Les exhibitions sont achevées, nous voilà au moment où la paille s’enflamme comme le village de Robin des Bois. Les voici, les voilà! Les premiers compétiteurs dans ce Battle Royale de haute envergure! Rien de moins qu’un choc des titans qui est au rendez-vous, Mesdames et Messieurs!
Sans plus attendre accueillons les premiers challengers qui se donneront corps et âme pour vous émerveiller, cher public. Êtes-vous prêts!? Laissez-moi entendre vos cris d’anticipation!
*L’écran d’épingles, inventé par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker, est un écran blanc placé verticalement et percé de trous desquels des épingles noires dépassent de quelques millimètres à la surface (entre 5 mm et 8 mm suivant les écrans). Une lumière est projetée sur l’écran de biais ce qui fait que l’ombre portée des épingles rend l’écran noir. Avec des instruments divers, l’artiste pousse certaines épingles de façon à former un dessin en relief.
Animé sur l’écran d’épingles, ce film revisite le destin tragique de la reine Marie-Anne d’Autriche, immortalisée en 1652 par Vélasquez.
Michèle Lemieux n’a pas fait trop mal avec son court métrage Le tableau. L’animation semblable à King’s Quest V par Sierra Entertainment m’a fait glousser par moment. Les images s’enchaînent avec une fluidité de gravier — coulant mais pas trop — laissant une sensation que les 24 images seconde soient du 12 images doublées. La technique est certes plus rapide, néanmoins j’aurais cru à un zèle prononcé dans la réalisation; un travail de moine comme on dit à chercher une brindille de foins dans un tas d’aiguilles.
Je salue haut et fort les talents de madame Lemieux. Toutefois, est-ce une preuve que la technique en elle-même ne suffit pas entièrement à l’animation pour en faire du cinéma? Pour qu’une suite d’images deviennent un film narratif; elles doivent aussi raconter une histoire, et une histoire c’est exactement ce qu’il aurait fallu à ce projet. Le fait qu’une animation en écran épingle soit une tâche monumentale – lorsque l’on connaît le procédé – suffit-il à ce que cette succession de plans puisse être considérée en son tout comme un film?
Rares sont mes conseils au niveau de la création et de la réalisation, mais en voici cette fois-ci une des rares exceptions où je ferai l’expression de mes idées. J’ai la forte impression que le film aurait pu être bâti avec une intention réflexive davantage sur son développement. L’ONF est toujours très douée en ce qui concerne la partie, pourrait-on dire, documentaire de la production. J’entends par là que l’on aurait dû nous montrer l’histoire de la création de l’écran d’épingles avec des portraits d’Alexandre et Claire Alexeïeff. Je n’ai rien contre Marie-Anne d’Autriche – d’autant plus que j’adore Velasquez et son selfie peint à la main A.K.A. Las Meninas —, mais il m’apparaît plus à propos de répertorier ce savoir de façon à ce que tous comprennent bien de quoi il s’agit.
Je sais que d’autres films furent réalisés avec cette technique sans pour autant aborder le sujet de leur créateur, mais omis les couleurs — et ce n’est pas non plus la première fois qu’on intègre l’effet dans la réalisation – les images bougent peu et la subjectivité des images est si grandes qu’on semble en perdre le sens.
Pour en savoir plus sur l’écran d’épingles ou sur Alexandre et Claire Alexeïeff vous pouvez consulter cette page de l’ONF.
Bande-annonce
Titre original : Le Tableau
Durée : 1 minute 42 secondes
Année : 2024
Pays : Québec (Canada)
Réalisation : Michèle Lemieux
Scénarisation : Michèle Lemieux
Note : 7.5/10
Une chemise et un pantalon sortent d’une armoire dans la lumière dorée du matin et s’unissent pour définir un corps.
Qui sont les autres? Par cela, j’imagine que nous sommes tous plus ou moins entourés de plusieurs voisins? Ces voisins nous sont souvent anonymes et on les reconnaît par peu de choses de plus que leurs accoutrements et leurs postures. Nous passons notre vie comme des à nous côtoyer sans se parler, puis à se plaindre de ne pas être compris. Au final, quand prenons-nous vraiment le temps de connaître autre chose que soi?
Aux yeux des autres nous sommes davantage nos vêtements que notre corps. En tout cas, c’est ce qu’évoque le film de Jeong Dahee lorsque l’on constate que les personnages dans Les gens dans l’armoire ne sont que des chapeaux, des gants, des manteaux, des robes et des pantalons. On ne reconnaît ni visages ni ethnicités ni même d’émotions. Le personnage principal ainsi que les autres rappellent la monotonie et la platitude de la conformité et du quotidien. Le cycle métro-boulot-dodo qui nous fait oublier ce que nous sommes sous ce costume que l’on revêt tous les jours et qui affirme notre position dans le monde. Malgré tout, est-ce vraiment tout ce que nous sommes? Des tas de vêtements qui, au vent, vont et viennent recto tono dans ce tourbillon gris.
L’absence de mots pour un court métrage de cette longueur m’a malencontreusement égratigné après quelques minutes. Je comprends que les mots sont parfois superficiels lorsque l’on travaille l’art visuel, mais faut-il toujours s’en écarter? Après tout, les premières illustrations que nous voyons enfants sont — plus souvent qu’autrement — celles dans un livre de conte. Par contre, j’ai bien aimé cette impression de suivre un personnage masculin à cause des vêtements; des vêtements qui symbolisent peut-être une certaine stigmatisation de la perception de ces artifices qui camouflent nos corps du monde.
Bande-annonce
Titre original : Les gens dans l’armoire
Durée : 15 minute 08 secondes
Année : 2024
Pays : Canada
Réalisation : Jeong Dahee
Scénarisation : Jeong Dahee
Note : 7.5/10
J’ai déjà couvert ce film à sa parution l’automne dernier, mais je dois réitérer la qualité de ce court métrage d’animation. En revoyant les images brisées et saccadées mêlées aux dissonances auditives, je ressentais le même mal-être qu’à la première fois; peut-être même un peu plus.
Vraiment, un travail de maître.
Vous pouvez lire ma critique d’Aphasie ici.
Bande-annonce
Titre original : Aphasie
Durée : 3 minutes 46 secondes
Année : 2024
Pays : Québec (Canada)
Réalisation : Marielle Dalpé
Scénarisation : Marielle Dalpé
Note : 8.5/10
Une immersion dans le monde superficiel et fragmenté des nouvelles, du divertissement et de la publicité, où l’on peut facilement se laisser intoxiquer par l’attrait dangereux des médias de masse.
Plusieurs techniques différentes sont employées pour l’animation. Concept un peu sur utilisé de l’abus des nouvelles technologies, de la consommation et de la publicité excessive, et de microcosmes fermés les uns aux autres.
Le rythme est bon et ne laisse pas la place à somnoler. Les plans contemplatifs dans les courts métrages sont une pente glissante qui trop souvent amène l’œuvre à s’allonger inutilement. Au cinéma, longueur n’est pas nécessairement un gage de qualité supérieure (ici et ailleurs aussi dit-on). Dans son cas, Arash Akhgari s’efforce de nous montrer le plus beau de son talent et de sa technique de manière efficace en le moins de temps possible. Vers la quatrième minute, je sentais que les braises se refroidissaient, mais c’était simplement pour clore le spectacle en douceur; belle exécution.
Jusqu’ici, je dirais que ce court métrage est une de mes découvertes favorites. Il réussit à amener un sens clair à travers des images lyriques et des allégories poignantes. La multiplicité des procédés servant à créer ce film démontre un savoir-faire avancé de la part de l’artiste.
Bande-annonce
Titre original : In the Shallows
Durée : 4 minute 16 secondes
Année : 2024
Pays : Canada
Réalisation : Arash Akhgari
Scénarisation : Arash Akhgari
Note : 7/10
Un chœur de grenouilles tropicales interprète un air pop entraînant dans cette animation délicieusement troublante de l’artiste canado-costaricienne Bianca Shonee Arroyo-Kreimes.
Une œuvre bien passable qui donne quelque peu l’impression d’avoir été concocté en peu de temps (ou du moins réfléchi en peu de temps). L’aspect vidéoclip qui accompagne ce court métrage offre des similarités avec une pièce notoire de l’année 2005 que l’on préfèrerait oublier; j’ai nommé Axel F de Crazy Frog. Malheureusement, c’est un morceau qui — semble-t-il — a marqué à jamais l’imaginaire de celles et ceux qui l’ont vu; que ce soit voulu ou non, conscient ou non (comme une espèce de Ringu en chanson).
Les paroles véhiculées sont évidemment très cyniques en étant chantées sur un fond d’électro pop assez caricatural. Le caractère mignon des grenouilles représentées dans une palette de couleurs variées et hétérogènes vient s’opposer à ce qui y est dit. La musique est toutefois un tantinet irritante, et ce, malgré mes oreilles aiguisées à la musicalité polyphone et aux mélodies électroniques.
Pourtant me voilà devant un dilemme. Il me faut savoir ce que je vois, c’est-à-dire être assuré de juger à partir d’une objectivité de base, notamment si la vidéo est un court métrage d’animation, un vidéoclip, une caricature ou une parodie? « Dans le doute » — comme le dit Gandalf — « il faut suivre son flaire » et le mien me dit que le temps imparti à la création de ce film.
Extrait
Titre original : My World, Your Melody
Durée : 1 minute 34 secondes
Année : 2024
Pays : Canada
Réalisation : Bianca Shonee Arroyo-Kreimes
Scénarisation : Bianca Shonee Arroyo-Kreimes
Note : 6.5/10
Ainsi se termine le troisième volet de cette couverture médiatique des Sommets du cinéma d’animation. J’espère que vous avez apprécié cette première vague de compétiteurs. Alors en attendant la deuxième (je vous rassure, on parle encore de cinéma et pas de pandémie), j’aimerais vous donner envie de partager vos commentaires, mais aussi vos hobbies!
Pourquoi ne pas stimuler la curiosité artistique de vos voisins, de vos amis ou même d’inconnus? Vous pourriez vous surprendre à vous émerveiller vous-mêmes ou vous laisser être émerveillé. Le vent de mai souffle avec l’espoir que l’on peut encore faire du bien dans ce monde, ne manquons pas cette chance.
© 2023 Le petit septième