« — J’espérais juste que vous soyez différent
— Et moi, comme les autres. »
Avec Rosalie, Stéphanie Di Giusto, après avoir marqué les esprits avec La Danseuse, poursuit son exploration des figures féminines hors du commun. Ce deuxième long-métrage confirme son talent pour transcender les conventions du biopic traditionnel. Di Giusto nous plonge dans un récit empreint de complexité, explorant les émotions et les interactions sociales qui gravitent autour de l’existence singulière de Rosalie. Celle-ci, marquée par une différence physique notable — un corps entièrement recouvert de poils —, se distingue dans le contexte troublé de la France post-guerre de 1870. Le film, tout en nuances et en profondeur, tisse autour de cette figure atypique une histoire poignante qui met en lumière les défis et les combats internes auxquels elle doit faire face.
Inspiré librement de la vie de Clémentine Delait, une célèbre femme à barbe originaire des Vosges, le film nous offre une réflexion riche en humanité et en nuances psychologiques. Le combat de Rosalie pour accepter sa propre nature sans se cacher derrière son rasoir devient un symbole puissant d’authenticité et d’acceptation de soi.
Au cœur du récit se trouve l’union de Rosalie avec Abel, un tenancier de café joué par Benoît Magimel. Abel, pris au piège par ses finances, épouse Rosalie sans connaître son secret. La dynamique de leur relation, oscillant entre acceptation et rejet après la révélation de ce secret, est traitée avec une intensité qui révèle la complexité des sentiments humains, du jugement et de la transformation personnelle.
Nadia Tereszkiewicz incarne Rosalie avec une profondeur émotionnelle remarquable. Sa décision de ne plus se cacher symbolise un combat pour sa liberté personnelle et un appel à la libération collective. La relation entre Rosalie et Abel, marquée par l’amour, le compromis et une résilience face aux préjugés sociaux, est dépeinte avec une finesse qui émeut et interpelle. Évitant tout cliché, Di Giusto célèbre l’humanité de Rosalie, la présentant non comme une victime, mais comme une protagoniste pleine de dignité. Cette approche met en lumière la beauté de l’authenticité confrontée à l’adversité.
Le film pose également des questions universelles sur la tolérance et la cruauté sociale, explorant comment la société étiquette et isole ceux qui s’écartent de la norme, tout en mettant en avant la résilience et la dignité de ceux qui choisissent de vivre authentiquement. C’est une méditation sur la fragilité de l’acceptation sociale et l’impact destructeur des préjugés.
Le cadre de la vieille forge reconvertie en blanchisserie, située dans la Bretagne rurale, offre un arrière-plan idéal qui souligne la lutte entre tradition et modernité. Le film excelle dans la construction de ses personnages et dans la manière dont il capture l’essence d’une époque, avec ses conflits de classe et ses dynamiques de pouvoir, incarnés avec brio par Benjamin Biolay dans le rôle de Barcelin, un antagoniste à la fois cruel et captivant.
L’esthétique visuelle de Rosalie joue un rôle crucial dans l’élaboration du récit, où chaque élément visuel, des décors minutieusement choisis aux costumes soigneusement conçus, contribue à l’ambiance globale. L’utilisation maîtrisée de la lumière ajoute une dimension supplémentaire, soulignant subtilement les émotions des personnages tout en enrichissant la texture de chaque scène. Cette approche visuelle ne sert pas seulement à embellir, mais renforce la narration, permettant aux personnages de briller sans être submergés par leur environnement.
Stéphanie Di Giusto met particulièrement en avant l’unicité de son personnage principal, Rosalie, par le biais de garde-robes colorées et élégantes qui se détachent nettement des teintes grises et monochromes du milieu ouvrier dans lequel elle évolue. Ces choix vestimentaires ne sont pas de simples décisions esthétiques; ils révèlent l’excentricité de Rosalie et servent de catalyseur aux dynamiques sociales du film, reflétant à la fois l’agacement de son mari et la jalousie croissante des autres villageois. Au-delà de leur impact immédiat, ces éclats de couleur symbolisent la quête de Rosalie pour un bonheur qui, malgré les obstacles, semble toujours juste hors de portée, offrant une métaphore visuelle de son désir de transcender les contraintes de son environnement.
Ainsi, l’esthétique du film ne se contente pas de définir le cadre temporel ou géographique de l’histoire, mais active également une réflexion plus profonde sur les thèmes de l’individualité et de la recherche de l’acceptation. Les choix artistiques de Di Giusto accentuent cette exploration, rendant Rosalie non seulement un plaisir visuel, mais une œuvre profondément immersive et réfléchie.
En somme, Rosalie est un film profondément émouvant et magistralement réalisé qui transcende les attentes, invitant le spectateur à une introspection sur les thèmes de l’acceptation et de l’amour. Cette œuvre remarquable explore avec une humanité palpable ce que signifie être différent dans un monde obnubilé par la conformité. C’est une narration qui, bien qu’ancrée dans un contexte historique, trouve un écho universel et intemporel, soulignant avec puissance comment l’amour et l’acceptation peuvent surmonter les obstacles les plus insurmontables de notre société. Ce film se révèle être une expérience cinématographique indispensable, établissant Stéphanie Di Giusto comme une voix cruciale et novatrice dans le paysage cinématographique de sa génération.
En salle, au Québec, le 26 avril 2024.
Bande-annonce
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