« Il a cinquante ans, tu en as quatorze à peine. »
Paris, 1985. Vanessa (Kim Higelin) a treize ans lorsqu’elle rencontre Gabriel Matzneff (Jean-Paul Rouve), écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l’amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique. Se perdant dans la relation, elle subit de plus en plus violemment l’emprise destructrice que ce prédateur exerce sur elle.
Avec Le consentement, Vanessa Filho propose un film dur et dérangeant, un film qui brasse la cage. Elle réussit à montrer comment se construit une relation de prédation et comment ces relations sont destructrices, sans tomber dans la gratuité.
Il y a des critiques qui sont plus difficiles à écrire que d’autres. Ici, c’en est une. Le sujet du film, déjà, est choquant et dérangeant. Ayant toujours défendu l’idée que dans l’art, on doit séparer l’artiste de son œuvre. Mais j’avoue que parfois, et c’est le cas ici, ce concept est plutôt difficile à mettre en place. Je vais donc commencer avec une définition important en lien avec ce film :
LE CONSENTEMENT (kon-san-te-man) s. m.
« Le consentement, signifiant conformité de sentiment, veut dire qu’on tombe d’accord avec la personne qui demande le consentement. La permission est relative à des choses qui ne sont pas permises, qui sont défendues, et pour lesquelles on obtient dispense. »
Dictionnaire Littré
Le consentement est adapté du livre du même titre, écrit par Vanessa Springora, dans lequel elle raconte comment, à 14 ans, elle a été envoûtée par un prédateur. Alors qu’on ne le nomme pas dans l’œuvre originale, l’équipe du film a plutôt décidé de le faire, puisque tout ça est maintenant public. Ce film était donc dangereux à faire non seulement parce qu’il s’agit d’une adaptation, mais aussi parce qu’il traite d’un sujet délicat, à propos de personnes réelles.
Du coup, il y avait beaucoup de pièges à éviter pour que ce film soit réussi et l’équipe de production et la réalisatrice ont merveilleusement bien réussi à les éviter. Déjà, en choisissant une actrice qui avait 20 au moment du tournage (mais qui peut avoir l’air crédible en adolescente de 13 ans) était un pari risqué, mais intelligent. Clairement ce genre de tournage peut laisser des traces au niveau mental et donc, de ne pas engager une adolescente était probablement nécessaire.
Évidemment, la réalisatrice prend quelques libertés par rapport au livre et à la « vérité ». Mais cela reste des éléments mineurs qui servent surtout à renforcer la narration cinématographique. Par exemple, le personnage de la mère est beaucoup plus présent et creusé que dans le livre. De plus, la réalisatrice s’est permis – avec l’accord de Springora – de créer ce personnage un peu plus selon l’image qu’elle voyait d’une mère qui galère. Et donc, en plus de la notion de prédation sexuelle d’une toute jeune adolescente et ses conséquences sur ses relations amoureuses à venir, le film s’attache à montrer la relation mère-fille et l’insécurité qu’elle peut générer lorsqu’elle est dysfonctionnelle.
Bien que tout film repose en partie sur ses acteurs, c’est encore plus vrai dans ce genre d’histoire. C’est tout un défi que de représenter un prédateur sexuel comme Matzneff car, avant qu’on le voie comme le « méchant » il faut le rendre sympathique. Il faut donc absolument éviter de tomber dans les clichés. Mais il faut aussi réussir à donner des indices de sa déviance. Ensuite, il faut trouver l’acteur juste, qui aura aussi le courage d’interpréter avec justesse un personnage comme celui de Matzneff. Pour que ce personnage reste crédible à l’écran, il faut que l’acteur puisse se représenter en lui en ne le jugeant pas. Pour Jean-Paul Rouve le défi était grand. Comment devenir cet homme ignoble, tout en ne le détestant pas, sans s’y perdre et s’approprier sa vision.
Pour Kim Higelin, le défi était tout aussi grand, mais inverse. Comment interpréter un tel rôle sans détruire sa propre santé mentale? Parce que c’est beau de vouloir faire un film qui se veut une œuvre qui servira à ouvrir les yeux sur un problème de société, mais on ne veut pas pour autant détruire les acteurs et actrices qui participent à cette œuvre.
Pour raconter cette histoire, Filho a eu une idée plutôt intéressante : l’histoire est racontée du point de vue de Vanessa, mais est narrée par Matzneff. Au début, ça permet de déstabiliser le spectateur qui aura le réflexe de s’attacher à Gabriel, puisqu’il est le contact entre l’histoire et le spectateur. Les premières images nous montre une Vanessa à quinze ans, inquiète comme poursuivie, errante et désespérée, mais c’est la voix de Gabriel qu’on entend nier la fin de leur « lumineuse » histoire d’amour. Et honnêtement, au tout début, on a envie de croire cet homme.
Ce qui est assez incroyable dans Le consentement, c’est la façon si juste avec laquelle on montre comment un prédateur agit. Disons un prédateur qui vise de jeunes victimes.
Lors de sa première rencontre avec Gabriel Matzneff lors d’un dîner, Vanessa a 13 ans. On y découvre une jeune femme qui ne parle pas, qui observe un monde dans lequel elle n’a pas encore trouvé sa place. Par la mise en scène, Filho montre que son héroïne n’a encore ni un « visage » ni même une « voix », et ce ni pour les autres, certes, mais surtout pour elle-même. La conscience de ce visage ne naîtra que sous le regard de Gabriel. Parce que lui, il la regarde, vraiment, semble s’intéresser à elle, quand tous les autres ne s’intéressent qu’à lui.
D’ailleurs, Vanessa ne dira rien dans cette séquence. Son tout premier mot arrivera un peu plus tard. Ce mot est un simple « oui » timide. Quelle façon puissante de mettre en place ce que le film tentera de démontrer, le flou de la notion de consentement. Elle dit alors « oui » à l’auteur, à la littérature, à ce qui la construit et définit sa vision sur le monde, ses aspirations de jeune fille, mais aussi son refuge. « Le grand Amour, je ne l’ai connu que dans les livres », dira-t-elle un peu plus tard.
À partir de là, la jeune femme est amoureuse de cet homme admiré de tous qui la voie, la désire. C’est là qu’arrive cette notion de consentement qui donne son titre au film. Oui, Vanessa donne son consentement à l’homme de 50 ans. Mais est-ce que ce consentement est valide? Est-il acceptable venant d’une si jeune personne qui est face à un homme admiré de tous?
Mais le consentement du titre ne s’arrête pas là. Il vise aussi ce consentement collectif. Celui qui fait en sorte que l’auteur jouit d’un droit que les autres n’ont pas : celui d’abuser de jeunes adolescentes et de jeunes adolescents sans que personne ne s’en offusque.
« Puisque ça ne choquait personne, c’est bien qu’il n’y avait rien de grave, n’est-ce pas? » Pour moi, il était aussi important de montrer que des femmes entouraient et soutenaient Matzneff. Elles confondaient féminisme et transgression. J’ai été choquée par le préambule d’une éditrice dans Les moins de 16 ans, qui est un éloge de la pédophilie à la gloire de « l’ange Gabriel Matzneff ». L’émission de Bernard Pivot avait sa place dans le film pour toutes ces raisons. Il est temps aussi de rendre hommage à cette auteure québécoise, Denise Bombardier, qui a eu le courage de prendre la parole à la télévision, et qui a vécu ensuite un enfer, lynchée par une grande partie de l’intelligentsia française.
Vanessa Filho
La réalisatrice explique ici un des passages de son film, où elle a inclus un extrait d’une émission dans laquelle Denise Bombardier était la seule à dénoncer ce passe-droit. Ce n’est pas tous les jours qu’un film français met en scène une personne d’ici pour dénoncer l’hypocrisie française. Vous pouvez visionner l’extrait juste ici (ça en vaut vraiment la peine).
Ce film est malheureusement trop d’actualité. Il a beau se dérouler dans les années 80, le débat autour de Gérard Depardieu montre que les choses n’ont pas tant changées. En tout cas, peut-être pas assez. On a encore, en France, tendance à défendre les gros noms, même s’ils ont commis des actes très répréhensibles.
Le consentement pourrait aussi relancer le débat à savoir si on doit séparer l’œuvre de la personne. Je fais partie de ceux qui disent qu’il ne faut pas faire disparaître de grandes œuvres parce que son auteur est un écœurant. Les films de Polanski restent dans certains cas de grandes œuvres. On doit dénoncer l’homme, mais je crois que les œuvres passées ne doivent pas disparaître. Même chose pour des hommes comme Picasso. Mais qu’en est-il lorsque l’œuvre elle-même représente ce comportement? Les romans de Matzneff racontent ses abus sur de jeunes garçons et de jeunes filles. Que doit-on faire dans ce cas-là?
Le film ne prend pas position sur cette question. Mais il relance certainement le débat. Un jour, il faudra mettre des balises de façon claire et réfléchie. En attendant, regardez ce film qui arrive en salles ce vendredi. Croyez-moi, il ne vous laissera pas froid.
Bande-annonce
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