« L’endroit où Éverard finit ses jours est désigné par un acronyme aussi détestable que CIA, KGB ou NKVD. »
Un récit de la vie en marge des événements qui est notre lot à tous. Une vie de débrouille, de symboles, de foi, de sueur… Comment un homme simple, Éverard Leblanc, s’est-il « débrouillé » pour traverser ce siècle? Un narrateur nous raconte : du Canada français au Québec, de la ruralité cantonnée à la modernité éclatée, du catholicisme véhément au vidage des églises, de la vie à la mort, il nous raconte l’histoire d’Éverard et de son siècle, de ces jalons où, chaque fois qu’il se débrouillait, Éverard subissait l’épreuve du progrès et de cette chose si changeante qui a connu de nombreuses révolutions et que l’on nomme l’économie. Deux histoires nous sont racontées : la grande histoire du siècle et la petite histoire d’Éverard.
Le commun des mortels de Carl Leblanc a obtenu le Prix du Public qui récompense le film le plus apprécié par le public au dernier Festival Vues sur mer de Gaspé. Il faut dire que c’est un beau documentaire, très humain. On rencontre d’abord Éverard alors qu’il a 83 ans, puis on le retrouve quelques années plus tard, mal en point dans un CHSLD. On traversera sa vie en faisant de nombreux retours en arrière, découvrant un homme qui est, à sa manière le père, le grand-père ou l’arrière-grand-père de chacun de nous.
Savez-vous ce que Fidel Castro, Charles Aznavour et Éverard Leblanc ont en commun? Ils sont nés à peu près au même moment, vers le milieu des années 1920. À priori, ce ne sont pas des noms que l’on rapprocherait, mais Carl Leblanc suit leur trajectoire – en s’attardant évidemment sur Éverard –, en montrant à travers quelques grandes figures les changements sociaux, culturels et politiques du siècle dernier.
Bien qu’on le sache, c’est tout de même fou de penser à tout ce qu’un homme comme Éverard (ou mon grand-père) a connu comme changement. Alors qu’il a 4 ans, une première route carrossable est construite à travers sa Gaspésie natale. Son coin de pays s’ouvre au monde. Quelques années plus tard, avec sa famille et d’autres familles, il contribuera à fonder un petit village Saint-Jean-de-Brébeuf, aujourd’hui disparu. Il connaîtra la vie militaire à Valcartier, avant de devenir cuisinier dans les camps de bûcherons. Il deviendra ensuite colporteur et se choisira finalement un métier : boucher.
On montre en alternance les changements technologiques, les bouleversements économiques, qui ont modelé le dernier siècle. Le montage, parfois surprenant, est très bien fait et suscite la curiosité du spectateur.
Des intervenants de différents horizons, dont Lucien Bouchard, Guy Corneau, Michel Faubert, Pierre Fortin, Benoît Lacroix, Patrick Lagacé, Marc Laurendeau et Jean-François Nadeau, commentent la vie d’Éverard, parfois de manière plus personnelle, mais souvent comme un exemple d’hommes parmi d’autres, comme l’un de ceux qui a vu le monde changé rapidement pour le meilleur comme pour le pire.
Je dois avouer que j’ai été séduite par la narration assumée par Carl Leblanc, par ce texte imagé et sensible. Leblanc nous présente la vie d’Éverard comme autant de rubriques de son cv, telles que peintre bisannuel de croix de chemin. On en apprend sur un homme qui a touché à tout, comme beaucoup d’hommes de sa génération, sur un homme très croyant, sur ce fier Chevalier de Colomb. Et on nous présente aussi un homme vieilli, atteint de démence, et ce, avec beaucoup de respect.
On retrouve une très grande quantité d’archives visuelles, parfois vidéos mais surtout photographiques, qui contribuent à faire revivre les belles d’Éverard. Outre ces images, on retrouve quelques beaux plans aériens qui nous font découvrir le paysage gaspésien et nous transporte notamment vers le CHSLD où Éverard a terminé sa longue vie.
On nous montre la vie dans tous ses états : de la naissance à la finitude. Une dégradation de la qualité de vie et du corps, jusqu’à un point de non-retour…
Le commun des mortels est un film empreint de poésie, de vie, de constats. Éverard, tout comme le siècle qui l’a vu naître, a connu de grands et beaux moments, de même que de grands contrecoups. Il a connu son lot de surprises et de souffrances, de joies et de déceptions.
Note : 8/10
© 2023 Le petit septième
C’est avec émotion que j’ai regardé ce documentaire, j’ai revu mon père né en 1923 aujourd’hui décédé, il a élevé 12 enfants sur une terre de roches en Beauce près de la frontière américaine. Très beau documentaire qui nous rappelle tout le travail que ces hommes ont accompli pour faire vivre leurs familles. Bravo
En effet. Il s’agit d’un film très touchant. La génération dont fait partie cet homme (et votre père) a vu une énorme quantité de changements. Ça n’a certainement pas toujours été facile pour eux de s’adapter.