« Tuer sa propre jeunesse est le comble de la barbarie. »
Dans un voyage barbare de science-fiction fantastique à travers le temps, la mythologie « sword and sorcery » est pliée, fracturée et changée de sexe par le maître visionnaire Bertrand Mandico dans son troisième long métrage épique. Six vies, six époques et six morts de Conann à travers différentes incarnations et amours lesbiennes. Guidant Conann à travers ses nombreuses vies épiques se trouve Elina Löwensohn dans le rôle de Rainer, un Cerbère dont la caméra paparazzi voit tout et qui vient de multiples dimensions extra-terrestres.
Avec Conann, le toujours aussi délirant Bertrand Mandico nous revient avec une réinterprétation moderne du classique Conan le barbare, ici cependant avec la touche psychédélique qui lui est propre.
Dans Conan le barbare (1982), le paternel de la famille de Conan déclare dès les premières minutes au cimmérien, barbare en devenir : « il n’y a personne à qui tu puisses faire confiance en ce monde. Ni homme, ni femme, ni bête – seulement l’acier. » Si Mandico n’a repris qu’une seule chose dans sa réinterprétation féminine où sexe et violence ne font qu’un, c’est bien cela : ici, pas de pitié ni d’arrière-pensée dans ce trip esthétique où tout (et je dis bien tout) est permis. Malgré qu’il puisse être plaisant d’avoir vu au préalable le film original dont celui-ci s’inspire, c’est avant tout pour mieux apprécier à quel point Mandico désire s’en éloigner.
Bien que nous puissions reconnaître certains personnages familiers tels que Sonja, pour qui une des vies de Conann s’éprend éperdument, le réalisateur n’hésite pas à vite dévier de l’histoire originelle. Ici, sa tactique « marque de commerce » de brouiller les genres en utilisant des actrices pour des personnages masculins et vice et versa fonctionne particulièrement bien comme commentaire, étant donné le machisme ultra-musclé du mythe classique que nous connaissons si bien. C’est ainsi que nous avons accès à une (ou plutôt six, dépendant de la manière dont vous voulez le voir) version beaucoup plus multidimensionnelle de Conann, une Conann qui ne fait plus que tuer, mais aussi aime, hait et désire alors que son personnage, et par extension le mythe, se forme et se transforme à travers les vies. S’enfuyant d’elle-même, elle n’hésite pas à tuer (littéralement) son passé, tentant d’oublier, de courir de Rainer, qui ne fait que lui rappeler ce qu’elle est vraiment : une barbare. C’est cette interrogation du sens de la barbarie qui est au centre du film et nous ramène encore et toujours au fait qu’aimer est d’une certaine manière l’acte le plus violent, le plus charnel qui soit.
Loin de faire l’unanimité, le style de Bertrand Mandico n’est d’ailleurs pas si loin de ce que nous lui connaissions déjà avec ses deux premiers longs métrages, l’excellent Les garçons sauvages et l’insaisissable After Blue (Paradis sale). Nous retrouvons ainsi plusieurs de ses marques de commerce tel que (comme mentionné plus haut), le désir de flouter la ligne entre les genres (filmique comme biologique), la violence comme acte sexuel (ou vice et versa) et une obstination tenace à prioriser le style au contenu. Ce dernier point n’aura jamais été aussi vrai que dans ce film, ce qui, s’il pourrait en irriter plus d’un, est ce qui me plaît personnellement le plus chez ce réalisateur. On change de la couleur au noir et blanc, puis de retour à la couleur, parfois même dans le même plan. On fait vieillir un personnage, puis on le rajeunit, avant de carrément le tuer. On critique de manière efficace (même si parfois loin d’être subtile) en évoluant dans un monde sale et répugnant où les visages se confondent, où les hommes riches mendient à genoux et où les artistes mangent littéralement la main du système qui les nourrit. Entre autres.
Si le film ne conviendra absolument pas à tout le monde et que certain.es ne pourraient voir dans les dialogues que des divagations prétentieuses, il est certain qu’il laissera au moins une forte impression sur son public. L’excellente Elina Löwensohn reprend d’ailleurs le rôle qu’elle a dans chaque Mandico, soit celui d’un oracle omniprésent qui a la fâcheuse habitude de ne pouvoir parler qu’en métaphores douteuses (je le dis ici parce qu’il serait autrement impossible de savoir qu’il s’agit d’elle sous son maquillage épais de chien). L’hypnotisant et inimitable Pierre Desprats est toujours à la conception musicale avec ses ambiances sonores texturées, presque inquiétantes. Bref, il s’agit peut-être du plus Mandico des Mandico, pour le meilleur et pour le pire.
Bande-annonce
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