Voici la deuxième partie de ma liste de 15 films au grand potentiel qui ont été malheureusement annulés. Après m’être surtout concentré sur des grands films de divertissement dans la première partie, j’ai surtout mis ici l’emphase sur le cinéma d’auteur (même si ça reste de grands auteurs américains). Regardons ensemble cinq autres longs-métrages qui auraient pu exister.
Martin Scorsese est l’un des réalisateurs les plus prolifiques, éclectiques et talentueux d’Hollywood. Avec une carrière de près de 50 ans derrière la caméra, le cinéaste a dû abandonner de nombreux projets. S’il était à la base pressenti à la réalisation des films Scarface, Witness ou La liste de Schindler, il a quand mettre dû mettre dans les tiroirs plusieurs films, la plupart étant des biopics. Dans un univers parallèle, nous aurions pu voir Scorsese réaliser un film sur le compositeur George Gershwin, un sur Theodore Roosevelt, un sur le groupe punk The Ramones ou bien, dans ce cas-ci, un film sur Dino.
Dino est le nom de la biographie écrite par Nick Tosches à propos du chanteur et acteur Dean Martin. Grande figure du divertissement américain du 20e siècle (et accessoirement un des chanteurs fétiches de mon père), Dean Martin était connu pour son partenariat humoristique avec l’acteur Jerry Lewis ainsi qu’en tant que membre du Rat Pack, un groupe d’artistes composé de lui, Frank Sinatra, Sammy Davis Jr, Peter Lawford et Joey Bishop, qui sont devenus des symboles de Las Vegas. La carrière musicale de Dean Martin a aussi traversé les générations et se retrouve dans de nombreux films, dont ceux de Martin Scorsese.
Ce dernier avait besoin d’un scénariste de talent pour retranscrire la vie bien remplie du chanteur. C’est comme ça qu’il a fait appel à Nicholas Pileggi, qui avait déjà collaboré avec le réalisateur pour adapter ses livres non fictionnel Wiseguy: Life in a Mafia Family et Casino: Love and Honor in Las Vegas, qui deviendront Goodfellas et Casino. Le script aurait fait 167 pages et se serait attardé sur la relation entre Dean Martin et Jerry Lewis. Le casting était tout aussi alléchant, avec Tom Hanks en Dean Martin, Jim Carrey en Jerry Lewis, John Travolta en Frank Sinatra, Hugh Grant en Peter Lawford et Adam Sandler en Joey Bishop. En gros, les plus grandes stars hollywoodiennes des années 90 pour interpréter les plus grandes vedettes de Las Vegas.
Cependant, ce serait cette distribution qui aurait causé la chute du film. Si les raisons données sont des problèmes juridiques et de retards liés au script, certains disent que le film n’a cessé d’être repoussé à cause de l’indisponibilité du cast. En effet, Tom Hanks et Jim Carrey étaient dans cette période au sommet de leur gloire et étaient approchés de partout, ce qui fit en sorte qu’ils n’aient pas eu le temps pour Dino. Peu importe les raisons, Scorsese est finalement passé à autre chose, allant réaliser Gangs of New York. Il annonça en 2004 que le projet a été bel et bien abandonné.
Possibilité de renaissance : 60%. Martin Scorsese continue encore de faire des films aujourd’hui, même s’il semble avoir de moins bonnes relations avec les studios hollywoodiens (il faut voir ses collaborations avec Netflix et Apple). De plus, les projets de Scorsese prennent une dimension de plus en plus épique (de grande ampleur) en ce moment, donc un simple biopic ne serait pas dans sa vision artistique. Mais comme expliqué plus tôt, l’histoire de Dean Martin est bien remplie, donc le projet pourrait revivre.
John Carpenter est un réalisateur culte. Outre la grande qualité de ses films, c’est surtout le fait qu’il restait en marge du système hollywoodien, avec des films sombres, loin des films populaires de l’époque, qui traitaient de thèmes comme les dérives du capitalisme, la paranoïa et les rejetés de la société. Il n’a donc pas eu la meilleure relation avec les studios, ce qui lui a fait tourner le dos à plusieurs projets. Il devait notamment, à la base, réaliser Firestarter en 1984, The Golden Child en 1986 et même Tombstone en 1993, sans oublier le projet de remake de Creature from the Black Lagoon et les suites d’Halloween. Cependant, son projet abandonné le plus intéressant reste sans aucun doute Shadow Company.
Le film aurait raconté l’histoire de Jake Pollard, un vétéran de la Guerre du Vietnam, dont les corps des membres de son ancienne troupe des forces spéciales, surnommée la Shadow Company, ont été retrouvés dans un temple cambodgien 20 ans après la fin de la guerre. Ils sont ramenés dans une petite ville californienne, là où les soldats se mettent étrangement à ressusciter et sèment le chaos dans la ville, et ce, en plein réveillon de Noël.
Le film aurait été dans la continuité du précédent film de Carpenter, They Live, dans lequel il se permet un commentaire social en critiquant le capitalisme américain. Ici, Shadow Company aurait parlé du traumatisme du Vietnam et de comment la société américaine a rejeté les vétérans de cette défaite. Le réalisateur était aussi bien entouré, pouvant compter sur les scénaristes Shane Black (Lethal Weapon) et Fred Dekker (Robocop 3), le duo ayant précédemment collaboré sur le très sous-estimé Monster Squad en 1987. Il avait aussi un producteur de taille avec Walter Hill, réalisateur entre autres de The Warriors et de 48 Heures, mais aussi producteur des films Alien. De plus, le rôle principal était tenu par le collaborateur de John Carpenter depuis Escape from New York, Kurt Russell.
Mais ce regroupement impressionnant ne sera cependant pas assez pour que le film voie le jour. Cela est dû à des problèmes en préproduction. Les raisons n’ont pas été précisées, il peut donc s’agir de différences créatives ou budgétaires, on ne le sera jamais. John Carpenter laissera donc son film de zombie pour la comédie Memoirs of an Invisible Man en 1992. Néanmoins, le script de Shane Black et Fred Dekker a été rendu public et a obtenu un statut culte aujourd’hui.
Possibilité de renaissance : 0%. John Carpenter a depuis longtemps laissé la caméra. Son dernier film The Ward, sorti en 2011, a été un grand échec critique et commercial. Aujourd’hui, il préfère prendre les postes de producteur, notamment sur la récente trilogie Halloween. De plus, à moins de le moderniser, le script de Shadow Company n’est plus vraiment d’actualité aujourd’hui.
Disney a longtemps dominé le cinéma d’animation américain, pour ne pas dire qu’ils possédaient presque tout le monopole. Il est ironique que l’un de leurs plus grands rivaux faisait, à la base, partie de leur rang. L’animateur Don Bluth a en effet longtemps travaillé en tant qu’animateur pour Disney, ayant notamment été directeur de l’animation sur Bernard et Bianca et Peter et Elliot le dragon. Et puis il a été lassé de la direction du studio et a démissionné avec plusieurs animateurs pour fonder son propre studio. On lui doit notamment Brisby et le secret de Nimh, l’animation du jeu vidéo Dragon’s Lair et, surtout, Fievel et le Nouveau Monde, l’un des premiers films d’animation à faire mieux qu’un Disney. Cependant, il n’a pas toujours réussi à battre ses anciens employeurs, la plupart de ses films n’ayant pas remporté le succès. Ce fut notamment le cas quand Don Bluth souhaitait adapter La Belle et la Bête.
Popularisé en 1740 dans le recueil La Jeune Américaine et les contes marins, le conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve a fait l’objet de nombreuses adaptations, que ce soit au cinéma, à la télévision ou en littérature. On pense notamment à la version de Jean Cocteau en 1946, à la version de Christophe Gans de 2024, l’opéra de Philip Glass de 1994 ou bien la série de 1987 avec Ron Perlman et Linda Hamilton. La prémisse du conte aura aussi inspiré de nombreuses œuvres, dont le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë, surtout l’histoire d’amour entre la protagoniste et Edward Rochester.
La version de Don Bluth se serait pas mal rapprochée de l’ambiance du conte d’origine, promettant une grande histoire d’amour avec quelques moments terrifiants, soit en plein dans le style de l’animateur. La grande différence est que l’antagoniste du film aurait été Queen Livia, la sorcière responsable de la malédiction de la Bête qui était jalouse de Belle et qui aurait tenté de la manipuler pour quitter le château et piéger la Bête dans son maléfice. Belle aurait aussi été accompagnée de compagnons animaliers comme un chien clairvoyant, un oiseau détective, un lézard expert en évasion et des fées. À l’annonce du film en 1984, plusieurs croquis prometteurs ont été partagés, montrant un ton et un style différents des productions Disney.
Ce sera le studio qui enterrera le projet, qui avait été mis en pause quand Steven Spielberg demanda à Don Bluth de réaliser Fievel et le Nouveau Monde, avec par la suite les productions du Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles et de All Dogs Go to Heaven. Mais au moment de reprendre La Belle et la Bête, Disney annonça qu’il était en train de réaliser sa propre version du conte, ce qui donnera le célèbre film de 1991. La production du film de Bluth s’arrêta donc en 1989, le réalisateur et le studio Columbia Pictures se rendant à l’évidence qu’ils ne seraient pas capables de rivaliser avec Disney.
Possibilité de renaissance : 5%. Don Bluth continue de faire de l’animation aujourd’hui, ayant fondé un nouveau studio en 2020 intitulé Don Bluth Studios afin de remettre au goût du jour l’animation faite main. Cependant, il y a une grande chance que le réalisateur se perde dans le système hollywoodien actuel.
David Lynch est l’un des réalisateurs les plus uniques d’Hollywood, la grande partie de sa filmographie ayant charmé les cinéphiles avec leurs auras mystérieuses, leurs grandes qualités cinématographiques et le fait qu’ils se détachent du reste de la production américaine. Mais si certains de ces projets ont pu voir le jour, d’autres grandes idées du réalisateur ont dû être abandonnées en cours de route. Le plus célèbre étant Ronnie Rocket, un long-métrage qui devait faire suite à Eraserhead et dont le cinéaste a tenté d’amener pendant des décennies. On peut aussi citer son adaptation de La métamorphose de Franz Kafka, de nombreux spin-offs à Twin Peaks ou bien Venus Descending, un semi-biopic sur Marilyn Monroe. Celui que j’ai choisi est One Saliva Bubble, ce qui aurait pu être la première comédie du réalisateur.
En effet, le pitch du film est plutôt absurde. L’action se déroule à Newtonville, une petite ville située à côté d’une base gouvernementale secrète, là où une arme mystérieuse est développée. Cependant, les choses dégénèrent lorsqu’une bulle de salive d’un garde tombe sur les fils de l’arme, ce qui la déclenche. Les habitants de la ville voient leurs esprits changer de corps (un body-swap à la Freaky Friday à grande échelle). Le script nous fait suivre quatre individus (un tueur à gages, un père de famille, l’idiot du village et un scientifique suisse) qui vont faire face à leur nouvelle situation, ainsi que l’armée américaine.
Assez éloigné des expérimentations auxquelles il est habitué, David Lynch se serait attaqué à une histoire comique et absurde. Avec son immense talent et son caractère atypique, il aurait été curieux de voir le sens de l’humour du cinéaste. David Lynch était aussi bien entouré, que ce soit derrière ou devant la caméra. Le réalisateur aurait collaboré avec le scénariste Mark Frost, qui avait précédemment œuvré sur des séries à succès comme Hill Street Blues ou The Equalizer, et qui collaboreront quelques années plus tard sur une petite série intitulée Twin Peaks. L’aspect comique du film aurait été encore plus renforcé par la présence du duo Steve Martin/Martin Short qui avait déjà eu du succès avec Three Amigos en 1986.
Ce sera un des collaborateurs du film qui sera involontairement la cause de son annulation, plus précisément le producteur du film. Il s’agissait de Dino De Laurentiis, grand producteur italien qui avait déjà produit deux films de David Lynch : Dune en 1984 et Blue Velvet en 1986. Cependant, à l’époque de One Saliva Bubble, la boîte de production de De Laurentiis, De Laurentiis Entertainment Group, était proche de la faillite après de nombreux échecs commerciaux, ce qui fit en sorte que le film ne serait pas financé et fut donc annulé. De plus, comme les droits du film appartenaient au producteur, aucun autre studio ne pouvait reprendre le projet. David Lynch ira finalement réaliser Sailor et Lula et créera Twin Peaks avec Mark Frost.
Possibilité de renaissance : 15%. Avec la sortie de la saison 3 de Twin Peaks, son apparition dans The Fabelmans et même son court-métrage What Did Jack Do? sur Netflix, plusieurs rumeurs sur le retour de David Lynch à la réalisation ont fait leurs apparitions. Mais ça ne reste que des rumeurs. Néanmoins, ça aurait été intéressant de voir le projet ressurgir, notamment avec le retour à l’écran du duo Martin/Short dans la série Only Murders in the Building.
Depuis leur premier film Blood Simple, sorti en 1984, Joel et Ethan Coen ont vite établi leur propre style. Avec des films comme Raising Arizona, The Big Lebowski et O’Brother, ils ont mis en scène des personnages hauts en couleurs dans des situations farfelues avec des dialogues grinçants, le tout avec une dose d’humour noir. Même leurs œuvres plus sombres comme Fargo, Miller’s Crossing ou The Barber gardent un aspect décalé. Leur premier véritable film terre-à-terre sera No Country for Old Men en 2008. Cependant, les deux frangins cinéastes auraient pu changer de ton bien plus tôt s’ils avaient pu réaliser leur ambitieuse adaptation du roman To the White Sea.
Écrit en 1983 par James Dickey, l’auteur derrière le roman Deliverance, qui a inspiré le film éponyme de John Boorman en 1972, le livre raconte l’histoire du Sergent Muldrow, un aviateur américain pendant la Seconde Guerre mondiale dont l’avion est abattu au-dessus de Tokyo. En plein territoire ennemi, il va tout faire pour survivre et rejoindre sa ville natale en Alaska. À la manière de Deliverance, To the White Sea se veut très brutal, notamment avec son personnage principal qui tue sans aucun remords, loin du caractère des protagonistes habituels.
C’est cet aspect qui intéressait les frères Coen. Leur script, qui était une réécriture d’une version de David et Janet Peoples (L’armée des 12 singes), montrait très bien à quel point Muldrow était une machine à tuer. De plus, la première partie du film était presque totalement muet, le protagoniste ne parlant pas japonais et n’interpellant que peu de personnes. Le film aurait eu une tout autre ambiance que le reste de la filmographie des cinéastes. Les frères Coen auraient aussi pu compter sur la photographie de leur collaborateur de longue date Roger Deakins ainsi que de Brad Pitt dans le rôle principal.
C’était un projet de grande ampleur, peut-être même trop. Avec un budget de 80 millions $, les producteurs n’étaient pas confiants de mettre autant d’argent dans un film violent, brutal et très cru dans ses propos, en plus d’avoir peu de dialogues. Le projet est abandonné et Brad Pitt est parti faire Troy de Wolfgang Petersen, un choix qu’il regrettera. Et si les frères Coen ont continué à tenter de faire le film, ils ont arrêté en 2007 en expliquant que Brad Pitt était devenu trop vieux pour le rôle. La collaboration entre les cinéastes et l’acteur se fera finalement en 2008 avec Burn After Reading, et les Coen finiront par adapter un roman sombre d’un auteur connu par la brutalité de ces œuvres avec No Country for Old Men.
Possibilité de renaissance : 50%. Joel et Ethan Coen ont affirmé avoir abandonné l’idée d’adapter le roman de James Dickey. Néanmoins, rien ne dit qu’ils ne peuvent y reprendre goût. Surtout qu’après avoir fait des films en solo (The Tragedy of Macbeth, Drive-Away Dolls), les deux frères ont récemment annoncé retravailler ensemble sur un film d’horreur très gore. Peut-être le début du retour vers la violence de To the White Sea.
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