« Ils me font peur. »
Florence (Sara Forestier) est une professeure du primaire dévouée à ses élèves. Quand elle rencontre le petit Sacha, un enfant en difficulté, elle va tout faire pour le sauver, quitte à délaisser sa vie de mère, de femme et même remettre en cause sa vocation. Florence va réaliser peu à peu qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre…
Quand arrive un film qui se passe dans une école, et dans lequel les enfants y ont des rôles importants, mes attentes sont généralement assez basses. Et pourtant, je me suis laissé tenter par Primaire d’Hélène Angel. Je ne saurais trop dire pourquoi. Mais quoi qu’il en soit, je n’ai pas été déçu.
Vous rappelez-vous comment c’était, l’école primaire? Évidemment, si vous avez 15 ans, il est tout à fait possible que oui. Mais si vous en avez plus de 30, les chances sont minces. Des flashs, peut-être, mais la réalité? C’est moins sûr.
Mais alors, comment faire un film réaliste et pertinent sur ce milieu pour le moins unique? Pour Angel, c’était simple… « J’ai passé deux ans dans des classes, pour être juste dans ce que j’écrivais sur le métier, et pour le comprendre de l’intérieur. Mais ça m’a surtout permis de mieux en dégager les enjeux, les contradictions. Par exemple, en tant que parents, on ressent tous qu’éduquer c’est une mission à la fois joyeuse et un peu triste, mélancolique. On formate, on renonce à la liberté des instincts premiers! C’est flagrant quand on est dans une classe. Et on voit bien aussi que l’école emprisonne notre Florence. » Pour Sara Forestier, le chemin a été semblable. Elle a rencontré des enseignantes et participé à des journées de classe avec elles.
En regardant Primaire, on se rappelle un peu mieux de quoi avait l’air la petite école. Bien entendu, comme je suis allé à l’école au Québec, il y a certaines différences. Mais les enfants sont les mêmes. Ils sont à la fois curieux, pleins d’espoir et de courage, mais aussi cruels et sans pitié l’un envers l’autre. Certains sont plus heureux que d’autres, et dans un système public, certains sont aussi plus chanceux que d’autres. Le jeune Sacha est l’exemple de ce pauvre enfant sans chance et probablement sans réel avenir. Je ne sais pas comment le système gère ce genre d’enfant en France, mais je sais qu’ici, ces jeunes sont généralement voués à un avenir peu reluisant. On les appelle « enfants de la DPJ ».
Au public, on retrouve souvent des enfants de milieux aisés mélangés à des enfants de milieux plus modestes, voir très pauvres. Mais comme dans Primaire – et de plus en plus –, on intègre dans ces classes des enfants souffrant de divers troubles mentaux. Ici c’est la petite Charlie, autiste, qui travaille avec madame Duru. Elle est tout de même chanceuse, car, actuellement, au Québec on met dehors ces personnes qui se spécialisent dans l’aide aux enfants qui ont plus de difficultés à apprendre.
Il peut parfois être difficile de séparer le travail et la vie personnelle. Ce l’est certainement encore plus pour une institutrice de CM2 qui retrouve son garçon dans sa classe. Et surtout lorsque ceux-ci louent un appartement à l’intérieur de l’enceinte de l’école en question.
Mais dans Primaire, ce qui pose problème, c’est lorsque Florence rencontre le jeune Sacha, un enfant qui vient d’arriver à l’école. Le garçon porte des vêtements sales et est ridiculisé par les autres élèves parce qu’il pue. En parlant avec Sacha alors qu’il est en retenue, Florence réalisera que le garçon a une mère absente. Celle-ci se laisse aller au bon plaisir des hommes qu’elle rencontre.
La seule personne que l’école réussit à rejoindre, et qui est inscrite comme étant la personne à contacter en cas de besoin, est l’ex-copain de la mère indigne. Celui-ci n’est aucunement intéressé à prendre en charge l’enfant à long terme – même s’il veut bien l’aider et s’en occuper un peu à court terme. Et selon le personnage, parfois la famille d’accueil est ce qu’il y a de mieux pour un enfant. Il dit même à Florence : « Dans famille d’accueil, il y a famille et accueil au moins. Deux choses que sa mère ne lui donne pas. »
Avec cet homme et à cause de Sacha et de Denis, le fils de Florence, cette dernière n’aura d’autres choix que de revoir ses valeurs et ses priorités. Elle est une institutrice dévouée à ses élèves, mais elle doit apprendre à vivre et à mieux écouter son fils.
La réalisatrice résume bien le personnage de Florence en disant que « Florence se débrouille comme elle peut à l’intérieur du système, parce qu’elle croit en l’école de la République, laïque, gratuite et obligatoire. Dans un monde régi par l’argent, ce sont des valeurs simples qui me touchent. » Et j’avoue partager son point de vue.
Sans être un chef-d’œuvre, Primaire est un film qui amène des questionnements. Des questionnements sur notre société et sur les valeurs qu’on y met de l’avant. À travers le personnage de Florence, le film aborde de multiples thèmes : la maternité, la femme au travail, et, bien entendu, l’enseignement, ce véritable sacerdoce. Oui, il faut avoir la foi pour se lancer dans l’enseignement primaire. Devoir éduquer, enseigner, garder et ouvrir l’esprit de la jeunesse et de ce qui devrait être l’avenir d’une nation, ce n’est pas une mince tâche. Et encore plus si on le fait dans un endroit comme le Québec, où l’éducation ne fait actuellement pas partie des priorités de notre état. En fait, lorsqu’on regarde l’état de nos écoles, on a plutôt l’impression que les gouvernements veulent s’assurer que les générations futures ne seront pas en mesure de réfléchir. C’est triste.
Heureusement, des professeurs comme Florence existent. Ça donne un peu d’espoir.
Je veux terminer sur une phrase de la réalisatrice. À un journaliste qui lui demandait pourquoi elle avait fait ce film, elle répond : « J’aimerais que mon fils puisse le voir et en comprendre les enjeux, qu’il se dise : ah tiens, c’est pas si simple d’être un père ou une mère. Je me suis aussi souvenue de l’impact qu’avait eu sur moi “L’argent de poche”, en tant qu’enfant. Je m’étais sentie comprise, pour la première fois. Donc j’ai été guidée par cette envie de redonner ça à mon tour, oui. Et aussi, je voulais que les adultes se reprennent les grandes émotions de l’enfance dans la figure. Je voulais être à hauteur d’adultes et à hauteur d’enfants, sans hiérarchie! C’est un film “primaire”, au sens où il parle des émotions qui nous constituent et nous apprennent à vivre. »
Note : 7.5/10
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