Je crois que l’on n’a jamais vu autant de films ukrainiens depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le festival Hot Docs qui avait réservé l’année dernière son programme « Made in » à l’Ukraine en a programmé beaucoup moins au cours de cette édition. Mais j’ai tout de même vu le magnifique et incroyable Porcelain War : une coproduction entre les États-Unis, l’Ukraine et l’Australie qui a fait sa première internationale à Toronto en compétition, après avoir gagné le Grand Prix du Jury du documentaire américain à Sundance.
Porcelain War est un hymne poétique, musical et militaire pour l’Ukraine qui offre des paysages à perte de vue, les magnifiques couleurs de ses prairies et de ses champs, poumons alimentaires pour le monde entier qui n’étaient pas si connus avant l’invasion. Le film partant de la dichotomie de son titre parvient à faire éclore du réel un miracle qui rappelle la pensée du poète Baudelaire lorsqu’il écrit « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or ». Le génie se situe dans sa mise en scène du « beau dans la laideur » mêlant les arts et la guerre, les artistes jouant aux soldats, au cœur d’un évènement tristement devenu déjà historique, qui tue encore des innocents, soldats ou civils, et séparent ou brutalisent des familles. Un escargot en porcelaine peint par la main délicate d’une artiste s’anime comme par enchantement, grâce au travail prodigieux d’une équipe d’animation polonaise, et prophétise un avenir radieux pour l’Ukraine : libre.
La finesse et la métaphore laissent placent au reportage de guerre, les pieds dans une opération commando, essuyant les tirs, filmée avec des petites caméras portatives accrochées à l’uniforme militaire de civils transformés en soldats puis transformés en reporters de réalités indescriptibles. Le film est un patchwork inspiré, né d’une réalisation bicéphale entre l’Américain Brendan Bellomo basé à Los Angeles et l’Ukrainien Slava Leontyev aux multiples casquettes : artiste de céramique le soir, instructeur militaire le jour et personnage central du film avec sa compagne peintre de porcelaine. Porcelain War est un documentaire sensationnel, mis en musique admirablement par le groupe folk ukrainien Dakha Brakha qui capte aussi bien les gestes méticuleux des artistes, la beauté des paysages estivaux, que les images du front, des drones-espion et d’entraînements militaires, autant de figures pour représenter une nation meurtrie, avec ses symboles et ses défenseurs. Le film nous embarque ainsi dans une dramaturgie sidérante de David contre Goliath enrichi d’un volet spectaculaire avec des explosions enregistrées en multi caméras : une bombe peinte par une artiste se prépare minutieusement avant d’être placée sur un drone et d’exploser un char russe.
Film de terrain bien qu’administré de l’extérieur du pays par le talent de Bellomo, il sublime le vécu d’une poignée de résistants, de civils et d’artistes qui ont dû prendre les armes, apprendre la manipulation des mortiers comme des caméras, bref l’ingénierie militaire et cinématographique. Ce documentaire honore la raison d’être du genre documentaire : montrer aux publics des réalités dans des perceptives inconnues et mettre en lumière des parcours d’être extraordinaires qui tentent d’arrêter nos folies ordinaires.
Porcelain War est présenté aux Hot docs les 27 et 28 avril 2024.
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