« Avant on voyait mieux les étoiles. »
Deuxième long-métrage du Français Jérémy Clapin, Pendant ce temps sur terre représente une première incursion – réussie – dans le monde de la prise de vue réelle pour un cinéaste qui était jusqu’ici connu pour son travail en animation. Si le procédé filmique change, le style demeure; toujours à mi-chemin entre l’émerveillement et la mélancolie, ce nouvel opus de Clapin rappelle son précédent, le touchant J’ai perdu mon corps (2019).
Ce dernier s’était mérité le Grand prix de la Semaine de la Critique cannoise lors de sa sortie et, cette année, c’est à la Berlinale que Clapin a présenté sa nouvelle production. Espérons que ces succès en festival encourageront les institutions à soutenir cet artiste qui continue d’impressionner par son imagination visuelle et la sensibilité de sa mise en scène.
Pendant ce temps sur terre raconte l’histoire d’Elsa, une jeune femme rêveuse dont la vie a été bouleversée par la perte de son frère aîné, Franck, un astronaute porté disparu suite à une mission spatiale ayant mal tourné. La protagoniste conserve secrètement l’espoir que son frère soit toujours en vie. Elle ne cesse de scruter les étoiles en attendant un signe de lui… jusqu’au jour où quelque chose la contacte depuis le cosmos. Une intelligence extraterrestre, qui se manifeste par une voix glaciale, révèle à Elsa qu’elle pourrait revoir Franck. Mais cela ne se fera pas sans sacrifice…
Utilisant les codes de l’horreur et de la science-fiction, le film propose une métaphore du deuil convaincante, ce qui est d’autant plus impressionnant que ce sujet a été traité à d’innombrables reprises au cinéma. Le personnage d’Elsa incarne de manière attendrissante cette incapacité à avancer après la perte d’un être cher. À vingt-trois ans, la jeune femme insiste pour porter ses pantoufles en forme de pattes de dragon. Elle doit se faire rappeler à l’ordre pendant ses réunions de travail, parce qu’elle dessine et plaisante comme une écolière, au lieu d’écouter. Son développement semble s’être arrêté à l’adolescence, époque à laquelle son frère était toujours avec elle. Par ces détails, Clapin montre combien la nostalgie et le chagrin peuvent dérailler le cours d’une existence.
Le long-métrage fonctionne aussi bien en tant que film d’auteur psychologique qu’en tant qu’œuvre de genre. Les éléments plus fantastiques de l’intrigue – qui ne souffre d’aucun temps mort – évoquent la série des Body Snatchers, Donnie Darko (2002) de Richard Kelly, Take Shelter (2011) de Jeff Nichols, ainsi que l’œuvre de Tarkovski. Bref, c’est un univers de science-fiction riche et complexe que propose Clapin. Le public ne peut que partager le sentiment d’impuissance d’Elsa qui, confronté à des êtres cosmiques quasi omniscients, doit choisir entre faire du mal à autrui et perdre son frère à jamais.
Les péripéties s’enchainent et le suspense augmente jusqu’à la dernière séquence, où, au comble du désespoir, la protagoniste fera un choix juste, mais déchirant. Comme les meilleurs récits de SF, Pendant ce temps sur terre montre l’humanité dans tout ce qu’elle a de plus vulnérable.
La réalisation multiplie les trouvailles visuelles pour accentuer l’étrangeté du film. L’usage adroit des ralentis, des flous et des plans rapprochés sur le visage d’Elsa nous font ressentir toute la désorientation que vit la jeune femme. Et la forêt où la protagoniste se rend pour communiquer avec les extraterrestres est montrée comme une masse sombre et oppressante, notamment grâce à des de prises de vue vertigineuses tournées à partir d’un drone.
La lumière est toute aussi baroque, alors que, dans plusieurs scènes, les personnages sont baignés par des halos rougeâtres, bleus ou émeraudes qui apparaissent peu naturels. Cela dit, les couleurs vives, les effets spéciaux d’une vraisemblance impressionnante et quelques séquences animées touchantes insufflent un côté plus chaleureux, plus vivant, au monde somme toute assez sombre de Clapin.
Il faut également mentionner l’importance de la musique dans ce film. Le compositeur Dan Levy crée plusieurs ambiances tantôt hypnotiques et éthérées, tantôt dissonantes et anxiogènes. La bande-sonore inclut aussi plusieurs morceaux symphoniques, avec des chants de chœur puissants qui se réverbèrent jusqu’à former un écho sinistre, dans les moments les plus tendus du film.
Enfin, parce qu’on ne peut pas totalement se réinventer, les séquences animées sont faites dans le même style que J’ai perdu mon corps. Par sa cohérence stylistique, Clapin prouve qu’il est un véritable auteur que nous suivrons avec attention dans les prochaines années.
Pendant ce temps sur Terre a été présenté au Festival Fantasia le 22 juillet 2024.
Bande-annonce
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