« You can keep yours, but give me back my ring. »
[Tu peux garder la tienne, mais rends-moi mon alliance.]
À Bruxelles, dans les Marolles, Henri (Olivier Gourmet) se prépare à fêter sa retraite de policier. Son mari Thom (Dave Johns), photographe devenu brocanteur, se fait une joie de célébrer l’aube d’une nouvelle vie. Mais la fête ne se passe pas comme prévu. Thom découvre qu’il est cocu et gifle Henri, sous les yeux de tous. Tom, fin stratège, décide de lancer une procédure de divorce, persuadé que c’est grâce à un tel électrochoc qu’il va récupérer Henri. Henri, au contraire, saisit la balle au bond et fait tout pour se débarrasser de Thom. Il en arrive à ramener un chien perdu à la maison alors que Thom est gravement allergique. Le cocon d’amour se transforme en champ de bataille. Thom et Henri découvrent une facette l’un de l’autre qu’ils ne connaissaient pas encore. Et si le divorce laissait la place à un remariage?
Lorsque l’on découvre le monde — que ce soit ici ou ailleurs —, il nous est impossible de ne pas retontir, comme on dit, dans une de ces boutiques ésotériques ou se cachent mille et une merveilles locales façonnées par des mains d’artisans d’ici et parfois de Taiwan (en passant est-ce qu’à Taiwan tout est fabriqué à Taiwan ou sous leurs tasses il est écrit « made in Canada »?). Toutefois, peu importe ce que nous y trouverons — à chaque fois c’est la même rengaine —, nous finirons par nous retrouver devant les présentoirs de pierres précieuses; obnubilés par la possibilité de rééquilibrer ses chakras ou de stimuler sa créativité, nous choisissons notre préférée d’instinct et de hasard espérant que cette fois-ci ce soit la bonne.
Le cinéma ressemble à ces pierres précieuses de par sa multitude de produits similaires et ses promesses variées. De même, convenir du « bon » film à regarder s’apparente à cette manière que nous avons de choisir la « bonne » pierre à mettre autour de son cou. Pour ma part, je porte depuis longtemps une pierre qui m’a été donnée; de la citrine (honte à la personne qui m’a fait croire que ça s’appelait cyprine! Trompe-moi une fois…), énergisante, équilibrante, elle harmonise le corps psychique et physique, développe le pressentiment; elle est le symbole de la richesse, de la prospérité et de la réussite.
Depuis que je me promène dans les allées des clubs vidéos et les salles de cinéma, j’ai aussi découvert Les Films Opale, qui m’avait impressionné avec sa production Hôtel Silence que j’ai couvert; un excellent film. L’opale est, après tout, considérée comme une pierre de protection. En effet, elle écarte toutes les énergies négatives et permet de se concentrer sur l’instant présent, d’apaiser l’esprit et de réduire l’angoisse. Bref, tout ça pour dire que pour le film Les Tortues, j’ai eu la sensation d’avoir choisi le mauvais caillou.
Je m’étais installé sur mon divan pour écouter ce film réalisé et écrit par David Lambert, lorsque s’entama un orage. Du haut de mon demi-sous-sol, il m’était difficile de regarder à la fois le long métrage qui s’affichait à l’écran et la tempête qui faisait rage; il n’y a pas de plus beau spectacle à mon avis que la nature à l’œuvre, si ce n’est que celle de l’artiste chevronné. J’aurais pu mettre le film sur pause me direz-vous, mais le temps pressait et la fenêtre pour l’écouter était trop petite; le devoir appelle malgré les déprimes et les plaisirs. Cependant, est-ce que le nuage noir qui obscurcit la vie de Thom et Henri, interprétés par Dave Johns et Olivier Gourmet, sut compenser pour le ciel qui tombait sur ma tête? Malheureusement, non.
Bien sûr, j’ai apprécié quelques passages. Par exemple, ce plan où on incite le regard du public à imiter celui de Thom pour voir ce qui s’affiche sur la tablette de Henri dans le reflet de l’aquarium où nagent leurs deux tortues. L’effet est subtil, mais il transforme l’œil attentif en un œil et voyeur laissant entrevoir sans plus. On sent bien la distance entre les deux personnages surtout lorsque Thom tente par tous les moyens d’attirer l’attention de son mari, Henri, qui reste rébarbatif et irritable face à chacun des élans romantiques de son partenaire.
Pour ce qui est du reste disons que ça faisait tempête dans un verre d’eau. L’aspect psychologique est à peine effleuré du côté de Henri qui ne fait qu’avouer ses torts comme on le ferait après une chicane de couple pour se justifier à la va-vite, mais rien qui semble travailler à en être cathartique ni pour le public ni le personnage lui-même. Ils s’aiment, puis non, puis encore oui, puis non de nouveau. Ça semble ridicule, et c’est pourtant ainsi que se déroule la scène finale. Alors qu’ils sont en cour devant la juge, les deux protagonistes s’adonnent à une stichomythie maladroite avec une touche de Serge Gainsbourg (comme dans la chanson là), même si la chanson n’y était pas.
Au début du dernier tiers du film, Thom décide de retourner vers un aspect de sa vie qu’il avait trop longtemps délaissé — que je ne nommerai pas, histoire de ne pas divulgâcher — sans vraiment crier gare ou « terminus d’autobus » comme le disait si bien François Pérusse. Le bémol vient de cette tentative à ce que le film porte plus sur son dos que ce qui lui était nécessaire. Ça commençait bien avec quelques gags ici et là, mais insidieusement le film cessait d’être une comédie conventionnelle sans pour autant s’élever significativement vers un genre plus profond. De ce fait, le public finit tout simplement par être déçu qu’on ne l’ait pas amené où il croyait aller sans qu’on prenne la peine de se rendre ailleurs; c’est comme se faire promettre d’aller aux glissades d’eau (avec la serviette et le maillot) pour ne faire qu’une longue balade en voiture et ensuite revenir à la maison.
Les Tortues ne relève pas le niveau des films dont l’Amour est le catalyseur principal. Le simple fait que le couple en soit un homosexuel ne suffit pas à l’installation d’une intériorité palpable pour son spectorat. L’œuvre est pourtant très représentative d’un couple normal sans rien qui soit spécifiquement rattaché à quoi que ce soit de LGBT. Henri et Thom ressemblent à un couple hétéronormatif sous toutes leurs coutures excepté pour les relations sexuelles; contacts qu’ils n’ont même plus de toute façon (bon, voyez-vous! C’est vraiment hétéronormatif!). Pourquoi ils ne s’aiment plus, pourquoi s’aiment-ils encore? Qui sait, le film ne le dit pas. Les personnages se contentent de parler qu’ils s’aimaient jadis, mais on se concentre plutôt sur la problématique entourant la maison du couple et l’espionnage des conversations échangées sur les applications de rencontre trois X que le couple lui-même.
Dommage, j’aurais cru que l’on veuille nous dire quelque chose de plus profond. Quand j’écoutais le film, la seule chose profonde qui me gagnait était le sommeil. Les scènes se succédaient quelques fois avec un peu de difficulté, ou on comprenait mal leurs positions dans la temporalité du film. À mon grand regret, tout cela donne l’impression qu’on ne voulait pas s’attarder trop longtemps sur le projet. De ce fait, je ne vous conseille pas vraiment de vous y attarder non plus; la vie est trop courte pour s’arrêter face à si peu. Comme la tortue, l’excellence artistique est une démarche lente qui demande du temps et de la patience.
Bande-annonce
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