BONNARD - Une

Bonnard, Pierre et Marthe — L’art et l’amour entrelacés dans la vie du couple Bonnard

« Marthe, ne vous inquiétez pas. Pierre a toujours su à temps revenir à l’essentiel. Il sait que son travail est indissociable de ce qu’il éprouve pour vous. »

Bonnard Pierre et Marthe - Affiche

Pierre Bonnard ne serait pas le peintre que tout le monde connaît sans l’énigmatique Marthe, qui occupe plus d’un tiers de son œuvre. Maria Boursin, alias Marthe de Méligny, s’est faite passer pour une aristocrate italienne ruinée le jour où ils tombèrent fous amoureux l’un de l’autre.

L’œuvre et les sentiments de Pierre Bonnard (Vincent Macaigne) sont étroitement liés dans la vie du peintre, puis dans celle de sa femme Marthe (Cécile de France). Pour ces deux individus, l’amour inspire l’art et l’art est le ciment de cet amour. Ces notions sont indissociables, elles s’entrelacent du début à la fin de leur vie tumultueuse. Dans ce film historique, Martin Provost a souhaité montrer toute la durée de cette alliance entre deux âmes, pour nous en faire découvrir tous les tenants et aboutissants. Le film retrace leur rencontre, leur mariage, leur collaboration artistique et les défis qu’ils ont dû affronter ensemble.

On peut se demander s’il y a un fil directeur dominant dans la vie des Bonnard, entre la peinture et l’amour. Nous verrons également la place prédominante de la notion de simplicité pour l’équilibre du couple et pour leur art.

La peinture : l’hypothétique fil conducteur d’une vie d’artiste

À première vue, la peinture incarne le fil directeur de la vie de Pierre Bonnard, son identité, le seul élément indétrônable de son existence. Toute sa vie tourne autour de la peinture. Il rencontre Marthe pour la peindre. Même lorsqu’il part à Rome avec son amante, il peint. Quand il devient un vieillard et que Marthe meurt, il continue de peindre. On peut s’imaginer qu’il peindra jusqu’à sa dernière heure. S’il est autant attaché à Marthe, c’est aussi parce qu’elle accepte que l’art domine la vie de son mari.

BONNARD - La peinture ©MementoDistribution
Pierre Bonnard (Vincent Macaigne) © Memento Distribution

Pourtant, dans le film, la peinture semble reléguée au second plan. Le sujet principal n’est pas la démarche artistique du peintre. D’ailleurs, lorsqu’il peint à l’écran, les tableaux sont déjà bien avancés, et rarement finis. On se concentre à peine sur le regard qu’il porte à son œuvre. Par contre, ce qu’on remarque, c’est son regard sur ses modèles, ses muses, ces femmes qu’il désire et qu’il fréquente de très près.

La chronologie du film n’est pas basée sur la carrière de Pierre Bonnard, qui s’étend au-delà de la diégèse. C’est l’histoire d’amour entre Marthe et lui qui dicte la temporalité du film. La première scène est celle de leur rencontre, juste après que Pierre ait accosté Marthe pour être son modèle. Le film se termine lors de la séparation de ces deux êtres, suite à la mort de Marthe.

BONNARD - La peinture la chronologie ©CaroleBethuel
© Carole Bethuel

En outre, c’est aussi cette relation puissante avec elle, sa muse principale, qui marque l’âge d’or de la carrière du peintre Pierre Bonnard. Dès les premières scènes, correspondant aux prémices du couple, Pierre peint L’Indolente, de son vrai nom Femme assoupie sur un lit. Dans le film, c’est le premier matin partagé par le couple. Marthe dort encore alors que Pierre la découvre pour la peindre. L’Indolente s’avère être le tableau qui lance la gloire de l’artiste, le premier tableau perçu comme un chef-d’œuvre par ses contemporains. C’est le début de son « triomphe », comme l’appelle Thadée dans le film.

On peut donc voir ce tableau comme une balise, marquant à la fois le début d’une carrière et d’une histoire d’amour, toute aussi puissantes et tumultueuses l’une que l’autre. Pierre le dit : pour lui, les deux choses qui importent sont l’art et l’amour. L’amour éprouvé par ce peintre n’est pas uniquement sensuel, il est transcendé par sa vision artistique.

L’amour : le vrai fil conducteur

Ce qui domine le scénario, c’est l’amour. Le duo de Pierre et Marthe est au-devant de la scène, comme le titre l’indique. Leur histoire, pleine de joies et de déboires, est relatée de A à Z. Mais l’amour est aussi présent entre Pierre et d’autres femmes, qu’il peint et qui l’inspirent. Le film ne parle que de Renée (Stacy Martin) alors qu’il y en a eu d’autres. Pourtant, c’est sa femme qui conserve toujours une place de choix dans son cœur, elle est sa priorité (après la peinture, bien sûr).

BONNARD - Amour - ©MementoDistribution
© Memento Distribution

Le film explore toutes les facettes de l’amour des Bonnard : la passion, la tendresse, les conflits et les compromis. Comme quoi, c’est dans cette complexité sentimentale qu’ils ont su construire leur équilibre.

Dans la vie de Marthe, la peinture arrive comme une catharsis, un réconfort nécessaire. D’abord sous forme d’un homme, l’amour de sa vie qu’elle rencontre en posant pour lui. Ensuite, quand il l’abandonne pour rejoindre Renée (Stacy Martin) à Rome, elle devient folle. Alors, pour trouver un certain apaisement, elle se met rapidement à dessiner et peindre. Les couleurs des pastels semblent remettre un peu de couleur dans son âme brisée par la trahison de son mari. Finalement, pour Marthe, l’art l’introduit à l’amour, puis soigne ses blessures de cœur.

Je trouve presque dommage qu’au sein de l’intrigue, les petites jalousies et frustrations de la vie conjugale prennent le dessus sur la beauté de l’expression artistique. Même l’inspiration du célèbre peintre se noie dans ses désirs féminins. On aimerait percevoir son regard, sa démarche artistique et sa passion picturale.

Néanmoins, je comprends et respecte la volonté du réalisateur de faire passer l’amour des Bonnard au premier plan. Marthe, qui dans l’histoire de la peinture apparaît comme « un mythe », est ici plus humanisée. Dans la réalité on la connaît mal, elle n’est que l’égérie des œuvres de Bonnard. Dans ce film, Marthe devient une femme, tantôt joyeuse, tantôt torturée. N’oublions pas que le but initial du film, sur une commande de la petite-nièce de Marthe Bonnard, est de rendre à cette dernière la réelle place qu’elle a tenue dans la vie du peintre : un ancrage dans la vie réelle. À travers le regard du réalisateur, la vie du couple revêt une certaine simplicité absente des récits historiques, souvent glorifiants pour l’un et dégradants pour l’autre.

L’importance de la simplicité pour un entrelacement harmonieux

La simplicité représente la pureté chez les Bonnard, malgré une vie pleine de travers et d’obstacles. C’est l’importance de cette notion qui permet à l’art et à l’amour de s’entremêler harmonieusement dans la vie du couple, désireux de mener une vie bohème et douce.

Tout d’abord, la simplicité se trouve au cœur de l’élaboration du film. D’une part, pour résoudre des contraintes budgétaires, mais aussi pour revenir à l’essentiel de ce qui compte pour le couple Bonnard : l’eau, la nature. Le réalisateur réduit alors les scènes de folies parisiennes, adoucit le tumulte de leur vie mondaine afin de se concentrer sur leur intimité.

BONNARD - Importance de la simplicité ©MementoDistribution
Pierre et Marthe (Cécile de France)

Dans le film, le terme de simplicité revient plusieurs fois au cours de la continuité dialoguée. Elle semble être un principe clé de la vie du couple, tant dans leur art que dans leur amour ou leur façon de concevoir la vie. Aborder le couple d’artistes en ajoutant cette notion de simplicité permet de les démythifier.

Le premier personnage à parler de simplicité est une visiteuse de la première exposition de Pierre. Cette femme aborde le peintre pour le remercier d’avoir « peint notre sexe avec la plus grande simplicité ». Voilà, le style de Pierre Bonnard est résumé : peindre des femmes simplement, peindre une vie simple. Le vrai Pierre Bonnard a affirmé lui-même prendre pour modèle le « théâtre du quotidien ». De la simple esquisse à la peinture détaillée, il représente les lieux et instants les plus simples de sa vie de tous les jours : le bain, la sieste, l’atelier, le jardin, sa femme… Son art est simple et efficace.

Pierre, au début, exprime à Marthe son mépris de la vie bourgeoise, un mariage et des enfants. Ils se trouvent alors une belle maison à la campagne et aiment vivre nus, dans leur plus simple appareil. Quand Renée arrive dans le foyer du couple, elle s’entend dire « Ne vous méprenez pas Renée, Pierre et moi vivons ici une vie tout à fait ordinaire ». Malgré leur célébrité grandissante, la priorité du couple reste l’humilité, sans même qu’ils ne s’en rendent compte.

Quand Claude Monet rend visite à Marthe, alors que Pierre est à Rome, il découvre les œuvres de cette dernière. Il lui trouve alors un style épuré. L’artiste qui sommeille en Marthe exprime avec brio la simplicité des choses, en peignant majoritairement des objets et en se contentant d’un minimum de traits.

Cette simplicité dominante, sous plusieurs aspects, semble purifier les vices du couple. Elle ment à son compagnon pendant 30 ans sur son identité, puis elle fait preuve d’une intense jalousie jusqu’à attenter à sa propre vie et santé mentale. Quant à lui, il trahit sa future femme, s’enfuit avec son amante qu’il blesse à son tour jusqu’à la pousser au suicide. Mais le film rend les vices de l’un et de l’autre normaux, triviaux. Tout cela fait partie de leur vie, de leur façon d’être. Au lieu d’entraver leur relation, au final, ces obstacles n’ont fait que renforcer leur amour, qui dure jusqu’à ce que la mort les sépare.

Finalement, l’amour de Pierre pour Marthe peut se résumer par le passage du poème de Verlaine, cité dans le film. Il aime éperdument sa femme, et même lorsqu’une autre intervient, il revient toujours à celle pour qui son cœur n’est pas un problème.

« Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème… »

Le « peintre du bonheur » devient ici un homme simple, avec ses défauts. Comme le commun des mortels, il comporte ses zones d’ombres derrière son apparente lumière. Le réalisateur ne contredit pas le talent lumineux et la fibre artistique de Bonnard, mais il tâche de nuancer sa personnalité en faisant apparaître sa face sombre. C’est d’ailleurs ce qui l’a attiré pour travailler sur la vie de l’artiste : cette idée de remettre au goût du jour la mélancolie de Pierre Bonnard, à laquelle il échappe par ses peintures. Ainsi, par le cinéma, il retrouve sa dimension humaine, incertaine, sa dualité. Son amour pour sa femme le rend plus accessible que l’artiste reconnu qu’il a été. Cela permet aussi au film d’acquérir une portée plus universelle, de rendre l’histoire des Bonnard plus touchante et inspirante.

Mais la simplicité a ses limites pour la mise en scène. La difficulté majeure de la réalisation de ce long-métrage réside en l’intention du réalisateur. Sa volonté est de représenter fidèlement 50 ans de vie conjugale entre Pierre et Marthe Bonnard, en seulement 2 heures de film. C’est ambitieux, le risque est de survoler une majorité d’éléments importants. Chaque moment de la vie du couple devient anecdotique et tombe dans l’allusion, par manque de temps pour approfondir.

Forcément, un demi-siècle en un film, ça donne du fil à retordre pour le scénario. Certaines critiques ont été cinglantes à ce sujet. Moi-même, pendant toute la première moitié du film, j’ai eu l’impression d’être promenée d’une courte séquence à l’autre, avec un sentiment d’insatisfaction. J’avais l’impression que chaque séquence manquait d’une certaine consistance. Puis le film se construit et le spectateur trouve sa place, la suite du visionnage m’a paru plus fluide.

Le film dépeint donc une osmose avec simplicité

Tout compte fait, au-delà d’une narration biographique, Bonnard, Pierre et Marthe célèbre l’union profonde entre l’art et l’amour. Le film nous offre un témoignage poignant de la façon dont l’amour de Marthe a nourri l’inspiration de Pierre et comment, en retour, son art a enrichi leur relation. L’osmose est aussi présente dans l’union de ces deux êtres. Tombés fous amoureux dès leur rencontre, ils s’aiment toujours autant après un demi-siècle de vie commune, comme en témoigne un échange de regards tendres quand Marthe est alitée.

Bonnard -Le film dépeint

Malgré quelques rares libertés prises vis-à-vis de la réalité, le réalisateur parvient tout de même à restituer l’essence de la relation des Bonnard et de leur art. Le rythme et la structure du film ne sont pas parfaits et sont parfois critiqués, certains éléments sont passés sous silence, mais le défi initial a tout de même été relevé brillamment. Ce film magnifique et touchant plaira aux amateurs d’art et d’histoire d’amour.

Leur lien puissant, auquel fait écho celui de Claude et Alice Monet, nous rappelle que l’amour et l’art peuvent se nourrir mutuellement. Cette synergie puissante traverse les épreuves du temps, malgré les obstacles générés par les vices humains. L’héritage des Bonnard réside non seulement dans leurs chefs-d’œuvre, mais aussi dans l’exemple d’une vie simple vécue en osmose, où l’amour et la création artistique se sont entrelacés pour former une symphonie unique.

Bande-annonce  

Fiche technique

Titre original
Bonnard, Pierre et Marthe
Durée
123 minutes
Année
2023
Pays
France
Réalisateur
Martin Provost
Scénario
Martin Provost et Marc Abdelnour
Note
6 /10

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Fiche technique

Titre original
Bonnard, Pierre et Marthe
Durée
123 minutes
Année
2023
Pays
France
Réalisateur
Martin Provost
Scénario
Martin Provost et Marc Abdelnour
Note
6 /10

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