« — On cherche Denis. – Il n’est pas dans l’eau. – Où est-il? – Ailleurs. »
« À quoi ça ressemble, un mort? – Ça ne respire pas et c’est froid. – Tu sens sa présence ici? »
« Quand je ferme les yeux, je ne vois plus son visage. J’ai peur de l’oublier. Je l’ai cherchée toute la nuit. »
Manawan, 1977. Un véhicule tombe dans une rivière près d’une communauté autochtone. Deux Québécois blancs s’en tirent, mais cinq Atikamekw perdent la vie. Si la police conclut à un accident, pour les familles des victimes, des questions demeurent sans réponse.
Film choral, récit historique et poétique, Soleils Atikamekw est librement inspiré des rêves, impressions et souvenirs des proches des victimes. Réalité et fiction se rejoignent alors dans un film bouleversant sur le deuil, l’injustice et la mémoire.
En donnant voix à un drame non-élucidé à Manawan en 1977, la réalisatrice Chloé Leriche inscrit sa démarche dans un devoir de mémoire porté par les familles des disparu⋅e⋅s. Entre onirisme et difficile réalité, le deuxième long-métrage de fiction documentaire de Leriche rappelle la douleur d’une communauté pour qui l’affaire n’est pas sans évoquer les violences d’un Québec colonial.
D’emblée, le projet de la réalisatrice est ancré dans un travail de collaboration, de participation :
« Le scénario et le montage ont fait l’objet de lectures et de visionnements publics. Des stages de création, des emplois et des activités de guérison individuelles et communautaires ont été mis en place par la production et par le Conseil des Atikamekw de Manawan. Les familles des cinq victimes ont aussi participé à un projet photo avant le tournage. Le langage cinématographique de Soleils Atikamekw est né de ces explorations visuelles. »
Mêlant onirisme au réel, la réalisatrice passe habilement de plans aux couleurs vives du territoire aux plans sombres aux couleurs parfois inquiétantes du rêve. Alternant entre les corps parfois mécaniques, parfois fantomatiques et ceux organiques marqués par l’extrême douleur, le film insiste sur le silence pour mieux faire entendre l’absence. La démarche de la réalisatrice, marquée par le respect, mais aussi par la dénonciation, s’inscrit dans un long travail : 7 ans.
La puissance du long-métrage réside dans ces plans qui puisent dans le rêve pour figer une image permettant de réaliser l’ampleur de la tragédie. Des voix viennent parfois fixer le réel comme un rappel de la violence vécue par les peuples autochtones alors que l’enfant d’une défunte doit répondre aux questions de son père qui cherche à comprendre l’impossible. Par l’utilisation de voix hors champ qui relatent les souvenirs que chacun⋅e a des événements tragiques, la réalisatrice ramène la fiction dans la réalité. C’est ainsi que l’enfant de 8 ans à l’époque se remémore les derniers moments passés avec sa mère :
« On m’a jetée, on m’a forcée à débarquer. Le Blanc qui était en avant est sorti du véhicule. Il a ouvert la porte d’un coup. Après, il m’a agrippée. Je me suis accrochée à ma mère pour qu’elle débarque, en vain. On m’a lancée au bord du chemin. Je pleurais par terre. »
Devant une justice qui ferme les yeux, à la fois par la présence de policiers blancs qui ne camouflent même pas leur complète indifférence aux événements aux traitements inégaux du coroner, la communauté cherche à obtenir des réponses qui ne viennent pas. Forcés à vivre leur deuil, l’incompréhension et la colère ne quittent pas les membres de la communauté. Alors que l’affaire est classée comme un accident, toutes les preuves sont là pour montrer que ce n’est pas le cas. L’impunité de deux hommes blancs présents le soir même représente des rouages d’un système colonial à deux vitesses : un système où les Blancs n’ont pas à répondre à la justice parce que les victimes sont des personnes des Premières Nations. Les enquêteurs refusent même de se rendre dans la communauté pour examiner les corps qui portent des signes de violence.
En quête d’une justice pour les défunt⋅e⋅s, les membres de la communauté tentent de comprendre les événements qui ont mené à la perte, mais cherchent aussi à réfléchir à l’après.
Chacun⋅e cherche à vivre son deuil à sa manière. Les enfants portent une force que les adultes tentent de maintenir. En ces temps difficiles, le soutien de la communauté demeure le pilier du quotidien. Sauterre (joué par le brillant Carl-David Ottawa) cherche sa femme, encore et encore de peur de l’oublier. Pour Martha (Wikwasa Newashish-Petiquay) et son mari Philippe (Oshim Ottawa), l’arrivée d’Antoinette, fille de Sauterre, dans leur vie leur rappelle que les êtres aimés ne partent jamais réellement. Angèle (Mirociw Chilton), quant à elle, tente de ramener sa propre mère à la vie – enveloppe charnelle habitée par la perte.
Le film de Leriche propose d’explorer les événements difficiles par la beauté de la communauté et des gens qui la constituent. La tragédie de 1977 met en lumière un système porté par les violences coloniales et dont les mécanismes sont ceux d’un racisme systémique.
Soleils Atikamekw est aussi présenté au FCMS le 10 avril 2024.
Bande-annonce
© 2023 Le petit septième