« Desperate for a dream. Call (510) 555-7625.»
[J’ai désespérément besoin de rêver. Appelez (510) 555-7625.]
Donya, réfugiée afghane solitaire et ancienne traductrice, passe ses vingt ans à dériver dans une maigre existence à Fremont, en Californie. Faisant la navette entre son travail, qui consiste à écrire des phrases inspirantes pour une usine de biscuits de fortune, et les séances avec son thérapeute excentrique. Donya souffre d’insomnie et de culpabilité de survivante pour ceux qui sont restés à Kaboul, alors qu’elle cherche désespérément l’amour.
Si le ton du charmant film de Babak Jalili n’est pas toujours parfaitement discernable, il en reste que ce dernier sait exploiter les non-dits de manière efficace.
Dès les premières minutes, Jalili ne perd pas de temps à établir que l’existence de Donya, personnage principal, n’est pas des plus palpitantes. Gagnant sa vie à plier les biscuits de fortune que nous retrouvons communément dans les restaurants chinois, elle n’a pratiquement ni passe-temps ni amis et oscille entre boulot et dodo sans réel moment mémorable entre les deux. Elle trouve cependant toujours cela préférable à son ancien emploi, qui consistait à traduire de l’anglais au dari pour l’armée américaine. Seule immigrante de sa famille, ces derniers lui ont tourné dos, la traitant de « traîtresse ». Ici où là, c’est presque du pareil au même pour elle, donc autant évoluer aux États-Unis, ou à Fremont, Californie, plus précisément.
La routine de Donya représentera dès lors la plus grande partie du film de manière presque méthodique; Doyna se lève, va travailler (et obtient vite une promotion de rédactrice de messages de biscuits de fortune suite à la mort subite de l’ancienne occupante de ce poste), parle à sa seule amie (qui occupe le même emploi), puis va chez son psychologue (joué par un excellent et excentrique Gregg Turkington), qui semble davantage intéressé à parler de sa propre vie que de celle de sa cliente. Cette ambiance planante et répétitive, couplée à une direction photo en noir et blanc contrasté, rappelle vite notre Stéphane Lafleur adoré, surtout en ce qui concerne des intrigues oscillant entre drame banal et comédie pathétique. Cependant, si chez ce dernier, le ton est clair, chez Jailili, il est parfois difficile de savoir que faire de la manière du réalisateur de dépeindre ses personnages de manière aussi comique tout en considérant le sérieux de la situation de Donya, et nous sommes laissé.e.s avec l’impression que certains moments sérieux passent davantage de manière comique et vice et versa. Ce ton se replace éventuellement, particulièrement vers le dernier acte du film, mais j’ai néanmoins vécu une certaine frustration à cet égard.
Malgré tout, lorsque le film fonctionne, il fonctionne très bien, et ce, en grande partie grâce à ses excellentes performances. Tous les personnages sont empreints d’une certaine tristesse, d’une frustration résultant d’incommunicabilité généralisée, et ils et elles finissent tous par déverser cette frustration de manière subtile sur Donya. Cette dernière reste néanmoins silencieuse et pensive, réaction d’autant plus frappante lorsque nous nous rappelons son passé. Donya comprend vite qu’elle ne trouvera ni les réponses qu’elle cherche, ni les rêves qu’elle chasse à Fremont, et une petite escapade sera vite de mise. Cette frustration culmine en un excellent troisième acte qui brille par son humanité autant qu’il brise la monotonie de la première heure (et fait au passage usage de l’excellent Jeremy Allen White dans quelques scènes courtes, mais mémorables), et tout semble finalement se replacer… mais pour combien de temps?
En somme, si le ton que le réalisateur Babak Jalili tente d’invoquer n’est pas toujours des plus clairs, il n’en reste pas moins que Fremont représente un beau petit bijou de réalisation indépendante qui brille par l’excellence de ses performances ainsi que l’humanité de ses personnages.
Bande-annonce
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