.

Dirty bad wrong est présenté au Festival Fantasia, le 29 juillet 2024.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Dirty Bad Wrong
Durée
14 minutes
Année
2023
Pays
Canada
Réalisateur
Erica Orofino
Scénario
Erica Orofino
Note
8 /10

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Fiche technique

Titre original
Dirty Bad Wrong
Durée
14 minutes
Année
2023
Pays
Canada
Réalisateur
Erica Orofino
Scénario
Erica Orofino
Note
8 /10

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