« Oui, je veux les protéger d’un monde où
les mamans et les cochons d’Inde meurent sans prévenir »
Denis Patar (Gustave Kervern) est un père aimant, mais débordé qui se débat seul avec l’éducation de ses filles, Janine 13 ans (Héloïse Dugas) et Mercredi 9 ans (Fanie Zanini), deux boulots et une bonne dose de système D. Un soir Denis oublie, une fois de trop, Mercredi à la sortie de l’école. Une enquêtrice sociale (Camille Cottin) passe alors le quotidien de la famille Patar à la loupe et oblige Denis à un « stage de parentalité ». Désormais les Patar vont devoir rentrer dans le rang.
Cigarettes et chocolat chaud, le premier long métrage de Sophie Reine, est le portrait d’une famille hors normes. Le long métrage a obtenu le Prix des Enfants Terribles du Meilleur film au Festival international du film de Gijon, ainsi qu’une nomination aux César dans la catégorie du meilleur premier film.
Denis Patar et sa femme, Caroline, étaient des fans finis de David Bowie. Les deux filles du couple (dont la maman est décédée) se nomment Janine, en l’honneur d’une chanson de Bowie, et Mercredi, car le chanteur est né un mercredi. Sans oublier le cochon d’Inde qui se nomme Ziggy.
On retrouve, par ailleurs, quelques chansons de l’artiste décédé l’an passé dans le long métrage.
Cigarettes et chocolat chaud est un film semi-autobiographique. Bien que ça semble étonnant, Sophie Reine dit s’être inspirée de sa propre famille pour écrire son film. Elle disait d’ailleurs en entrevue « j’ai un mal fou à situer la norme, peut-être parce que j’ai grandi dans un appartement à Paris avec un singe et une chèvre comme animaux de compagnie! Chez les Patar, comme chez les Reine, on porte des chaussettes dépareillées, on va au boulot avec des fringues multicolores parce que les tutus fuchsia des unes ont déteint sur les pantalons crème des autres, on mange des chips au petit-déj… bien loin des 5 fruits et légumes par jour et du régime sans gluten! Mon père s’est retrouvé seul à nous élever avec mon frère et ma sœur, j’ai eu envie de décrire cette vie-là : un papa débordé qui cherche à protéger à tout prix ses enfants d’un monde “où les mamans et les cochons d’Inde meurent sans prévenir” ».
Les Patar sont attachants. La mère n’étant qu’une image de la mémoire des trois personnages. Pourtant, on a l’impression de bien la connaitre. Et comment ne pas compatir à un homme qui compile deux boulots pour réussir à faire vivre sa petite famille. De jour, il est caissier dans un magasin de jardinage et, de nuit, il travaille dans un sex-shop. Au moins, il peut piquer les moteurs des vibrateurs brisés pour les mettre dans sa cigarette électronique. Ce qui donne une cigarette qui vibre lorsqu’il prend un bouffé d’air.
Mais l’équilibre familial – qui était déjà fragile après la mort de Caroline – est à nouveau bouleversé lorsque Séverine, une assistante sociale, doit visiter la famille. Évidemment, quand on arrive dans une famille monoparentale, dans laquelle les fillettes sont seules la nuit, on se pose déjà des questions à savoir si les enfants sont bien encadrés. Évidemment lorsque Séverine s’entretient seule à seules avec les filles Patar, elle ne peut que lancer un avertissement au père. Petit avertissement ici : si vous pique-niquez dans les allées du supermarché pour économiser sur l’épicerie, assurez-vous de bien briefer votre enfant de 10 ans lorsque la travailleuse sociale passera chez vous…
À cet équilibre précaire, on ajoute un élément qui mettra Denis au pied du mur et le forcera à sortir de sa torpeur. Lorsque Séverine découvre que Janine est atteinte du Syndrome Gilles de la Tourette, il n’y aura plus moyen pour Denis de se cacher la tête dans le sol.
D’ailleurs, il s’agit d’une maladie qu’on caricature cruellement au cinéma, dont les symptômes explosent souvent à l’adolescence quand la pression d’être comme les autres est la plus forte. C’est les changements apportés par le stage de parentalité qui feront exploser les symptômes de l’adolescente.
Donc afin d’éviter les clichés et les aberrations, la réalisatrice a contacté l’AFSGT (Association Française du Syndrome Gilles de la Tourette) et le professeur Andreas Hartmann, référent de cette maladie rare à la Pitié Salpetrière, qui ont aimé l’angle qu’elle proposait et qui lui ont permis de rencontrer des familles concernées et de correspondre avec elles tout au long du projet.
Et la jeune Héloïse, qui en était à son premier casting et premier rôle au cinéma, s’en tire merveilleusement bien dans le rôle de Janine qui est « pleine de vie » selon son père, « angoissée » selon Séverine. Elle réussit à ne pas caricaturer son personnage. Ça mérite un gros bravo, car des acteurs d’expérience se sont déjà cassé le nez sur ce genre de rôle.
Cigarettes et chocolat chaud pose tout de même une question intéressante. Comment est la vie pour ceux qui évoluent hors des cadres et quels sont les dommages collatéraux pour leur entourage?
Évidemment, vivre en dehors des normes n’a absolument rien de terrible. Par contre, certains choix de vie peuvent avoir des incidences sur les enfants. C’est un des points apportés par Séverine. Si les filles ne reçoivent pas les outils nécessaires, elles n’auront pas les mêmes possibilités que les autres le temps venu.
Disons que Denis accepte de participer au programme social par pur amour pour ses filles. Je crois que comme n’importe quel papa, il ne veut surtout pas imaginer sa vie sans ses filles. D’autant plus qu’il vient de perdre l’autre amour de sa vie. Et pour ceux qui se posent la question, oui ce type de programme existe en France.
Ces « stages de soutien à la parentalité » ont été mis en place pour faire face à la délinquance juvénile en 2007. Les parents dits « défaillants » sont condamnés par le juge pour enfants à suivre un stage au cours duquel on va leur apprendre à développer leur « compétence de parent ». Être un bon parent devient alors un boulot dans lequel on doit être performant. Les travailleurs sociaux s’insurgent d’ailleurs contre ces méthodes applicables à tous et se battent pour que l’aide aux familles soit un soutien sur le long terme en tenant compte de l’environnement particulier de chacun.
Mais pourquoi Cigarettes et chocolat chaud? La réalisatrice explique que « le titre m’a été inspiré par une chanson de Rufus Wainwright Cigarettes and Chocolate Milk, qui tourne dans ma tête depuis les prémices de l’écriture. Elle parle d’un homme qui demande à être accepté tel qu’il est, avec toutes ses manies et ses imperfections… C’est incroyable à quel point elle m’évoque la famille Patar. » La pièce a été réinterprétée pour le film par une femme.
Alors si, comme pour Sophie Reine, troquer une guitare contre une chèvre, élever des lucioles ou créer un cirque dans lequel vous intégrez ces animaux (ou insectes, au choix) vous semble être quelque chose que vous auriez (ou avez déjà) fait, vous serez en mesure d’apprécier la famille Patar. Et sinon, vous pourrez toujours être touché par ce père aimant, mais qui manque simplement d’outils pour s’en sortir seul.
Note : 7.5/10
© 2023 Le petit septième